Les banques financent-elles trop les énergies fossiles? « On ne peut tout couper du jour au lendemain »
Les banques belges restent-elles trop complaisantes envers les acteurs investis dans les énergies fossiles? Non, estime Febelfin, la Fédération belge du secteur financier, soulignant les vertus du label durable Towards sustainability.
Un récent rapport de l’ONG Fairfin dénonce le soutien persistant des grandes banques belges au financement des énergies fossiles. Qu’en pensez-vous?
Rodolphe de Pierpont, porte-parole de Febelfin: En Belgique, nous n’avons pas attendu le Green deal européen pour agir en faveur de la durabilité. Le secteur a notamment énoncé une norme, en particulier pour les fonds, visant à établir des critères uniformes et lisibles pour l’investisseur. Plutôt que de se limiter à des initiatives disparates comme il y a quelques années, où chaque banque avait son fonds labellisé plus ou moins vert, nous voulions amener davantage de transparence. C’est dans ce contexte que la norme Towards Sustainability a été créée. Une initiative Febelfin au départ, mais qui vit sa vie de manière indépendante, avec sa propre structure de gouvernance. Nous étions bien conscients que faire du greenwashing serait la meilleure manière d’ouvrir la porte aux critiques. Nous voulions donc des règles sérieuses, mais sans être dogmatiques ni des ayatollahs.
Nous voulions des règles sérieuses en matière de durabilité, mais sans être dogmatiques ni des ayatollahs.
L’urgence climatique, que souligne une fois de plus le dernier rapport du Giec, ne justifie-t-elle pas une césure plus brutale?
R. d. P.: Dans une économie qui, tous secteurs confondus, repose encore très largement sur les combustibles fossiles, on ne peut pas couper tout financement du jour au lendemain. Je prends un exemple un peu caricatural, mais qui illustre bien cela: pour aller dans son champ, un maraîcher bio a souvent besoin d’un tracteur. Or, celui-ci fonctionne encore au diesel. Le débat est donc loin d’être simple. Towards sustainability a permis d’établir un socle minimal de règles ESG (NDLR: éthiques, sociales et de gouvernance), auxquelles les fonds concernés doivent se conformer. Le succès est au rendez-vous, puisqu’ils représentent plusieurs centaines de milliards d’euros d’investissements. Pas seulement à l’échelon belge. Une série d’émetteurs étrangers, qui ne disposaient pas de leur propre norme, ont repris la nôtre. L’ agenda est très clair: on vise une décarbonisation de la société d’ici à 2050.
Faut-il au minimum resserrer la vis pour l’allocation de moyens financiers destinés à des projets d’investissement qui ne réduisent pas la dépendance aux énergies fossiles des entreprises concernées?
R. d. P.: Il faut distinguer deux types d’entreprises. Pour autant qu’elle soit sérieuse, toute grande société réfléchit désormais dans un schéma de transition. Mais les plus petites et les indépendants ont également un rôle à jouer, dès l’instant où il y a une machine et des locaux. La transition énergétique doit s’opérer de manière telle que leurs marges restent suffisantes, sans menacer leur business model. Notre rôle est de faire en sorte que l’économie puisse continuer à tourner, tout en étant responsable. Les banques ont un rôle important à jouer et font déjà cette analyse, notamment dans l’octroi de crédits. Il ne s’agit pas de financer tout et n’importe quoi. Le cadre européen prévoit en outre que la banque devra classifier ses crédits en fonction de leurs qualités vertes, avec des conséquences très claires: un crédit qui ne serait pas vert devra être classifié de manière plus risquée et éventuellement nécessiter des réserves de fonds propres supérieures à l’échelon de la banque.
Le règlement européen SFDR distingue les fonds dits « article 8 », qui promeuvent de simples traits de durabilité, et les fonds « article 9 », qui doivent, eux, tendre vers des objectifs mesurables. Un maillon complémentaire à la norme belge?
Tom Van den Berghe, directeur finance durable: Ce règlement introduit des critères de transparence différents en fonction de la catégorie de fonds. Il ne s’agit pas d’une labellisation, ni de quelque chose de normatif. Ces catégorisations « article 8 » et « article 9 » sont basées sur l’autodéclaration des gestionnaires. Notre label, lui, établit des exclusions et des critères normatifs sur la matérialité des stratégies durables mises en oeuvre.
La durabilité au sens des fonds « article 8 » est peu contraignante: elle peut se limiter à une simple déclaration d’intention. Si 50% des fonds analysés en 2021 par la FSMA relevaient de l’article 8, 3% étaient compatibles avec les exigences de l’article 9, c’est peu…
T. V.d.B.: Oui, mais ces proportions vont progressivement augmenter. On observe que les fonds durables captent désormais 50 à 75% de l’argent nouvellement investi. Dans certaines banques, le pourcentage est encore plus élevé. Assez logiquement, presque tous les fonds catégorisés « article 9 » disposent du label Towards Sustainability, puisque leurs objectifs en matière de durabilité s’avèrent ambitieux. En revanche, il est intéressant de constater que seule la moitié des fonds « article 8 » ont le label. Cela signifie que les autres ne sont pas suffisamment durables pour pouvoir y prétendre.
Faut-il craindre, dès lors, que la catégorisation « article 8 » du SFDR ne prône qu’une durabilité de façade dans de trop nombreux cas?
T. V.d.B. : Oui et non. Il est vrai qu’elle ne fait pas beaucoup pour éviter le risque de greenwashing. Mais il ne faut pas pour autant que tous les produits relèvent, à l’avenir, de l’article 9: la plupart des fonds de cette catégorie présentent un profil de risque plus élevé, car il s’agit bien souvent d’entreprises de niche, innovantes ou plus récentes. Ce type de produits ne conviendra pas pour tous les investisseurs. Avec notre label, nous ne voulions pas créer une niche de quelques produits ultradurables, adaptés à une petite catégorie d’investisseurs. Nous prônons plutôt une gamme de produits durables de qualité, mais tenant compte de tous les profils de risque.
La rentabilité reste-t-elle un obstacle pour investir vert aux yeux de certains?
T. V.d.B.: Ce critère me semble à tout le moins dépassé. De nombreuses recherches ont conclu, en général, que la durabilité n’avait pas un impact négatif sur la rentabilité. Cela ne veut toutefois pas dire qu’il y a toujours un impact positif. L’ aspect temporel est par ailleurs important: sur le long terme, on peut considérer que les produits ESG présenteront moins de volatilité et de risque. A très court terme en revanche, il faut reconnaître que les fonds investissant dans les énergies fossiles peuvent encore s’ avérer très rentables.
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