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Les coulisses des tensions chez Ecolo, après la démission de Sarah Schlitz (analyse)

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Avec la démission de Sarah Schlitz, les écologistes francophones ont pris un gros coup dans la figure, et certaines tensions se sont exprimées. Certains verts estiment que les coprésidents Jean-Marc Nollet et Rajae Maouane n’ont pas suffisamment soutenu la jeune secrétaire d’Etat liégeoise. Tous redoutent une fin de législature difficile.

Ne pas laisser nos adversaires ni les éditorialistes définir les termes du débat à notre détriment », disaient, en octobre 2022, Rajae Maouane et Jean-Marc Nollet. Ils s’y engageaient même, devant leur bureau politique. L’efficacité de cet engagement, alors posé dans l’actualisation annuelle de leur «Note stratégique 2019-2022», se mesure à la manière dont adversaires et éditorialistes ont commenté les tourments, puis la démission, de la secrétaire d’Etat à l’Egalité des genres, Sarah Schlitz. Certains l’ont en effet qualifiée de «militante», comme si le métier de ministre s’exerçait dans la neutralité.

Qu’une élue appliquant, comme c’est normalement le devoir de chaque mandataire, le programme de son parti soit ainsi taxée par certains adversaires et éditorialistes pour la déprécier dit combien l’objectif de conquête de la centralité proclamé, dans leur note stratégique, par les coprésidents écologistes, est loin d’être rencontré: quand on emploie militant comme un gros mot, c’est que les termes du débat sont définis au détriment de ceux qui militent.

Cette démission marque un tournant moral dans la coprésidence d’Ecolo.

Nécessaire en ce sens qu’il ne pouvait être évité, le départ de Sarah Schlitz du gouvernement fédéral marque, dans la coprésidence du Carolo et de la Molenbeekoise, entamée en 2019, une sorte de tournant moral.

Dimanche 30 avril, les mines écologistes l’exprimaient assez explicitement, scellées dans des sourires scéniques de prestations tout droit sorties des plus convaincantes scènes d’une sitcom AB Productions. Il n’était pas évitable, ce retrait, parce que la Liégeoise, en sursis, avait dû s’excuser trois fois en une semaine (une fois pour avoir laissé son logo sur l’affiche d’un événement dont elle a dit que les organisateurs l’avaient fait sans l’avertir, une autre fois pour avoir exigé que des associations candidates à des subsides placent son logo sur leurs affiches et une dernière fois parce qu’une membre de son cabinet avait placé le député N-VA Sander Loones dans des montages photo évoquant l’extermination des homosexuels par les nazis), qu’on ne s’excuse jamais en politique que quand on a commis une erreur caractérisée et que trois erreurs caractérisées en une semaine composent, incontestablement, une faute.

Le 20 avril, en séance plénière de la Chambre, alors que Sarah Schlitz présentait ses deuxièmes excuses en deux jours, un sursis d’une semaine lui était accordé par des partenaires socialistes et libéraux pas très agréablement tournés. Chez Ecolo, au parti, ce sursis sonna comme une menace. Il fut traversé comme une épreuve, dont l’échec fit de cette semaine un tournant, même pas clos par la démission de l’intéressée, le 26 avril au matin.

Ce tournant est moral, et même politique, parce que les coprésidents ont encaissé une verbalisation de la méfiance. Elle n’était que sourde jusqu’alors, presque résignée. Elle attendait juin 2024, avec l’inquiétude majorée par l’habitude de voir une défaite suivre une participation électorale.

Mi-figue mi-raisin

Au bureau politique du mercredi matin, convoqué sur Zoom pour discuter de la démission, la coprésidente Rajae Maouane a ouvert les débats en déplorant qu’une femme de plus démissionne et que la société la regarde tomber. Les prises de parole, ensuite, cartographiaient assez bien les tensions, gauche et droite, Bruxelles et Wallonie, garçons et filles, traversant un parti dont, en grossissant le trait, les Wallons trouvent la Bruxelloise Rajae Maouane trop inexpérimentée, et les Bruxelloises estiment le Wallon Jean-Marc Nollet trop instrumental. Les interventions, ensuite, présentaient pratiquement toujours les deux mêmes arguments (Sarah Schlitz et son cabinet ont commis des erreurs/c’est une femme féministe et une antiraciste dont le féminisme et l’antiracisme ont dérangé les conservateurs), mais dans un ordre qui plaçait son énonciateur plutôt dans un camp que dans l’autre. Par exemple, la parlementaire de référence (on dit PDR, dans l’idiome écolo) Séverine de Laveleye a ainsi exprimé ses «deux niveaux de colère», l’un à l’égard de la société et «l’autre du parti qui regarde les femmes tomber», eussent-elles commis des erreurs. Et le parlementaire wallon Matthieu Daele, lui, a félicité Sarah Schlitz pour son travail dérangeant les conservateurs, mais a émis l’hypothèse que les écologistes se seraient déchaînés si un ministre d’un autre parti avait commis les mêmes erreurs.

Sarah Schlitz incarnait le seul enjeu sur lequel Ecolo avait conquis des positions: le féminisme et l’antiracisme.
Sarah Schlitz incarnait le seul enjeu sur lequel Ecolo avait conquis des positions: le féminisme et l’antiracisme. © BELGAIMAGE

Juste avant, les exposés du directeur politique adjoint d’Ecolo et de la présidente du comité d’éthique et de déontologie avaient posé une froide lumière sur les faits, et un peu glacé les argumentaires. Entamées dès la fin de la semaine précédente, au moment où prenait l’incendie, les enquêtes écologistes avaient, à la fin du week-end, rapporté des faits qui promettaient une fin de sursis explosive à Sarah Schlitz, d’ailleurs entendue longuement par le Comité d’éthique et de déontologie. Un courrier de son cabinet demandant explicitement des placements de logo personnel au SPF Justice, notamment, assurait un terme rapide au mandat de la secrétaire d’Etat.

Mais chez les verts, le reproche fait à la coprésidence de ne pas avoir suffisamment encadré Sarah Schlitz, et surtout de ne pas l’avoir assez aidée, est bien présent. Pas seulement chez les plus proches de la Liégeoise.

Un peu sonné et un peu aiguillonné par le groupe à la Chambre, où l’on a pu s’étonner de la plus grande tolérance à l’égard des erreurs de Georges Gilkinet que de celles de Sarah Schlitz, le duo coprésidentiel a d’abord proposé à Zakia Khattabi, ministre fédérale du Climat, de reprendre la compétence de l’égalité des genres. Déjà très populaire dans les secteurs concernés, l’Ixelloise n’est pas, depuis l’échec de sa candidature à la Cour constitutionnelle, la plus en ligne avec sa coprésidence, et en particulier avec Jean-Marc Nollet, avec qui elle avait pourtant construit la campagne victorieuse de 2019. Elle aurait là encore pu étendre son assise à Bruxelles, où lesdits secteurs sont fort présents, et où les verts ont des raisons de se confronter au PS. Elle a refusé, expliquant sur Facebook que ni le climat ni l’égalité des genres n’étaient des demi-compétences.

Les tensions et les pointillés

Le choix ne s’est pas porté, non plus, sur la Bruxelloise Séverine de Laveleye, la PDR dont l’intervention du mercredi au bureau politique en distanciel avait pourtant fort résonné. La Frasnoise Marie-Colline Leroy, colistière de Jean-Marc Nollet dans le Hainaut en 2019, élue à la quasi-unanimité du conseil de fédération de crise du dimanche 29 avril, remplace ainsi une Wallonne que deux Bruxelloises auraient pu remplacer, ce dont se servent déjà ceux qui trouvent la Bruxelloise Rajae Maouane trop inexpérimentée et le Wallon Jean-Marc Nollet trop instrumental.

Ceux-là comme les autres tracent à gros traits les tensions qui lacèrent leur parti, dès lors que les sondages ne sont pas bons et que les termes du débat ne sont pas favorables. Et dans l’ombre des gros traits collectifs se dessine, toujours, l’incertitude des pointillés individuels. D’ici quelques semaines, les têtes de listes écologistes pour les communales d’octobre 2024 seront désignées. Ceci dégagera le terrain pour déterminer, à la fin de l’année, les places éligibles pour mai 2024. Ces places éligibles, selon toute probabilité, recèleront moins d’élus qu’en 2019.

C’est ce qui fait que ça frotte, là, dans le tournant moral et politique imposé par Sarah Schlitz et ses adversaires déchaînés.

Rajae Maouane et Jean-Marc Nollet, qui ont été élus – au parlement bruxellois pour l’une, à la Chambre pour l’autre – en 2019, mais ont démissionné pour coprésider, espèrent que la démission de Sarah Schlitz ne sera pour eux qu’une chicane suivie d’un long chemin droit: ils souhaitent reconduire leur coprésidence pour quatre ans, à l’automne prochain. Leur parti a été dépossédé des enjeux qu’il maîtrisait. Il est moins audible sur le climat depuis que l’énergie nucléaire est devenue apparemment propre et sans déchets. Il est moins incontournable sur l’éthique en politique depuis que le PTB explose ses budgets publicitaires sur les pensions des parlementaires.

La démission de Sarah Schlitz ne dépossède pas Ecolo de cet enjeu du féminisme et de l’antiracisme, sur lequel il est très mobilisable et qui est le seul sur lequel il avait vraiment conquis des positions depuis son entrée dans les différents exécutifs. Mais c’est presque pire: elle le dépossède de la personne qui portait cet enjeu.

Celle-ci pourrait avoir quelque chose à dire à l’automne, pour peu qu’elle se trouve un Bruxellois. Ou même l’an prochain, après des élections dont elle pourra dire qu’elles ont été perdues à cause d’un tournant moral trop lâchement pris.

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