Les « bienfaits » de la colonisation font à nouveau débat
La question des aspects positifs de la colonisation a continué lundi à faire débat devant la commission de la Chambre qui se penche sur le passé colonial de la Belgique. Un ancien ambassadeur belge s’est attiré les critiques de quelques députés quand il a pointé du doigt un exercice « à charge » et regretté des travaux qui lui paraissaient marqués par le courant décolonial américain.
Depuis quelques semaines, des historiens se succèdent devant cette commission pour mettre en avant la violence envers les populations locales et leur exploitation qui fondent l’entreprise coloniale, une façon de briser un consensus national encore bien ancré selon lequel la Belgique, malgré des errements, a apporté nombre de bienfaits à ses colonies. Plusieurs d’entre eux ont d’ailleurs mis en garde certains parlementaires contre la tentation d’une approche sous forme de bilan dans lequel, à côté des aspects négatifs de la colonisation, seraient inscrits les aspects positifs.
L’historienne Amandine Lauro (ULB) l’a fait encore remarquer lundi. Son collègue Benoît Henriet (VUB) a rappelé quelques-unes des caractéristiques de la politique coloniale belge, notamment une faiblesse de l’Etat dans certaines régions, la survivance des travaux forcés alors qu’ils avaient en principe été abolis en 1908 voire des cas de corruption de fonctionnaires par des entreprises privées. Et quand les abus étaient constatés, les Européens sur place hésitaient à les dénoncer pour ne pas alimenter un climat anti-européen qui auraient pu nuire à leurs intérêts.
« Je me pose la question de la véritable raison d’être de cette commission quand on voit que systématiquement tout ce qui est à charge est mis en avant et qu’il semble y avoir un consensus pour qu’aucun autre aspect bilantaire ne puisse être mis en avant », a réagi Reiner Nyskens, ambassadeur au Congo de 2000 à 2004.
« L’Etat belge a créé les conditions d’insertion de ces territoires par la technique, les services à la population, le système monétaire, les infrastructures, etc. », a-t-il ajouté, soulignant que « peu de pays en 51 ans parviennent à réaliser une courbe de développement aussi importante ». A ses yeux, la « gestion rigoureuse » de la Belgique au Congo contraste avec la gestion qui a suivi l’Indépendance. « Essayons de trouver des choses positives, il y en a. Sinon, nous pouvons refermer les livres d’Histoire », a-t-il conclu.
A gauche, les propos ont surpris. « Une parole à la marge du consensus scientifique et qui flirte avec la nostalgie du passé colonial », a souligné Guillaume Defossé (Ecolo-Groen). Marco Van Hees (PTB) s’est quant à lui demandé si la conception exprimée permettait d’analyser l’action de la Belgique à l’époque coloniale et post-coloniale.
« Je comprends ce plaidoyer mais il faut tout de même nuancer bien des choses qui ont été dites. L’effort d’anesthésier quelque peu les méfaits de la période coloniale est quelque chose de dépassé. Il faut reconnaître qu’il y a eu des méfaits. Et la situation post-coloniale n’est pas un argument pour embellir la période coloniale. Au contraire, si l’édifice colonial était si bien fait, comment a-t-il pu se détruire en si peu de temps? » a répondu pour sa part le professeur Isidore Ndaywel è Nziem (Université de Kinshasa).
L’historien congolais a toutefois jugé que son pays ne devait pas être « l’otage du dossier mémoriel ». « Nous aurions voulu ne pas revenir constamment sur cette page de l’histoire. Dans notre histoire contemporaine, nous n’avons pas comme seul partenaire la Belgique ou d’autres pays européens. Nous avons des partenaires plus problématiques comme la Chine ou les Etats-Unis ».
Le cas du Congo est la plupart du temps évoqué dans la commission, et moins ceux du Rwanda et du Burundi. Le professeur Melchior Mukuri (Université du Burundi) est revenu sur la colonisation de son pays, dont il a dressé un portrait sombre, en citant notamment la ségrégation raciale qui la fondait ou la façon dont les colons avaient divisé la population locale en deux ethnies aux caractéristiques inventées et « caricaturales ». Ou en instaurant là aussi le « travail forcé » conçu comme un instrument de lutte « contre la paresse atavique des indigènes ».
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