Les dossiers chauds de la rentrée politique: une gestion régionale différenciée du Covid
En hibernation depuis près d’un an et demi à cause de la pandémie, la vie politique peine à se réveiller. Les dossiers s’accumulent et gouvernements comme oppositions s’interrogent: et si le coronavirus parasitait tout? La Covid fait partie des dossiers chauds de la rentrée du gouvernement De Croo.
« Sur pause« : l’expression, formulée par Rudi Vervoort (PS), ministre-président bruxellois, résume à elle seule l’état des lieux. A Bruxelles, dans le nord-ouest surtout, ça traîne depuis un moment d’ailleurs. Dans la capitale, à peine plus de 50% de la population adulte a reçu une dose de vaccin, contre près de 68% en Wallonie et 79% en Flandre. Le schéma vaccinal complet ne concerne, lui, que 47% des Bruxellois, mais 64% des Wallons et 73% des Flamands. L’écart se creuse encore au sein des publics les plus jeunes: seulement 17% des moins de 18 ans ont reçu une première injection. En Wallonie, ce sont 47% et, en Flandre, on grimpe à 71%.
Sur le point épidémiologique, les hospitalisations à Bruxelles ont progressé de plus de 30% en sept jours. Les admissions en soins critiques y représentent plus de 20%, alors que dans les deux autres Régions, elles s’élèvent à moins de 10%. « Il ne faut pas imaginer que l’épidémie est derrière nous », martèle Rudi Vervoort. En cause, un relâchement des restrictions et une moindre adhésion aux gestes barrières, sans oublier les retours de vacances, particulièrement du Maroc et, dans une moindre mesure, de Turquie.
Trop tôt, en tout cas, pour tout desserrer. Tous, au fédéral comme dans les entités fédérées, étaient d’accord: à Bruxelles, rien ne changera jusqu’à octobre, au moins. A l’inverse de la Flandre et de la Wallonie qui entrent, dès le 1er septembre, dans la phase 4 du « plan des libertés », ficelé en mai dernier. Pour elles, la vie sera plus légère, presque comme avant, puisqu’on pourra recevoir chez soi autant d’amis qu’on le souhaite, danser aux mariages, boire un verre dans un bar, s’installer au comptoir, dîner au restaurant sans couvre-feu, se rendre davantage au boulot…
Selon les experts, la porte de sortie n’est pas à attendre avant le printemps 2022, au plus tôt.
Ce qui ne va pas sans heurts. Depuis des semaines, les critiques à l’égard de l’exécutif bruxellois se sont multipliées. A-t-il failli, navigué à vue? C’est ce qu’affirment des experts et des députés de l’opposition. Même si ces derniers reconnaissent qu’à Saint-Josse-ten-Noode, à Molenbeek-Saint-Jean ou à Anderlecht, mais aussi à Dison, à Farciennes ou à Herstappe, des communes parmi les plus défavorisées et où le retard de vaccination est grand, les causes sont à chercher au-delà de la santé: les disparités sociales flagrantes en comparaison des entités les plus aisées, une certaine difficulté de pénétration des discours officiels, une problématique d’accès à la vaccination, la défiance à l’égard des autorités… Ce que Bruxelles ne semble pas avoir anticipé dans sa politique de santé publique.
Pour autant, peu de politiques demandent un renforcement, voire un durcissement des mesures. Ils estiment que des initiatives locales seraient plus efficaces. Ainsi, à Bruxelles, la Cocom va intensifier les actions de proximité, jusqu’à faire du porte-à-porte. Concrètement, il s’agit de déployer des « vaccibus » dans les quartiers, de recevoir son vaccin au club sportif, au centre de loisirs, au travail, dans certains grands magasins et, peut-être, à l’école, ou aux alentours du moins.
Malgré l’effet de douche froide pour tous les Bruxellois, « particulièrement les vaccinés qui ont rempli leur contrat social », selon les mots de Rudi Vervoort, le Premier ministre Alexander De Croo (Open VLD) évoque une situation sanitaire « sous contrôle ». Pas de quoi s’affoler, en théorie. Mais de quoi énerver, oui, à la veille de la rentrée scolaire. A Bruxelles, élèves et profs rentrent masqués, tout le temps, puisque l’on demeure actuellement en phase 2 ou en code jaune. Selon ce « baromètre », établi en juin par le Risk Assessment Group (RAG), l’organisme chargé d’évaluer la menace sanitaire en Belgique, il faudra donc continuer à porter le masque. Si l’on devait passer en phase rouge, il deviendrait obligatoire dès la 5e primaire. Dans les autres Régions, ils pourront s’en passer lorsqu’ils seront installés en classe. Dans ces conditions, le Secrétariat général de l’enseignement catholique (Segec) proposait un assouplissement des règles à Bruxelles pour ceux qui sont vaccinés. Il a fait chou blanc. Faut-il alors imposer la vaccination aux enseignants? Là aussi, pas de consensus parmi les syndicats enseignants, la CSC se disant « ouverte », quand la CGSP s’y oppose.
Une société du pass
Et si, dans un mois, les chiffres restent ce qu’ils sont? Bruxelles répond qu’elle prendra alors des mesures spécifiques. Une sorte d’ultimatum lancé aux non-vaccinés, pour les presser à sauter le pas. Il s’agit évidemment de la mise en place d’un pass sanitaire, rebaptisé Covid safe ticket. Jusqu’ici, en Belgique, l’exécutif fédéral avait renoncé à imposer l’outil pour les usages de la vie quotidienne – à l’exception de Frank Vandenbroucke (Vooruit), depuis toujours favorable, lui, au « coronapass », rejoint par son président de parti, Conner Rousseau, et des experts. Surgit, donc, une gestion différenciée de la crise sanitaire et des protocoles distincts, à adapter en fonction de la circulation épidémique dans une commune, une Région. D’ailleurs, dès l’automne, les entités fédérées pourront décider d’imposer un Covid safe ticket dans toutes les communes qui n’atteignent pas le nouvel objectif de 70% de vaccinés.
Bref, même si elle n’a pas été annoncée, on se dirige vers la levée de la phase fédérale de la gestion de la pandémie vers les Régions. C’est qu’il faut, pour l’exécutif fédéral, se projeter dans l' »après », alors même que l’ombre de l’épidémie plane déjà sur la rentrée scolaire et les mois à venir: au gouvernement, on tente d’ailleurs d’évoquer de nouveau le temps long et de revenir à un mode de fonctionnement plus classique. Une gageure, tant cette crise a souvent condamné l’exécutif à une gestion au jour le jour des problématiques du pays? Le virologue Marc Van Ranst rappelle que nos élus avaient déjà été forcés de faire machine arrière à plusieurs reprises ces dix-huit derniers mois. Selon les experts, la porte de sortie n’est pas à attendre avant le printemps 2022, au plus tôt. « Tant que le taux de reproduction n’est pas inférieur à 1, les autorités sanitaires doivent être préoccupées avec ce virus, où que ce soit », estime Antoine Flahault, professeur de santé publique à l’université de Genève. Mais ils sont de plus en plus nombreux à évoquer l’éventualité que la Covid-19 devienne endémique, c’est-à-dire qu’elle circule en permanence sur le territoire à bas bruit et provoque des reprises épidémiques ponctuelles dans les populations réfractaires. Ce scénario est en effet envisagé depuis des mois, par les virologues et les épidémiologistes qui, sondés dans Nature, sont 89% à estimer qu’il s’agit d’un scénario « probable », voire « très probable ». « On est sûr que cette option arrivera sur le long terme », explique Antoine Flahault. Michel Van Herp, médecin épidémiologiste chez Médecins sans frontières avait d’ailleurs envisagé en mars 2020 que cette hypothèse était « hautement plausible ». Mais « personne n’est en mesure de dire quand on s’acheminera vers ce scénario » . La différence de temporalité, selon lui, se jouera en fonction du degré d’immunité collective acquise à l’échelle internationale. « Ce n’est certainement pas dans deux mois mais pas dans quatre ans non plus. Ça devrait se passer dans l’année ou les deux ans qui viennent. » Dans ces conditions, oui, difficile pour la Vivaldi d’évoquer le temps long.
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