Johan Van Overtveldt
Les cinq ruptures radicales de Margaret Thatcher
Margaret Thatcher a véritablement révolutionné les principes de la politique socio-économique.
Margaret Thatcher, qui s’est taillé la réputation de Dame de Fer durant son mandat de premier ministre, est décédée à l’âge de 87 ans. Si son surnom qualifiait sa personnalité et son approche de la guerre des Malouines, sa réputation est surtout due à sa politique socio-économique. À la fin des années 1970 et au début des années 1980, Thatcher a marqué une rupture avec cinq traditions socio-économiques et philosophes de l’époque d’après-guerre.
Premièrement, Margaret Thatcher ne considérait pas, tout comme Ronald Reagan qui a été élu président des États-Unis peu après elle, l’état comme solution par excellence aux problèmes socio-économiques, mais comme la cause de la majorité des problèmes socio-économiques. Sa devise était de laisser fonctionner le libre marché afin de procurer la liberté nécessaire à la population. Fin des années 1970, et certainement en Europe, une telle vision pro-libre marché et pro-capitalisme était presque incivique. Thatcher a fait passer ce message avec bravoure, ce qui lui a très rapidement valu non seulement la direction du Parti Conservateur mais également le poste de premier ministre.
Par son instinct très pro-marché libre, Thatcher s’est tournée contre la tendance croissante de régulation et d’endiguement des pouvoirs du marché, une deuxième rupture marquée avec le passé. Elle a démarré un programme poussé de privatisation et de dérégulation. En outre, elle tentait aussi de faire cesser, par tous les moyens, les subsides d’état aux entreprises et aux secteurs. Cette approche lui valait des conflits permanents avec les puissants syndicats britanniques. Lors de confrontations, l’approche très dure de Thatcher a mis les syndicats à genoux. Ainsi, pendant des mois, elle a livré un combat à l’usure contre le syndicat minier Arthur Scargill. Sous le coup de massue de Thatcher, les syndicats ont disparu pendant des décennies de la scène politique anglaise.
Dans le sillage de sa philosophie favorable au libre marché, Margaret Thatcher s’est également totalement distanciée de ladite méthode keynésienne, qui doit son nom au célèbre économiste britannique John Maynard Keynes. Cette prise de distance a été la troisième rupture vis-à-vis de la décennie précédente. Selon le keynésianisme, l’état doit intervenir dans le cours de l’économie grâce à une politique budgétaire conjecturale. En se basant d’une part sur les analystes d’économistes prônant le libre marché tels que Milton Friedman et Friedrich Hayek et d’autre part sur les problèmes de l’économie britannique, Thatcher a radicalement rejeté la politique inspirée du modèle keynésien.
Margaret Thatcher a également mis fin à une quatrième tradition, à savoir la négligence de l’inflation, soit la montée des prix en économie, comme phénomène monétaire. Dans les années 70, la grande majorité des économistes étaient d’avis que l’inflation pouvait être freinée en diminuant les déficits budgétaires et en contrôlant les prix et les salaires. La banque centrale devait créer moins d’argent afin de maîtriser l’inflation, même si cette mesure s’accompagnait d’une forte récession et d’un taux de chômage élevé pendant une période de transition. A l’instigation de Thatcher, la Banque d’Angleterre a introduit cette politique monétaire qui a mené à une récession infernale, mais également à une maîtrise structurelle de l’inflation.
Finalement, Thatcher a très ouvertement manifesté son aversion à l’égard de la naissance d’un super état européen. Dans le meilleur des cas, elle considérait l’idée européenne comme une grande zone de libre marché. Lorsqu’elle a découvert que le Royaume-Uni payait sa contribution à l’Europe, elle a exigé, à la consternation de la plupart des leaders européens : « I want my money back ». Depuis Thatcher, les relations entre l’Angleterre et l’Europe sont restées tendues. Thatcher était également très critique à l’égard de l’euro et de l’union monétaire. Dans ses mémoires parues en 2002, elle écrivait que « la monnaie unique européenne est vouée à l’échec, sur les plans économique, politique et social ; le timing, le motif et les conséquences sont forcément encore indistincts.
Nul doute que le décès de Margaret Thatcher suscitera à nouveau la polémique autour de son personnage. Toutes les nuances entre « une mégère ultralibérale, antisociale » et « une responsable politique courageuse et clairvoyante » passeront la revue une fois de plus. Le fait est que Thatcher a fondamentalement changé le cours de l’histoire de l’Angleterre, et en partie celle de l’étranger aussi. La libéralisation aveugle du secteur financier fait certainement partie de ses plus grandes erreurs. Elle a foncièrement sous-estimé la singularité du secteur financier et la façon dont ce secteur peut prendre le reste de la société en otage en cas de grands problèmes.
Johan Van Overtveldt
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