Claude Demelenne
Les capitalistes rouges vont-ils tuer le PS liégeois?
Stéphane Moreau et sa garde rapprochée dirigent toujours Publifin-Nethys. Pas gênés par leurs salaires de nabab, ils presseront le citron jusqu’au bout. Le PS liégeois paiera la note.
La politique est affaire de symboles. Pour le PS liégeois, le symbole Moreau est désastreux. L’homme qui tire les ficelles de « la plus grande intercommunale du monde » sera probablement toujours à son poste en octobre prochain, lors des élections communales. Un fameux boulet! Car l’opinion publique associe Moreau au socialisme bling-bling (même s’il a été exclu du PS) et à la morgue des parvenus. Elle pourrait sanctionner le PS liégeois, coupable d’avoir perverti le bel idéal d’une initiative industrielle publique au service de tous les citoyens.
Des bâtons pour se faire battre
A court terme, Stéphane Moreau et le management de Publifin-Nethys gèrent une société financièrement performante. En 2017, le chiffre d’affaires a encore augmenté de 39 millions. A plus long terme, ils sont les fossoyeurs de l’initiative industrielle publique. Leur arrogance de golden boys nuit gravement au modèle économique liégeois que la droite libérale – à l’exception de Christine Defraigne – veut détricoter parce qu’elle est dogmatiquement pour le « tout au privé ». Le PS tendance Moreau a tendu au MR des bâtons pour se faire battre. Il a rendu inaudible le discours
des socialistes choqués par les dérapages de Publifin-Nethys, mais qui refusent de jeter le bébé avec l’eau du bain.
Les nombreux socialistes liégeois qui n’ont jamais approuvé les méthodes Moreau sont sur la défensive. A la veille d’une élection communale potentiellement ravageuse, ils peinent à faire entendre une petite musique différente. Et à répondre aux questions que se pose une large part de l’électorat de gauche : à quoi bon une initiative industrielle publique si c’est pour cultiver la même opacité que dans les multinationales ? Si c’est pour reproduire les mêmes écarts surréalistes de salaires ? Si c’est pour distribuer les cadeaux aux top-managers et réserver les miettes aux travailleurs ? Si c’est pour recourir systématiquement à des consultants privés surpayés (600.000 euros/an plus les frais pour le principal conseiller de Stéphane Moreau)?
Jean-Claude Marcourt et l’argent roi
L’initiative industrielle publique à la sauce Moreau-Marcourt ressemble à un capitalisme rouge qui ne dit pas son nom. Le patron de la coupole provinciale du PS liégeois est sans doute sincère lorsqu’il se dit opposé au règne de l’argent-roi. Mais il a longtemps été le plus grand défenseur du modèle Publifin-Nethys, fermant les yeux sur ses aspects les plus abracadabrantesques et dérangeants pour le peuple de gauche. On aimerait que Jean-Claude Marcourt frappe du poing sur la table lorsque Pierre Meyers, le riche homme d’affaires liégeois, grand défenseur de Stéphane Moreau, qui préside le conseil d’administration de Nethys, déclare dans une interview au « Soir » qu’il fait travailler ses juristes afin de trouver les arguments pour ne pas appliquer dans son entreprise le décret gouvernance, imposant de ramener à 245.000 euros le salaire maximal des gestionnaires publics. Ils seraient plus de vingt hauts cadres, chez Nethys, à dépasser ce qui pour Meyers, représente sans doute un salaire de misère.
Pierre Meyers, ancien dirigeant de la multinationale CMI, tient des propos où suinte un mépris de classe qui devrait faire réagir le socialiste Jean- Marcourt. Contestant la réduction de la rémunération des administrateurs, Meyers déclare : « J’ai fait le calcul. Vous croyez qu’on va attirer des administrateurs professionnels, compétents, en gagnant 2,41 euros par jour ? Certains m’ont dit : ‘C’est le tarif du voiturier' ». Pour rappel, fin 2016, Stéphane Moreau avait écrit aux membres du personnel de Publifin-Nethys pour leur annoncer une bonne nouvelle : chacun d’entre eux allait recevoir une prime de Noël de … 35 euros. Moreau, pour sa part, en plus de son salaire fixe de l’ordre de 600.000 euros, toucherait des bonus qui peuvent atteindre plusieurs centaines de milliers d’euros.
L’initiative industrielle publique est discréditée par des agissements dignes des grands patrons rapaces à la tête des multinationales. C’est ce que ne semblent toujours pas avoir compris certains socialistes liégeois qui veulent sauver coûte que coûte Stéphane Moreau et ses top managers, soi-disant incontournables pour développer l’économie et l’emploi à Liège. Emmenés par Jean-Claude Marcourt, ces socialistes à oeillères refusent de voir à quel point Moreau et ses adjoints « surdoués » jouent, d’un point de vue éthique, le rôle de repoussoir pour l’électorat de gauche. Celui-ci pourrait se tourner vers le PTB et Ecolo, infligeant au PS liégeois un recul historique.
Socialisme liégeois en crise
La bonhomie de Willy Demeyer, un bon bourgmestre, à la fois fin stratège et proche des gens, permettra sans doute au PS liégeois de limiter la cassse. Il n’en demeure pas moins que le socialisme, dans la cité ardente, est en crise. Pour en sortir par le haut, les socialistes ne feront pas l’économie d’une réflexion interne sur ce que doit être une initiative industrielle publique dans un environnement capitaliste.Peut-elle se contenter d’être un clone du privé ou doit-elle, au-delà de l’aspect financier – dégager des bénéfices au profit de ses actionnaires publics – développer ses valeurs propres (participation des travailleurs, transparence, grille des salaires moins inégalitaire…).
Le départ à court terme – peu probable – de Stéphane Moreau, donnerait une bouffée d’oxygène à un PS liégeois qui sera perdant en terme d’image si, au contraire, le patron de Nethys s’accroche à ses millions. Les capitalistes rouges ne tueront pas cette fois le PS liégeois mais à moyen terme, ils lui préparent des lendemains qui déchantent. La plus grande fédération du PS tournera-t-elle enfin le dos au capitalisme rouge ? Sur ce coup, elle joue sa survie.
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