L’enquête Tecteo sur l’immobilier, d’Ans à Chypre
L’enquête Tecteo du juge d’instruction liégeois Philippe Richard s’est hasardée sur le terrain privé des projets d’investissement de Stéphane Moreau, en soulevant de nombreuses interrogations. Moreau se défend d’avoir investi un euro à Chypres et dénonce une violation du secret professionnel du côté des enquêteurs.
Le Vif/l’Express dévoile, en exclusivité, ce jeudi un volet peu connu de l’enquête du juge d’instruction liégeois Philippe Richard sur de possibles abus de biens sociaux au préjudice de l’intercommunale Tecteo. Ces faits n’ont pas été dénoncés dans les lettres anonymes de 2008 et 2010, qui ont justifié la mise à l’instruction, mais ils sont apparus au fil des onze perquisitions menées aussi bien chez Tecteo, Ogeo Fund, Be TV, qu’en divers domiciles privés. Il s’agit de projets immobiliers que Stéphane Moreau, directeur général de Tecteo et bourgmestre actuel d’Ans, a nourris pendant quelques temps à Ans et à Nicosie, dans la partie turque de Chypre.
Dans le premier cas, il a été brièvement associé, en 2007, avec un entrepreneur italo-liégeois de sa commune, Gaetano Lana, mais il s’est retiré très rapidement de cette association (la SA GLM Invest, devenue SA BDW), en revendant ses parts, en 2012, à Dominique Janne, l’homme d’affaires bruxellois bien connu (Novo Belgium Holding), producteur de cinéma (Le roi danse, Podium…) et consultant chez Tecteo depuis 2009.
Le permis d’urbanisme délivré par la commune d’Ans au premier projet de BDW (34 appartements, 25 garages, 35 caves), situé rue de Fêchereux, à Xhendremael (Ans), n’a été entaché d’aucune irrégularité. Le bourgmestre, Stéphane Moreau, était absent, lors de la décision du conseil communal qui a traité ce dossier. Malgré son retrait rapide de la société BDW, Stéphane Moreau est resté en contact avec Gaetano Lana dans le cadre d’un autre projet immobilier, mené, cette fois-ci, sous la conduite de Dominique Janne, à Nicosie, dans la partie turque de l’île de Chypre. Il s’agissait, en 2010, d’investir dans des logements sociaux construits par la société Karalim, à l’initiative de la municipalité turque de Nicosie.
Les « investisseurs belges », ainsi qu’ils étaient désignés dans les travaux préparatoires, devaient apporter ensemble et à parts égales un million d’euros, qui devait transiter par la société de Dominique Janne, Novo Belgium Holding, pour alimenter la société de droit chypriote Domega, formée par les « investisseurs belges » et l’homme d’affaires chypriote Mehmet Karalim.
L’immeuble a été inauguré le 20 juillet 2011. Mais dans les actes officiels de la société Domega, on ne trouve nulle trace de Stéphane Moreau aux côtés de Dominique Janne, Gaetano Lana et Mehmet Karalim, qui, eux, figurent bel et bien dans le livre des actionnaires de Domega. Après une visite privée sur place, Moreau s’est rendu compte que cet investissement était risqué et a décidé de se retirer du projet.
Dans un entretien qu’il a accordé au Vif/L’Express, le directeur de Tecteo donne, pour la première fois, sa version des faits : « J’ai investi 70 000 euros dans une société avec Monsieur Lana, que je connais de longue date. J’ai revendu ces participations pour le prix initial, il y a plusieurs années, et avant le démarrage concret du moindre projet. En effet, j’ai estimé que les fonds complémentaires à investir et le risque y afférent ne me convenaient pas. Mon ami Dominique Janne m’avait proposé d’investir avec lui dans un projet à Chypre. Après visite sur place et estimation du risque, j’ai décidé de ne pas participer à ce dossier. Je n’ai donc jamais investi un euro à Chypres, ni dans aucun autre pays étranger d’ailleurs. »
Pourquoi ces projets d’investissements immobiliers, restés à l’état de projet dans le chef de Moreau, selon ses déclarations, intéressent-ils la justice ? Parce que, dans le cas d’Ans, les avances consenties par Moreau à BDW (Gaetano Lana) ont tardé à être remboursées. Et que, pour Chypre, le rôle de consultant extérieur de Dominique Janne à Tecteo pouvait laisser penser à un emploi de complaisance, ce que celui-ci nie farouchement, ainsi que Stéphane Moreau. Une mission de Tecteo s’est rendue à Nicosie en juin 2010, pendant que se préparait l’ « opération Cyprus ». Cette mission était composée de Stéphane Moreau et de deux de ses cadres. Elle était justifiée sur le plan professionnel, soutient le directeur général de Tecteo, rapport à l’appui.
La justice liégeoise ne s’est pas encore prononcée ni sur ce volet de l’instruction, ni sur les autres. Interrogée sur l’enquête Tecteo à la mi-février, Danièle Reynders, procureur du roi de Liège, répondait alors au Vif/L’Express, brièvement : « Le parquet suit l’instruction et demande des devoirs. »
Dans sa réaction publiée dans Le Vif/L’Express, ainsi que notre enquête et les documents qui l’étayent, Stéphane Moreau défend son intégrité personnelle et s’étonne de la nouvelle violation du secret professionnel qui a permis de mettre de telles informations dans les mains de notre magazine. Il pointe un doigt accusateur vers les « experts judiciaires Deblinde et Labille, frère du Ministre du même nom… ».
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