Carte blanche
Les dessous peu reluisants d’un call center
Un employé raconte les coulisses d’un call center. « Vous êtes remplaçable, contrôlable et tout ce que vous faites est chiffrable. »
Je ne peux pas écrire cette opinion, c’est dans mon contrat. Il y est stipulé qu’il m’est interdit de rendre publics le contenu et les conditions de mon travail. Sauf que je suis flamand et que mon employeur est en France. Il y a peu de chance que cette opinion lui parvienne. D’ailleurs, je ne travaille pas pour mon employeur, mais pour une entreprise qui sous-traite ce service. Mais ça, comme le reste, nul besoin que le client le sache.
On doit en théorie clôturer chaque appel en demandant de bien vouloir répondre à l’enquête de satisfaction. Pourtant je ne le fais que rarement. Comme la plupart de mes collègues. De toute façon, ces enquêtes ne servent à rien. Nous recevons chaque semaine une pile d’enquêtes que nous devons nous-mêmes traiter. Et que ce soient des insultes ou des louanges dithyrambiques, elles ne sont que très rarement conformes à la conversation que nous avons eue.
Le client moyen appelle plusieurs fois et, pour plus de commodité, évalue l’ensemble de l’entreprise – l’opérateur de télécom, pas le sous-traitant – avec ce sondage.
D’ailleurs, le simple fait que le client rappelle est bien plus problématique qu’un avis négatif. Un client ne peut pas nous rappeler deux fois en une semaine, tout comme on ne peut le transférer directement vers une cellule spécialisée. L’idéal, c’est que le client surfe vers la section du site qui répond à son problème. Histoire de rendre obsolète le concept même de call center. Le client paye en effet la compagnie par coup de téléphone et sanctionne les clients qui rappellent. En gros, on est prié de régler tous les problèmes, ainsi que les éventuels problèmes à venir, en un seul appel.
Tout cela en moins de 9 minutes ; les trente secondes pour clôturer le dossier après avoir raccroché incluses. Dans ce laps de temps on doit identifier l’appelant par son téléphone ou son numéro client, son nom et prénom, mais aussi son mail et son adresse. Il faut ensuite détecter le problème et offrir une solution. Et, en passant, vendre un petit quelque chose : un nouveau contrat GSM tous les 1000 appels, un forfait plus cher, un bouquet de chaînes, des assurances …
On n’oubliera pas non plus de renvoyer vers le site web de l’entreprise.
Chaque appel peut faire l’objet de surveillance. Par votre superviseur, le manager, les dirigeants de l’entreprise, par ceux qui sont en formation ou des membres du personnel de l’entreprise télécom. Votre interlocuteur peut aussi être comme par magie un « mystery call ». Soit un faux appel pour vérifier si le service fourni se déroule selon les règles.
Et lorsque, dans un souci de gain de temps, vous traitez un peu trop rapidement une simple demande, vous pouvez être sûr que c’est à ce moment-là que votre patron vous surveille. « Tu n’as pas demandé son mail, tu n’as pas proposé une nouvelle offre, tu n’as pas résumé la conversation et tu as oublié l’enquête. Il y a du relâchement. On va devoir te surveiller d’un peu plus près. » Le coup de fil précédent où vous avez avec patience guidé votre interlocuteur via les méandres du site pour le renvoyer vers l’aide technique ? Ah non, là, il n’y avait personne.
Les enquêtes de satisfaction ne sont que le sommet de l’iceberg. On sait tous comment faire pour éviter qu’un client mécontent ne reçoive une enquête de satisfaction dans sa boîte mail. Est-ce que c’est dans l’intérêt du client ? Non, pas du tout, mais ça il ne doit pas le savoir. On est tous des menteurs professionnels et tant que le client ne s’aperçoit de rien, nous le sommes avec l’approbation du management.
La pression est intense et se fait ressentir à chacun des 45 appels en moyenne auxquels on répond chaque jour. C’est le destin de tous ceux qui se trouvent en bas de la hiérarchie du travail. On est remplaçable, contrôlable et tout ce que l’on fait peut être chiffré. Des chiffres peu réalistes, mais ça c’est les lois du libre marché. Dans tous les boulots de ce type que j’ai effectué, les chiffres demandés ne pouvaient être atteints, car l’homme, quoi qu’on en dise, n’est pas une machine.
Pour le management, ce n’est pas évident non plus: ils doivent trouver de nouveaux clients et faire plaisir aux actionnaires. Il faut faire plus pour moins. Comment on s’y prend ? Ce n’est pas le problème des actionnaires. Voilà comment on se retrouve avec du personnel à bout, un taux de maladie de 15% et autant de gens qui démissionnent au cours des six derniers mois.
Heureusement que la formation de base est assurée par l’agence de l’emploi. Par ce biais, on approvisionne régulièrement l’entreprise en force neuve. Des personnes qui sont encore assez naïves que pour croire qu’il s’agit là d’une opportunité à saisir. L’entreprise propose en effet, après plus ou moins trois mois, un contrat fixe aux survivants. Et c’est comme ça que l’on se retrouve coincé là. Juste le temps de trouver autre chose, vous vous dites. Ou que vous atteigniez le point de rupture. Cette dernière option est malheureusement la plus courante avec le marché actuel de l’emploi.
À votre sortie, pas d’enquête de satisfaction. Il n’y a plus personne pour vous demander ce que vous pensez de votre emploi.
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