Les dernières heures de traque d’Abdeslam à Bruxelles
La serrure cède enfin sous les coups de bélier. Une pièce presque vide –une armoire, trois matelas– fait face aux policiers. Puis, dans l’embrasure d’une porte, le canon d’une arme. Un homme surgit. Il tire.
Les huit enquêteurs venus ce mardi 15 mars 2016 à Forest, une commune de Bruxelles, pour une perquisition de routine sont soufflés par ces coups de feu inattendus. Ils viennent, sans le savoir, de découvrir la cachette de Salah Abdeslam, l’homme le plus recherché d’Europe.
Cette équipe franco-belge enquête sur les attentats du 13 novembre 2015 à Paris (130 morts) à la recherche d’anciennes planques.
Les compteurs sont coupés depuis deux mois: les policiers croyaient le logement vide.
A leur arrivée, peu après 14H00, dans ce modeste immeuble jaune pâle de deux étages, les occupants du rez-de-chaussée les ont pourtant alertés: « plusieurs jeunes gens suspects » vivent depuis quelques mois au premier.
« Police ! », hurlent les enquêteurs en frappant à la porte du premier étage. Avant de forcer l’entrée.
L’homme qui les prend pour cible tient une kalachnikov au niveau des hanches. Il a les cheveux ras et porte une barbe épaisse.
Les policiers répliquent, le touchent, l’obligeant à se replier dans une deuxième pièce.
Trois d’entre eux sont légèrement blessés dans la fusillade. L’un à la hanche, un autre à la main, le troisième, une Française, à la tête et au pied.
« Évacuez !’
Ils décident de quitter les lieux. Une partie de l’équipe repasse par l’entrée, l’autre doit fuir par le grenier, puis les toits.
Stupeur en plein après-midi dans cette rue calme et isolée qui jouxte une petite place bordée d’arbres. « Évacuez ! Évacuez la place ! ». Les voisins se cloîtrent chez eux.
Un habitant s’approche malgré tout: il a filmé deux hommes qui prenaient la fuite par les toits pendant la fusillade. « L’un était barbu et portait une arme », assure-t-il. Ils ont détalé par l’arrière du bâtiment.
Dans leur fuite, les deux fugitifs, arme à la main, traverseront un appartement au rez-de-chaussée devant une famille médusée. « On vous fait pas de mal! La porte, s’il vous plait, la porte ! ».
Terrorisée, la fille de la famille leur désigne la sortie d’un mouvement du bras.
Les policiers, eux, se concentrent sur l’homme retranché. C’est le travail des unités spéciales, arrivées sur place. Par deux fois, elles tentent de le débusquer, usant de gaz lacrymogène, mais rebroussent chemin face à ses tirs. Un autre policier est blessé, touché à la tête.
Au troisième assaut, vers 18H15, l’homme apparaît à une fenêtre. Un tireur d’élite l’abat.
Avec ses complices, il aura tiré à 34 reprises en direction des policiers.
Il est rapidement identifié: Mohamed Belkaïd, Algérien de 35 ans, qui a été en lien avec les assaillants du 13 novembre.
Onze chargeurs de kalachnikov et deux détonateurs sont retrouvés dans le logement de Forest. Et des écrits –« Louanges à Allah, seul maître de l’univers »– ainsi que des livres religieux et un drapeau de l’organisation Etat islamique, suspendu au mur.
Mais surtout des empreintes: celles de Salah Abdeslam, unique survivant des « commandos de Paris », en cavale depuis quatre mois.
Pizzas
Les enquêteurs arrivent à la certitude qu’il est l’un des deux fuyards et qu’il vient de leur échapper.
Mais il est à Bruxelles. Et il commet un impair: un coup de fil le jour-même à un cousin, Abid Aberkane. Il a besoin d’une planque pour lui et son complice.
« Il m’a juste dit qu’il avait fui à pied de Forest, c’est tout », détaillera plus tard à la police ce cousin, qui accepte de cacher les deux hommes. D’abord dans sa voiture, puis dans la cave du domicile de sa mère, un petit immeuble de la commune populaire de Molenbeek, tout près du logement des parents Abdeslam.
Pendant deux jours, les deux fugitifs se terrent au sous-sol, conversent à voix basse et dorment sur un vieux tapis à même le carrelage.
Le cousin apporte sandwiches, pizzas et sodas.
Le 18 mars, trois jours après la fusillade, en plein sommet des dirigeants de l’UE à Bruxelles, la police localise la planque. Le quartier est bouclé. « Sortez les mains en l’air ! » Les forces spéciales, suréquipées, encerclent l’entrée.
Un homme jaillit. Sweat blanc, casquette blanche, pantalon noir, il tente de fuir, mais s’effondre sur le trottoir sous les tirs des policiers.
Le deuxième fuyard, en survêtement gris, touché à la jambe, est resté dans le bâtiment. Arrêté, il sera identifié comme étant Sofiane Ayari, un Tunisien né en 1993.
L’homme en blanc, toujours à terre, est blessé lui aussi. C’est Salah Abdeslam.
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