Jules Gheude
L’ère post-belge a commencé (carte blanche)
Le blocage total que connaît actuellement la Belgique, ne peut que réjouir Bart De Wever. Dans la mesure où la preuve est désormais apportée que la Belgique est ingouvernable, rien ni personne ne peut s’opposer à ce que le Parlement flamand, fort de sa légitimité démocratique, proclame unilatéralement l’indépendance de la Flandre.
D’aucuns tirent argument du problème catalan pour souligner le caractère anticonstitutionnel, hors-la-loi, d’un tel scénario. Mais les deux situations ne sont en rien comparables.
La Catalogne ne représente que 1/15e du territoire espagnol. En partant, elle ne met pas fin à l’Espagne ni au pouvoir en place à Madrid, qui peut évidemment s’opposer à sa reconnaissance. Si la Flandre largue les amarres, c’est la déstabilisation complète de la Belgique et… l’absence de tout pouvoir à Bruxelles pour réagir. L’Union européenne ne pourrait qu’acter la chose. Un pays incapable de se trouver un gouvernement est un pays qui n’existe plus. Sa disparition entraîne de facto celle de sa Constitution et de son corpus juridico-législatif.
D’autres soutiennent que le sentiment séparatiste en Flandre ne concerne en fait qu’une minorité de la population. Pas plus de 16%. Mais les citoyens ne sont-ils pas censés voter en toute connaissance de cause ? Selon les derniers sondages, plus de 47% se prononcent en faveur de la N-VA et du Vlaams Belang, formations ouvertement indépendantistes. Le jour où leurs élus constitueront la majorité absolue au sein du Parlement flamand, ils auront toute latitude pour prendre leurs responsabilités. Il sera alors trop tard, pour certains électeurs, de s’indigner en disant : « Ce n’est pas ce que nous voulions ! ».
S’affirmer belgicain, penser qu’il est encore possible de « donner un avenir » à la Belgique relève d’un aveuglement total. Un bref rappel historique s’impose ici.
Le Royaume de Belgique naquit en 1830 de la volonté des grandes puissances européennes de l’époque, l’Angleterre notamment, pour faire barrage à la France. Les populations concernées n’eurent pas voix au chapitre. Le Congrès national belge fut le fruit d’un vote d’à peine 2% de la population. Quant au choix du souverain, il nous fut imposé par Londres.
Dès les premières années d’existence du pays, un Mouvement populaire flamand vit le jour, afin de s’insurger contre le sort fait à la langue et à la culture flamandes. De nature romantico-littéraire à ses débuts, il ne tarda pas a acquérir une dimension sociale et politique.
Au terme d’un combat de nombreuses décennies, les premières lois linguistiques furent acquises et la Flandre finit par obtenir ses lettres de noblesse sur l’échiquier politique belge.
Tout cela laissa des traces durables, comme on put le constater lors des deux conflits mondiaux du 20e siècle. Il en résulta, en tout cas, au Nord du pays, un sentiment collectif et puissant d’appartenance, transcendant les clivages politiques, et qui finira par déboucher sur le concept de Nation.
Sous sa forme unitaire, le Royaume de Belgique ne parvint pas à souder les Communautés belges de façon harmonieuse. La question royale et la guerre scolaire virent s’entre-déchirer le Nord et le Sud. La fixation de la frontière linguistique, en 1962, afficha clairement la dualité du pays. Quant au « Walen buiten de Louvain, en 1968, il entraîna la scission du parti social-chrétien en deux ailes linguistiques (les libéraux et les socialistes suivront le mouvement, respectivement en 1972 et 1979).
Après de longues années de palabres, la Constitution belge finit par intégrer une Belgique fédérale, composée des Régions et des Communautés.
Mais dès cette époque, le ministre-président flamand Luc Van den Brande, lança l’idée d’un confédéralisme à deux Etats, Flandre et Wallonie, avec cogestion de Bruxelles. Cela fut repris dans les cinq résolutions votées par le Parlement flamand en 1999. Cela est aujourd’hui au coeur du débat politique.
Echec de la Belgique fédérale, après celui de la Belgique unitaire…
En habile stratège, Bart De Wever vient d’amener Paul Magnette à dévoiler ses cartes en matière institutionnelle. On sait désormais que le président du PS est disposé à accentuer le démantèlement de la Belgique, en échange de liards accordés à la Wallonie.
L’option confédéraliste ne peut toutefois sauver le Royaume. Réduit à sa plus simple expression, l’échelon belge central ne tarderait pas à être jugé superflu par la Flandre. Pour Peter De Roover, le chef de groupe N-VA à la Chambre, le modèle idéal est celui où il n’y aurait plus d’élections belges… Bye bye Belgique !
Il importe désormais que les responsables wallons, bruxellois et germanophones se préparent à affronter l’ère post-belge.
Depuis 2010, le Gewif (Groupe d’études pour la Wallonie intégrée à la France) approfondit le scénario d’une Wallonie intégrée à la France, tel qu’il fut présenté par Jacques Lenain, haut fonctionnaire français aujourd’hui retraité, lors des Etats généraux de Wallonie du 9 mai 2009. Un scénario qui aurait le mérite de préserver, dans ses grandes lignes, l’héritage juridique belge et d’offrir à la Wallonie un statut particulier qui sauvegarderait ses acquis.
Cette formule prend pleinement en compte le fait que l’Etat français n’est plus un Etat jacobin, centralisé, autoritaire et uniforme, comme tant de commentateurs mal intentionnés essaient de le faire croire aux Wallons.
La Constitution française autorise, par son article 72, des statuts particuliers pour certains de ses territoires. En métropole, seule, présentement, la Corse bénéficie d’un tel statut (et aussi, mais avec une portée moindre, la Région d’Ile de France). Notons ici que les Corses ont rejeté, en 2003, une réforme renforçant l’autodétermination de leur région.
En outre, la Constitution prévoit explicitement une différenciation des statuts des collectivités territoriales d’outre-mer, pour tenir compte des spécificités de chacune, avec la possibilité de larges transferts de compétences de l’Etat (articles 73 et 74). Dès lors, une très grande variété de statuts est possible, qui vont du droit commun aménagé à de véritables statuts d’autonomie. C’est ainsi le cas en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, ce qui signifie non seulement des pouvoirs locaux plus puissants et pour lesquels les termes de parlement, gouvernement, ministre sont d’usage, mais aussi des corpus juridiques distincts, qui peuvent concerner de nombreux domaines du droit, tant du droit public que du droit privé, régis par les lois locales (« lois de pays ») et des règlements locaux (exemple : le code civil polynésien est largement distinct du code civil français de droit commun). L’Etat français n’exerce donc pour ces territoires autonomes qu’une compétence d’attribution pour des matières expressément réservées.
Il est donc évident que la République française a les aptitudes et les capacités nécessaires à proposer à et faire vivre en son sein un statut propre pour la Wallonie. Comme l’explique le constitutionnaliste français Didier Maus :
Il serait parfaitement possible de créer un titre spécial « De la Wallonie » qui contiendrait une mini constitution sur mesure pour cette région. Il en découle que, sur le fondement de cette mini-constitution, il serait parfaitement réalisable de conserver en l’état, au moins pour l’essentiel, et pour une durée à déterminer le droit belge du travail, celui de la sécurité sociale, et certains droits « connexes », des pans du droit fiscal, le droit des affaires, du commerce, etc. La région wallonne, et aussi la région bruxelloise si la question était posée, conserveraient les compétences qui sont aujourd’hui les leurs, y compris le système éducatif, avec l’enseignement supérieur. Ce ne serait pas une difficulté de faire de la sorte puisque il en est déjà ainsi, même si c’est avec moins d’ampleur, dans certains territoires français, qui, selon les cas, disposent d’une sécurité sociale propre (Polynésie, Calédonie,…), d’un droit du travail propre (même s’il est largement copié sur celui de la métropole), de nombre de dispositifs fiscaux particuliers, et d’autres régimes spéciaux dans divers domaines (en Corse comme Outre- mer).
Concrètement, cela signifie que la législation et les institutions wallonnes, qu’elles soient régionales, provinciales et municipales, pourront être intégralement conservées. Les compétences actuelles de la Région wallonne seront également maintenues, avec de rares exceptions comme, par exemple, l’octroi des licences de vente d’armes. Elles seront même enrichies de la plupart des compétences exercées aujourd’hui par la Communauté française, notamment l’enseignement.
Pour ce qui est de l’enseignement, précisément, il restera de cadre juridique inchangé au jour J de l’intégration. Mais rien n’empêche que des convergences puissent advenir ultérieurement. Si, par exemple, une demande wallonne s’exprimait pour un régime de baccalauréat, elle pourrait se concrétiser via un double changement législatif, en droit wallon obligatoirement et en droit commun français si nécessaire. En fait, ce raisonnement logico-juridique vaudra pour l’ensemble des matières de compétence wallonne.
Le statut des élus wallons ainsi que les règles électorales resteront intacts. Rien n’exclut cependant des négociations ultérieures avec Paris, dans une logique de donnant-donnant.
Point capital pour la Wallonie : son financement est garanti, puisque l’Etat français reprend à son compte les transferts actuels en provenance de Flandre (quelque 7 milliards d’euros).
Pour ce qui est du droit fédéral et des institutions fédérales, coupées en deux avec la partition du pays, ils relèveront de la compétence de l’Etat français. Une partie sera abandonnée le jour J (ex : diplomatie, armées, droit de la nationalité et de l’immigration,…), une autre le sera plus tard (ex : institutions et procédures judiciaires). Tout le reste est conservé pour une durée indéterminée (notamment le droit et les institutions de la sécurité sociale), sauf négociations, dans une logique de donnant-donnant ou de simple convergence souhaitée de part et d’autre.
Prenons le cas précis de la Justice. L’essentiel pourra être conservé, sauf contradictions pénales. Certains problèmes seront soumis, au fil de l’eau, au Conseil constitutionnel par la voie de la question préjudicielle de constitutionnalité, s’ils n’ont pas été traités en amont, lors de l’adoption du cadre d’intégration de la Wallonie. Ce cadre devra préciser, si besoin, en quoi il déroge au cadre constitutionnel de droit commun, aux principes généraux du droit français, etc.
La situation des ex-corps fédéraux sera envisagée secteur par secteur, mais l’intégration dans les corps homologues français devrait se faire sans licenciements, avec indemnité compensatoire si nécessaire, comme c’est la règle, et obligation éventuelle de mobilité géographique ou fonctionnelle.
Les élus « nationaux belges » deviendront des élus « nationaux français » et relèveront donc complètement du Droit français, en ce compris les règles électorales.
Mais pas de quoi s’inquiéter à cet égard. La France compte 925 élus nationaux (sénateurs et députés) pour 67 millions d’habitants. Les 11 collectivités d’outre-mer sont très surreprésentées. Pour les 3,6 millions de Wallons, cela donnerait 5%, soit 40/45 élus nationaux. Certes, il y a ce projet d’Emmanuel Macron visant à réduire de 20% l’effectif des élus nationaux. Mais cela resterait néanmoins très correct !
Que répondre à ceux qui affirment que les Wallons ne sont pas favorables à l’option réunioniste ?
Il n’est pas sans intérêt de comparer l’évolution de la Wallonie avec celle de la Savoie et de Nice.
En 1860, les Savoyards et les Niçois choisirent de quitter le Royaume du Piémont et la Maison royale de Savoie, auxquels ils avaient été fidèles durant plus d’un millénaire. Il n’y avait aucun consensus au départ. La période 1858-1860 se caractérisa par l’hésitation des élites et des populations concernées.
La France de 1860, unifiée, forte, prospère, aux institutions stables, à la culture identique ou proche, aux moeurs connues, parut finalement plus accessible aux Savoyards et aux Niçois que l’Italie, à l’unification territoriale inachevée, aux populations étrangères, à l’avenir économique incertain, et qui menaçait directement les intérêts de l’Eglise.
Il revenait donc à l’Etat français de rassurer et de séduire les intéressés. Dans la mesure où ceux-ci ne demandaient pas un régime politique et administratif particulier – les deux pays avaient déjà relevé du cadre français à peine quarante-cinq plus tôt -, les choses se déroulèrent de manière aisée. L’Etat français put ainsi garantir des conditions d’intégration favorables aux catégories d’intérêts en cause.
Les populations savoyarde et niçoise furent ensuite invitées à se prononcer séparément – une première en Europe – pour valider le transfert pacifique d’un territoire d’un Etat à un autre. Validation obtenue à 99%.
On le voit, entre la Savoie et Nice d’une part et la Wallonie d’autre part, nombre de similitudes s’imposent, tant dans les situations héritées du passé que dans les évolutions subies conduisant à la remise en cause d’une appartenance étatique pour lui en substituer une autre.
De même que l’Etat français fut hier le nouvel Etat apte à accueillir les Savoyards et les Niçois, devenus des étrangers au sein de l’Etat-nation italien en devenir, il peut être demain celui dont auront besoin les Wallons lorsque l’émergence d’un Etat-nation flamand aura entraîné la désintégration du Royaume de Belgique.
(1) Dernier livre paru : « La Wallonie, demain – La solution de survie à l’incurable mal belge », Editions Mols, 2019.
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