Peter Mertens
« L’élite grappille, gratte et s’engraisse comme jamais auparavant »
» L’Europe sera démocratique, durable et sociale, ou ne sera pas » déclare, Peter Mertens, le président du PTB. Il s’apprête à sortir un nouveau livre, Graailand (qu’on pourrait traduire par » Le pays des grappilleurs « ), à paraître en néerlandais en décembre. Dedans, il s’en prend à l’élite qui » grappille, gratte et s’engraisse comme jamais auparavant « , tout en gelant les salaires des travailleurs et en imposant l’austérité. En voici un avant-goût, où il est aussi question d’une alternative positive pour l’Europe.
L’élite grappille, gratte et s’engraisse comme jamais auparavant. Impunément, des millionnaires et des multinationales fourrent des milliards d’euros dans des sociétés-écrans et dans des paradis fiscaux. Des politiciens surpayés virevoltent dans les portes tournantes qui mènent du monde politique à celui de la grande entreprise et vice-versa, et n’en sont jamais inquiétés. La crise, dites-vous ? Quelle crise ?
L’élite grappille, gratte et s’engraisse comme jamais auparavant
La crise, c’est pour les losers, disent les membres de cette caste, et, une fois de plus, ils augmentent les taxes et gèlent les salaires. Nous vivons quand même au-dessus de nos moyens, non ? Pendant ce temps-là, l’argent frais coule vers de nouvelles bulles de spéculation, jusqu’à l’éclatement. Plus les rapaces sèmeront la misère, plus ils récolteront de résistance contre les élites.
Une statue pour Coucke et Huts ?
« Nous devrions ériger une statue à Marc Coucke et à Fernand Huts », disait récemment le vice-premier ministre Jan Jambon dans une interview. L’idolâtrie vis-à-vis des dieux des grosses fortunes gagne du terrain. Alors qu’un milliardaire comme Marc Coucke ne paie pas un centime d’impôt sur la plus-value qu’il encaisse lors de la vente de ses actions, de plus en plus de nos compatriotes se retrouvent sous le seuil de pauvreté. Alors que des propriétaires d’immenses parcs de panneaux solaires comme Fernand Huts sont gonflés à la pompe des subsides, les ménages et les isolés se plaignent qu’il y ait de plus en plus de taxes sur l’électricité et sur l’eau.
Et ceux qui deviennent plus âgés n’ont qu’à tirer leur plan. Les maisons de repos deviennent hors de prix, marchandisées et livrées à la ruée vers le profit maximal. Certains homes privés ne consacrent que trois euros par jour à peine aux repas, se moquant totalement de la dignité de nos seniors. Même les soins de nos concitoyens sont confiés à des multinationales comme G4S, afin de générer rapidement du fric sur le dos des sans-abri et des réfugiés. Mais jusqu’où cela va-t-il aller ?
Bien sûr, la lave bout et gronde dans les entrailles de la société. Récemment, on apprenait que plus d’un dixième de la population européenne – 54 millions de personnes – va devoir faire un choix douloureux, durant l’hiver qui arrive, entre se nourrir et se chauffer. Ils vivent au-dessus de leurs moyens, nous bassinent un cortège de faiseurs de beaux jours. Le fossé entre la politique traditionnelle et le peuple n’a jamais été aussi profond. Une caste de politiciens à dix mille euros, coupés du peuple. Avec le même jargon, les mêmes costards, les mêmes pompes aux pieds et la même ignorance du monde.
Ils imposent des gels de salaires au peuple, mais estiment que les CEO des grandes entreprises ne gagnent pas encore assez. Ils sont aux commandes de la Commission européenne, mais imposent un régime de famine aux Lettons, aux Irlandais, aux Grecs et autres Portugais. Et, après ça, en reconnaissance de services rendus, ils héritent d’un poste grassement payé dans une grosse banque ou une grande entreprise. Comme José Barroso à Goldman Sachs International, ou Karel De Gucht chez ArcelorMittal. Voilà la nouvelle normalité, et ceux qui posent des questions critiques se font taxer de « populisme » ou d' »extrémisme ».
Le plus grand mythe de notre époque : « Il n’y a pas d’argent »
Le plus grand mythe de cette époque, c’est qu’il n’y aurait pas d’argent. De l’argent, il y en a plus que jamais, mais il est aussi plus mal redistribué que jamais. Près de neuf ans après le déclenchement de la crise bancaire, 62 multimilliardaires possèdent autant que les 3,5 milliards de personnes les plus pauvres de cette terre. Ce n’est pas un problème de chiffres. C’est un problème de démocratie. Ils ont complètement déglingué la fiscalité, et, au final, une femme à journée paie plus d’impôts qu’une multinationale. Cette année, il s’est avéré une fois de plus que les 50 plus grosses entreprises de ce pays qui contournent les impôts n’en paient qu’un tout petit 2,7 %, alors que, légalement, elles devraient en payer dix fois plus. À elle seule, l’évitement fiscal de ces 50 entreprises coûte à notre État 6,9 milliards d’euros par an.
Dans le même temps, le trou dans le budget s’élargit et, d’année en année, les taxes imposées au commun des mortels grimpent en flèche. Et il n’est toujours pas question d’un impôt sur les fortunes. Impunément, les grandes entreprises entassent des milliards d’euros dans des sociétés-écrans au Panama, en Suisse ou au Luxembourg. Cela aussi coûte un paquet d’argent à l’État. Nous sommes impuissants, bêle le monde politique en choeur. Et, dans la foulée, ils désignent Jean-Claude Juncker comme président de la Commission européenne. Juncker, l’homme qui était parfaitement au courant de l’évasion fiscale à grande échelle qui passait par son propre pays, le Luxembourg. Plus cynique que ça, tu meurs. À la Commission, Juncker succède à Barroso qui, depuis, a trouvé du boulot chez Goldman Sachs tout en touchant par-dessus le marché une pension de 7 000 euros par mois. Même un bon populiste ne pourrait imaginer une telle absurdité. Et pour bien emballer la marchandise, on nous envoie ensuite des présidents de partis du genre Gwendolyne Rutten (Open VLD), qui viennent nous dire froidement que l’inégalité a du bon pour nous tous. Cette rapacité éhontée, c’est de l’huile sur le feu de la résistance. Et celle-ci éclate dans toutes les directions.
Du savon liquide pour de nouvelles bulles
Tout le discours sur l’euro doit changer radicalement. Dès le début, l’euro a été taillé sur mesure pour les grandes entreprises allemandes. Il a accru tous les déséquilibres de ce continent. Les produits allemands, maintenus à bas prix grâce à une absurde politique de bas salaires en Allemagne même, ont littéralement envahi l’Europe nouvelle. Aux confins de l’Union, on est allé emprunter des grosses sommes bon marché auprès des banques d’Allemagne, de France et du Benelux. L’argent allemand est parti en promenade. « Exporter du capital », comme on dit. Dans les cinq premières années de l’euro, entre 2002 et 2007, quelque 563 milliards d’euros ont quitté le territoire allemand.
Mais quelle absurdité. Dans la périphérie de l’Europe, avec tout cet argent emprunté, on a importé massivement des tas de produits et de services. Les économies locales ont été balayées de la carte et l’Allemagne est devenue la championne du monde des exportations. Jusqu’au moment où boum ! Bardaf ! La crise bancaire. Car il fallait bien qu’un jour cette économie de gonflette explose. Et c’est alors qu’a débarqué la Troïka, pour imposer d’une main de fer des plans d’austérité absurdes aux pays de la périphérie. Tout ça n’a servi à rien.
Depuis avril 2016, la Banque centrale européenne injecte mensuellement 80 milliards d’euros dans l’économie européenne. Quand la planche à billets a démarré, une injection de 1 100 milliards d’euros avait été prévue et le programme allait se terminer en septembre 2016. Mais, depuis, il a déjà été prolongé jusqu’en mars 2017. La planche à billets continue à fonctionner à plein régime. Mais l’économie ne redémarre pas. Les bourses bien, car, dans l’intervalle, les grandes entreprises rachètent leurs propres parts avec cet argent gratuit. Les grandes banques privées assainissent un peu leur situation précaire et, pour le reste, l’argent frais afflue surtout vers de nouvelles activités spéculatives. C’est ainsi que la politique monétaire se mue en savon liquide qui permet de gonfler de nouvelles bulles financières. Mais nous le savons tous : un jour ou l’autre, les bulles de savon, ça éclate…
Un travail d’extinction contre-productif tant que l’addiction à l’austérité se poursuivra
On ne peut pas résoudre la crise uniquement avec une politique du fric. Cela ne sert à rien d’insuffler de l’oxygène si, dans le même temps, on resserre la corde autour du cou du malade. Or c’est ce qui se passe avec une politique économique qui continuer à trancher dans le pouvoir d’achat de millions de citoyens en Europe. Le travail d’extinction de la banque centrale restera contre-productif tant qu’on n’en finira pas avec l’austérité.
Dans les pays plus riches de l’OCDE, plus de deux tiers des ménages ont vu leurs revenus réels baisser entre 2005 et 2014, selo, le bureau d’étude McKinsey en automne 2016. On parle de 540 millions de personnes qui ont vu leur revenu stagner ou diminuer. Il ne faut pas être surdoué en économie pour comprendre que, du coup, on consomme moins. De même, les investissements publics se font de plus en plus attendre. C’est presque devenu une loi avec le Pacte de stabilité et de croissance, qui n’est pas moins qu’une entrave budgétaire pour les États membres de l’UE. Tant qu’il en sera ainsi, le Plan Juncker ne résoudra rien. Le prétendu plan d’investissement de Juncker n’est rien de plus qu’une goutte d’eau sur une plaque brûlante.
Il n’y a presque pas, voire pas du tout, d’investissements novateurs de la part des grandes entreprises privées non plus, d’ailleurs. Tous ou presque sont des investissements de rationalisation. « Fusions et reprises atteignent des hauteurs stratosphériques », titrait De Tijd l’an dernier. En attendant, les grandes entreprises européennes sont assises sur une montagne de capitaux de 3 200 milliards d’euros. Même le Financial Times décrit les nouveaux mastodontes comme des « sociétés superstars » et qualifie cette grotesque constitution de monopoles de « problème gigantesque ».
Une politique de l’espoir et non de la peur
La politique actuelle alimente l’antipolitique. En France, 80 économistes réputés ont lancé un appel parce qu’ils sont inquiets d’une possible montée de l’extrême droite. « Le chômage, la précarité, la difficulté à boucler ses fins de mois, marquent la vie de millions de nos concitoyens. Aux souffrances de la vie matérielle s’ajoutent la perte d’espérance, le sentiment que l’avenir est bouché pour notre pays et nos enfants. » Dans un appel commun publié dans Le Monde, ils y vont d’un plaidoyer ardent en faveur d' »un nouveau pacte productif à la fois écologique et social ». Ces 80 économistes de toutes tendances veulent une tout autre politique européenne. Ils écrivent : « Les pays européens sont ainsi engagés dans une course mortifère à la compétitivité par l’austérité dont l’objectif se résume à prendre des parts de marché et des emplois aux pays voisins. Il est temps d’abandonner cette politique qui conduit à l’enlisement sans fin dans la crise. » Et de réclamer un plan d’investissement ambitieux : ils veulent que les salaires les plus bas soient augmentés d’au moins 10 % et ils estiment que l’Allemagne devrait investir ses excédents commerciaux chez elle et, de la sorte, « réduire par le haut les déséquilibres commerciaux ».
Nous vivons un moment crucial dangereux : de cette crise peut surgir un nouveau cauchemar. Les nouveaux courants nationalistes et identitaires sont nés et ont grandi sur l’amas de décombres de la société du « moi, je-moi, je-moi, je », de la culture de la rapine et de la crise. Nous avons d’urgence besoin d’une tout autre réponse.
« Que vos choix soient guidés par l’espoir et non par la peur », disait Nelson Mandela. Pour répondre aux prophètes de la peur, aux Donald Trump, Marine Le Pen et Geert Wilders, nous n’avons pas besoin de « plus d’establishment ». Cela, les élections américaines l’ont bien prouvé ; ce n’est pas avec une candidate de Wall Street que l’on peut venir à bout de la démagogie agressive d’un Trump. L’Europe se trouve à un carrefour. Elle doit être refondée, comme un projet social, de coopération et non plus de concurrence de chacun contre chacun. L’Europe sera démocratique, durable et sociale, ou ne sera pas. Il y a énormément de talent dans ce continent – aussi et surtout chez les jeunes générations -, qui est prêt à s’investir à fond pour un avenir qui en vaut la peine. Bien sûr que c’est possible.
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