Anne-Sophie Bailly
L’édito d’Anne-Sophie Bailly : un cadre législatif pour éviter le flou du droit de grève
En l’absence de cadre législatif, les contours du droit de grève sont de facto fonction de la décision de chaque magistrat. Et donc le flou persiste : qu’est-ce qui est acceptable en cas de grève, qu’est-ce qui ne l’est pas ?
Lors de la grève générale d’octobre 2015 contre les mesures d’austérité prises par le gouvernement Michel, trois cents manifestants avaient bloqué le viaduc de Cheratte, sur l’autoroute E40, provoquant des embouteillages monstres, mettant une foule d’automobilistes en colère et causant d’importants dégâts à la chaussée. En novembre 2020, dix-sept syndicalistes, militants et dirigeants de la FGTB, étaient condamnés pour « entrave méchante à la circulation » par le tribunal correctionnel de Liège. Ce 19 octobre, la cour d’appel de Liège a confirmé ce verdict, l’assortissant de peines de prison avec sursis et d’amendes allant de 200 à 350 euros.
Cette condamnation a relancé le débat qui vit avec intensité depuis l’action intentée par la Région wallonne et la Sofico contre ces syndicalistes : porter cette affaire devant la justice, est-ce porter atteinte au droit de grève? Evidemment que oui, pour la FGTB qui dénonce « une entrave méchante à la liberté d’expression, à la liberté de manifester et d’exercer le droit de grève ». « Le droit de grève, même s’il est fondamental, n’est pas absolu et ne peut être retenu comme cause de justification », tranche de son côté la cour dans un arrêt longuement motivé.
La portée du jugement n’est en tous cas pas anodine : entraver méchamment la circulation pour faire entendre ses revendications est passible de prison. Reste à déterminer ce qui se cache derrière ce « méchamment ».
Ce débat-là non plus n’est pas près de s’éteindre. Dans l’argumentaire syndical, piquets de grève et distribution de tracts ne suffisent plus à véhiculer un message et se faire entendre justifie des moyens plus spectaculaires, plus durs. Du côté patronal, ce sont les recours aux référés et aux huissiers qui se multiplient pour faire lever un barrage ou récupérer l’outil. Les positions se tendent, la concertation sociale se grippe.
Et cela restera le cas tant que le droit de grève ne sera pas encadré par la législation belge. Cette absence de cadre législatif oblige la jurisprudence à combler ce manque et chaque magistrat à définir les contours de ce droit. A lui de trancher ce qui est acceptable dans le cas d’une grève et ce qui ne l’est pas. Ce qui est une entrave méchante à la circulation et ce qui ne l’est pas.
Tant que le flou juridique persistera, le bras de fer se poursuivra.
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