« Les changements de noms des partis: un effet de mode et un mimétisme commercial »
Pierre Verjans, politologue à l’université de Liège, analyse les mutations anoncées du MR et du CDH: « C’est avant tout une façon d’attirer l’attention. Même si cela peut aussi être lié à une nécessité de contenu. »
Le MR pourrait se renommé « Mouvement des libertés ». Le CDH annonce, lui aussi, un changement de nom. Ces mutations s’inscrivent dans la continuité d’une volonté politique deséduire à nouveau les citoyens. Mais n’en est pas encore à refléter l’instabilité politique française. L’avis de Pierre Verjans, politologue à l’université de Liège, auteur d’une Introduction aux idées et doctrines politiques (2017) qui évoquait l’évolution des lignes de fracture politique.
Comment percevez-vous ces changements de noms annoncés?
C’est avant tout un effet de mode. Ce n’est pas nouveau, ce fut beaucoup le cas au début des années 2000 et les libéraux flamands de Guy Verhofstadt avaient même initié le mouvement en 1997. C’est un mimétisme de ce qui se fait au niveau commercial, avec ces marques qui se renomment régulièrement.
Cela étant, ce n’est pas toujours acquis: quand Elio Di Rupo avait envisagé un moment de changer le nom du Parti socialiste, en 2011, il avait été fortement critiqué et il n’a pas changer que le logo – et encore… D’ailleurs, quand le SP.A s’est transformé en Vooruit, du côté flamand, beaucoup de socialistes francophones ont reproché l’abandon de toute référence au socialisme.
Changer de nom, est-ce toutefois une nécessité?
C’est avant tout une façon d’attirer l’attention. Même si cela peut aussi être lié à une nécessité de contenu.
En ce qui concerne les libéraux, le terme de « réformateur » s’est imposé quand Jean Gol a fait un OPA sur le parti à la fin des années 1970. C’était, à l’époque, une référence aux réformateurs de Giscard en France. Cela signifiait quelque choise, mais il est vrai que le MR se définit davantage par son identité libérale. C’est, en somme, un retour aux fondamentaux du parti. Pour reprendre encore un vocabulaire comercial, cela va conforter leur core business, leur coeur de cible.
En même temps, il y a forcément des gens qui mettent déjà en avant le caractère contradictoire du mot « libertés » alors que ce parti fait partie d’un gouvernement qui veut imposer la vaccination au personnel soignant, forcer l’accès au travail ou qui a mis fin à la liberté de circulation pendant la pandémie. Le Mouvement des libertés dit davantage ce que les libéraux pensent d’eux-mêmes, en réalité.
En ce qui concerne le CDH, on a le sentiment que le mot « humaniste » n’a jamais vraiment pris?
C’est vrai. Qui plus est, le paradoxe était que ce mot, dans le discours sociologique francophone, s’apparente davantage à la franc-maçonnerie. Quand Joëlle Milquet avait abandonné le mot « chrétien » à son profit, en 2002, certains franc-maçons s’étaient d’ailleurs écriés.
De façon générale, les mots « humaniste », « centre » et « démocrate » ne sont pas des mots qui définissent beaucoup, ils n’illustrent pas la différence du CDH.
Ces changements de nom sont-ils cosmétiques? Cachent-ils un difficulté à changer sur le fond?
Les francophones de Belgique regardent souvent ce qui se passe en France. En Marche, les Républicains, la France insoumise…: ce ne sont pas non plus des mots qui définissent fortement au niveau du contenu. Seul Emmanuel Macron a, en fait, réalisé une mutation complète en changeant tout, le nom et le contenu à partir de rien.
En 2017, au moment de la campagne de Macron, j’avais été invité par les Jeunes CDH qui me demandaient si cela montraient que l’on pouvait encore se positionner au centre. L’évolution de Macron lui même a démontré que c’était difficile: rapidement, on s’est rendu compte qu’il était de droite.
Vous évoquez dans votre livre l’évolution des lignes de fracture politiques. Les partis sont-ils encore en adésquation avec celle-ci?
Le problème de l’image et du nom, c’est une question qui concerne les réseaux sociaux. C’est évidemment plus difficile de travailler sur le fond. La question des structures et des institutions est certainement plus difficile à manier pour, osons-le mot, envisager la façon de donner davantage de bonheur aux citoyens.
Faut-il une recomposition du paysage politique, par exemple? En France, pour reprendre cette comparaison, il y a une instabilité beaucoup plus grande. Nous sommes davantage germaniques, en réalité. Notre système repose encore fortement sur des piliers, syndicalistes, mutuellistes…
Mais la ligne des partis, en Belgique francophone, est-elle toujours cohérente par rapport à l’idéologie de base? Certains ironisent en disant que le MR devrait se rebaptiser « conservateur »?
Quand on regarde l’histoire des idées politiques dans notre pays, il y a toujours eu un écart entre les électeurs, les militants et les cadres du parti. C’est une reconstruction de l’histoire que de songer à une plus grande cohérence par le passé.
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