Philippe Defeyt
« Les CPAS ont trop de moyens et pas assez à faire ! »
C’est un secret de polichinelle et un scandale auquel il faut mettre fin. En ces temps de disette budgétaire, les CPAS s’en sortent bien. Leurs équipes attendent le « client » et leurs moyens financiers sont plantureux.
Les cris d’orfraie de leurs présidents n’ont comme unique raison que de chercher à tout prix à préserver leur tranquillité et leur pré carré. Les gouvernements fédéral et des entités fédérées se doivent de réagir fermement et rapidement pour mettre fin à cette exception budgétaire. Cinq minutes de courage politique et le problème sera réglé. Permettez-moi de proposer à nos responsables éclairés quelques pistes pour faire cesser ce scandale.
1. Les CPAS de ce pays permettent déjà à plus de 20.000 jeunes (et moins jeunes) par an d’entamer ou de poursuivre des études. Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Confions-leur la gestion de toutes les bourses d’étude. Ils soulageront ainsi les communautés. Et au passage, demandons aux collectivités locales de financer ces bourses d’étude. Les ministres de l’Éducation et de l’Enseignement verront ainsi leur budget soulagé de dépenses qui les empêchent de s’occuper des vrais problèmes. La démocratisation de l’accès aux études supérieures n’est pas un sujet assez important pour distraire les éminences concernées. Les acteurs de proximité s’en occuperont mieux.
2. L’ONEM a montré courageusement la voie en « transférant » des milliers de bénéficiaires d’allocations d’insertion vers les CPAS. Les services publics de l’emploi régionaux (le FOREM, ACTIRIS et le VDAB) ont perdu au passage des milliers de demandeurs d’emploi dont ils ne savaient plus quoi trop faire. Ici aussi pourquoi s’arrêter en si bon chemin. Il y a d’autres publics fragilisés qui empêchent les acteurs concernés de centrer leur action sur les demandeurs d’emploi qualifiés et compétents. Laissons les autres aux CPAS. On pourrait commencer par supprimer les allocations de chômage aux chômeurs peu qualifiés et aux chômeurs de longue durée. Les CPAS trouveront bien des solutions pour s’en occuper et les remettre à l’emploi.
3. L’aide juridique coûte très cher au gouvernement fédéral. Or il ne s’agit jamais que d’aider les pauvres à faire valoir leurs droits. Ici aussi transférons la compétence, sans les budgets bien sûr, aux CPAS dont c’est la mission naturelle. Cela les occupera un peu.
Les idées ne manquent pas. D’autres domaines doivent être explorés, sans tabou : santé, énergie, transports publics, etc. Les pauvretés ont cette sale manie de se loger partout.
Tiens, à propos, on pourrait aussi confier aux CPAS la politique migratoire et d’asile. Pauvres d’ailleurs, pauvres d’ici. Qui oserait stigmatiser les pauvres en fonction de leur pays de naissance ? Confions les candidats et reconnus réfugiés aux CPAS : ils ont bien évidemment les moyens pour trouver des logements, avancer les garanties locatives, trouver une insertion sociale ou professionnelle, organiser des cours d’alphabétisation, etc.
Arrêtons ici cette fable tragi-comique. Arrêtons surtout les frais. Arrêtons cette communalisation et « CPAS-isation » de l’action publique. Et en particulier les volets de cette action qui concernent la redistribution des revenus et visent à donner une juste place à tous les citoyens dans notre société.
Les CPAS étouffent sous le poids des demandes légitimes des personnes qu’ils accueillent en nombre croissant.
Parce que les CPAS sont inégaux en moyens humains et financiers, tout simplement parce beaucoup de communes sont pauvres, les effets pervers d’un transfert de responsabilités vers les CPAS apparaissent au grand jour :
1. Des citoyens ne sont pas ou plus traités de manière équitable suivant le CPAS dont ils dépendent. L’intensité et la qualité des politiques d’insertion ne sont pas les mêmes d’un CPAS à l’autre, les aides en matière de santé sont fort variables d’un CPAS à l’autre, la réponse à un jeune qui souhaite entreprendre ou poursuivre des études l’est tout autant, etc., etc.
2. Alors que le CPAS est en principe une institution « refuge » de dernier ressort, il est de plus en plus, pour les personnes les plus précaires, une institution plus « accueillante » que les autres institutions de l’Etat-providence.
Le CPAS doit rester, ou plutôt redevenir, une institution de dernier recours, non une ambulance qui ramasse tous ceux – de plus en plus nombreux – que le peloton et la course abandonnent.
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