Les confidences de Raphaël Liégeois, prêt pour sa nouvelle vie d’astronaute
Au sommet de la fusée chargée en carburant, il ne fera « pas trop le malin », nous confie le chercheur en neurosciences belge Raphaël Liégeois, sélectionné parmi les cinq nouveaux astronautes européens. Rencontre avant le début de sa formation, à Cologne.
Y aura-t-il un «phénomène Raphaël Liégeois» en Belgique, comme il existe un «phénomène Thomas Pesquet» outre-Quiévrain? L’ astronaute français a prouvé qu’il ne fallait pas forcément être une star de la chanson, du cinéma ou du ballon rond pour devenir l’une des personnalités préférées de ses compatriotes. Fort de ses deux séjours dans la station spatiale internationale (ISS), Pesquet est, à bientôt 45 ans – il les aura le 27 février –, un héros national dont on vante le charisme, les compétences multiples et le goût du partage. Raphaël Liégeois, tout juste 35 ans, n’a pas la notoriété de son aîné. Et pour cause: le Namurois vient seulement d’être sélectionné, en novembre 2022, astronaute «de carrière» par l’ Agence spatiale européenne (ESA) et devra attendre au moins 2026 pour pouvoir grimper dans l’ISS. Toutefois, Pesquet et son jeune collègue ont plus d’un point commun: tous deux sont ingénieurs (aéronautique pour le premier, biomédical pour le second), pilotes (de ligne pour le Français, de montgolfière pour le Wallon), sportifs accomplis et polyglottes. Comme Thomas Pesquet, Raphaël Liégeois est d’un abord facile et a à cœur de partager son expérience avec le public, en particulier avec les jeunes.
Pilote de montgolfière, je sais que la pire situation qui puisse arriver à bord est la présence de plusieurs personnes d’avis différents sur le vol.
Vous êtes le troisième astronaute belge de l’histoire et le premier originaire du sud du pays. Votre prédécesseur, Frank De Winne, vous a-t-il donné un conseil pour la suite des opérations?
Il insiste pour que je veille à préserver ma tranquillité, ma vie de famille. En tant que patron du Centre européen des astronautes, à Cologne, Frank De Winne est attentif au bien-être de ses recrues. Il me rappelle que, dès le 3 avril, je serai un astronaute en formation, avant d’être un communicant.
Dirk Frimout, le premier Belge envoyé dans l’espace, en 1992, a des airs de professeur Tournesol. Vous êtes plutôt comparé, en Belgique mais aussi en Suisse où vous vivez depuis cinq ans, à Tintin. Vous assumez?
Je suis un fan des aventures du petit reporter. Objectif Lune a marqué mon enfance et j’ai une reproduction de la fusée conçue par Tournesol. Il est fascinant de penser que Hergé a imaginé tous les détails d’une expédition sur la Lune 17 ans avant que la Nasa y envoie les premiers hommes.
Avez-vous déjà rêvé, la nuit, que vous marchiez sur la Lune ou que vous flottiez en apesanteur dans un vaisseau interplanétaire?
Je ne me souviens pas des rêves que je fais dans mon sommeil. En revanche, je rêve depuis toujours de voyages dans l’espace. Né en 1988, je suis trop jeune pour avoir suivi à la télévision les missions Apollo, mais j’ai regardé des documentaires sur la conquête lunaire. Dans le contexte de la compétition avec l’URSS, cette aventure n’a pas eu lieu sans d’énormes pressions. Les conditions de sécurité n’ étaient pas celles d’aujourd’hui. La réussite d’Apollo XI est un immense exploit. Le retour sur la Lune avant la fin de cette décennie en sera un également.
Comment ont réagi vos proches à l’annonce de votre sélection comme astronaute?
Ma femme ne m’avait jamais vu aussi motivé par un projet. Elle est heureuse de l’issue positive du long processus de recrutement. Ingénieure électricienne et consultante dans le domaine des énergies renouvelables, elle ne devrait pas avoir trop de difficultés à trouver un nouveau job en Allemagne, où nous allons déménager. Mes filles, elles, sont trop jeunes pour comprendre ce qui se passe: l’aînée a deux ans et la cadette huit mois. Au printemps 2021, je n’avais pas révélé à grand monde ma décision de postuler pour devenir astronaute. Je n’ai prévenu mes parents qu’après la dernière interview décisive, avec Josef Aschbacher, le directeur général de l’ESA.
Pensiez-vous figurer parmi les cinq nouveaux astronautes «de carrière»?
Dès le départ, j’étais conscient que j’avais peu de chances d’être retenu. Plus de 22 500 aspirants se sont déclarés, dont mille Belges. Les astronautes de la classe précédente, celle de 2009, m’ont tous tenu le même langage: ma probabilité d’être sélectionné est faible, mais il faut quand même que je m’investisse à fond dans le processus, pour ne pas avoir de regrets, vu qu’on compte seulement une promotion d’astronautes européens tous les dix à quinze ans. D’un côté, les attentes ne doivent pas être trop élevées, puisqu’il y a une part de risque à chaque phase éliminatoire. De l’autre, il faut rester motivé en se persuadant qu’on est capable d’arriver au bout du chemin.
Les examinateurs vous ont-ils fait des commentaires sur vos capacités, vos points forts et vos éventuelles faiblesses?
Nous n’avons aucun retour lors des sélections. Nous sommes seulement prévenus de notre admission à l’étape suivante. J’ai le sentiment d’avoir fait l’objet d’un scan à 360 degrés de ma personnalité, de mes compétences techniques et scientifiques, de mon état de santé. Il n’est pas nécessaire d’être au top niveau sur tous les plans mais il ne faut pas avoir de points faibles. Personnellement, je ne suis pas un athlète aux chronos de marathonien. J’ai la condition physique d’une personne qui mène une vie saine. Je n’ai pas de voiture, je me déplace à vélo, je fais de la randonnée en montagne et de la voile sur le lac Léman. Je me baigne régulièrement dans le lac, même en hiver, un plaisir addictif.
Une expérience d’intégration dans une équipe multiculturelle est aussi un atout pour devenir astronaute?
Cet aspect a dû jouer en ma faveur. Depuis le début de mes recherches en neurosciences, je fais partie d’équipes internationales. A Singapour, j’ai travaillé pendant deux ans avec des Américains, des Européens, des Chinois, des Singapouriens et des Malais. Un challenge quotidien.
Vous êtes pilote de montgolfière. Une expérience qui vous sera utile dans l’espace?
La pire situation qui puisse arriver à bord d’une montgolfière est la présence de plusieurs personnes d’avis différents sur le vol. Les décisions fermes ne sont alors pas prises, ce qui peut provoquer un accident. De même, l’équipage d’un bateau à voile doit avoir un chef dont les choix sont respectés. Dans l’espace, c’est encore plus crucial: à bord de l’ISS, il faut un leader et des followers.
L’ESA met-elle aussi l’accent sur la gestion des émotions?
C’est un point essentiel. Un astronaute peut être confronté à des situations d’urgence et il faut pouvoir gérer son stress. Nous devons aussi être capables de supporter un confinement strict de plusieurs mois avec les mêmes personnes, ce qui sera notre sort dans l’ISS. L’ESA s’est intéressée à des expériences de ce type que nous aurions vécues. Deux des candidats parmi les derniers sélectionnés ont fait des hivernages dans la station antarctique Concordia. C’était un atout.
Avez-vous vécu vous-même un séjour de ce genre?
Mon expérience est différente. Après nos deux années à Singapour, ma femme et moi sommes rentrés en Belgique non pas en avion, mais à vélo. Nous avons voyagé pendant quatre mois, soit 6 000 kilomètres parcourus et treize pays visités, sans ressources externes ou presque. Nous sommes allés à la rencontre de cultures diverses, avec pour fil rouge des contacts avec des poètes locaux. J’ai un faible pour la poésie. Mes goûts sont éclectiques. Le poème d’ Aragon Les Yeux d’Elsa me touche, tout comme Le Plat pays, de Jacques Brel.
Avez-vous eu l’occasion de faire plus ample connaissance avec les autres Européens sélectionnés par l’ESA?
Fin novembre, nous nous sommes tous retrouvés à Paris pendant quatre jours. Il y avait un enthousiasme collectif, au terme d’un processus de recrutement qui a engagé toute une génération d’Européens passionnés par le domaine spatial. Je me réjouis à la perspective de construire des liens avec mes quatre collègues astronautes «de carrière». Onze autres sont réservistes. Ils ne quitteront pas leur profession actuelle et deviendront consultants pour l’ESA. Ils pourraient monter dans un projet spatial ultérieur. Le 17e sélectionné, John McFall, un Britannique en situation de handicap, sera le premier «parastronaute» de l’histoire de la conquête spatiale.
L’ESA attend de ses astronautes qu’ils soient de bons communicants, impliqués dans les débats citoyens. Vous risquez d’être sollicité de toutes parts. Une contrainte pour un scientifique comme vous?
C’est un aspect du métier qui ne me déplaît pas. Peut-être qu’un jour j’en aurai marre qu’on me demande sans cesse de passer des heures dans une école à raconter mes aventures spatiales mais nous n’en sommes pas là. Les sollicitations des médias et l’attention du grand public ne me pèsent pas trop pour l’instant. On m’a prévenu qu’elles seront nettement plus intenses après le premier vol dans l’espace. J’y vois l’occasion de faire passer les messages qui me tiennent à cœur. Il est important, en ces temps de doutes assez angoissants, de réaffirmer qu’il existe des raisons de rester optimiste. La science permettra de résoudre des défis médicaux et planétaires auxquels nous sommes confrontés. Nous développons des outils pour soigner les maladies neurovégétatives, pour mieux comprendre le fonctionnement du cerveau. Les satellites d’observation de l’ESA sont au chevet de la Terre. Ils permettent de modéliser et de comprendre les changements climatiques en cours et peuvent aider à trouver les moyens de s’y attaquer.
Le jour J, au sommet de la fusée chargée en carburant qui se mettra à trembler, je ne ferai pas trop le malin!
Vous quittez Lausanne pour Cologne. Comment vous préparez- vous à ce changement de vie?
Ce déménagement est une opportunité pour toute la famille. Nous nous rapprochons de Namur, où vivent mes parents et beaux-parents. Nous avons beaucoup apprécié la vie à Lausanne, plus précisément à Morges, où nous habitons pour quelques semaines encore. Mon travail de recherche sur les modèles dynamiques du fonctionnement du cerveau m’a passionné, de même que mon job de maître-assistant en neuro-ingénierie et statistiques. J’ai envoyé ma lettre de démission à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne et à l’université de Genève.
Quelle formation vous attend à l’ESA?
Ce sera un retour à l’école, avec cartable et tartines! C’est un luxe de pouvoir continuer à apprendre, à 35 ans. Début avril, je commence une formation de base de treize à quatorze mois au centre des astronautes de l’ESA, près de Cologne. Au programme: des cours de sciences et de technologie spatiale, une formation aux disciplines médicales et à la gestion de l’ISS, mais aussi des exercices de plongée pour s’entraîner aux sorties extravéhiculaires. Heureusement, j’ai déjà un brevet de plongée. Nous ferons aussi du team building entre astronautes, pour mieux se connaître. Au terme de cette première phase d’apprentissage, nous ne nous verrons plus très souvent. Chacun sera désigné pour une mission spécifique, avec à la clé deux années supplémentaires de préparation. Il faudra alors se familiariser avec le vaisseau spatial que nous emprunterons pour rejoindre l’ISS, mais également avec les expériences à réaliser en orbite.
Devrez-vous apprendre le russe, comme les astronautes européens qui vous ont précédé, ou cette époque est-elle révolue à la suite de la rupture des collaborations spatiales russo-occidentales, consécutive à l’invasion russe de l’Ukraine?
Pour l’instant, ce volet est maintenu. Nous allons apprendre le russe dès notre première année de formation et nous devrions aller nous entraîner en Russie. Nous verrons comment évolueront les relations avec Moscou…
Vous serez envoyé dans l’ISS au plus tôt en 2026, au plus tard en 2031. Etre astronaute, c’est aussi gérer l’attente?
Après sa sélection, Thomas Pesquet a attendu sept ans sa première mission dans la station spatiale internationale. Claude Nicollier, le premier astronaute suisse, a fait son premier vol quatorze ans après sa désignation! Aller dans l’espace exige de la patience. Un Européen vole tous les dix-huit mois environ. D’ici à 2031, cinq places sont réservées pour des astronautes européens sur l’ISS. Il faut attendre son tour. Le mien viendra. Je suis confiant. Après l’ISS, il y aura la Lune. Trois astronautes européens de la promotion 2009 et qui ont déjà séjourné en orbite basse participeront aux missions lunaires Artemis 4, 5 et 6. Ma génération d’astronautes devra attendre les vols Artemis suivants. L’ objectif est d’assembler la petite station orbitale lunaire Gateway et d’installer une base scientifique sur la surface de la Lune. On vit un nouvel âge d’or de l’exploration spatiale, c’est enthousiasmant. Toutefois, notre avenir dépendra de la volonté politique des Etats-Unis de poursuivre le programme Artemis et de l’intention européenne de continuer à y participer.
Pas de frissons à l’idée de partir dans l’espace?
C’est un risque que l’on prend. Mais je ne suis pas insensible à la peur. Je pense que le jour J, au sommet de la fusée chargée en carburant qui se mettra à trembler, je ne ferai pas trop le malin!
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