Marc Jansen
L’école publique en sursis en Fédération Wallonie-Bruxelles ?
Depuis le début, le pacte d’excellence porte en lui les germes d’un processus de marchandisation de notre enseignement et vise à aligner l’école sur les besoins économiques dans le cadre de l’économie dite du Mainstream.
Le plan de pilotage constitue l’un des piliers de cette refonte de l’enseignement née de l’appétit féroce d’une classe dominante qui veut en découdre avec l’enseignement public. En effet, pour permettre ce mode de gestion, les fonctions d’autorité régulatrice et de pouvoir organisateur de la WBE, réseau officiel, doivent être scindées afin de placer tous les PO à équidistance du pouvoir régulateur. Pour ce faire, le choix du gouvernement s’est porté sur la transformation du réseau WBE en OIP(1).
Cette opération comportait deux risques dont le second se vérifie dès à présent :
1) L’organisme OIP est une structure d’intérêt public fondée sur la personne morale. Dorénavant, la gestion de ce qui constituait auparavant un réseau public d’enseignement échappe donc au contrôle démocratique. Mais surtout, la distinction entre public et privé s’estompe par cette mesure.
2) Cette opération de privatisation va dans le sens d’un renforcement de la concurrence entre les différents réseaux d’enseignement, ce qui va entrainer un renforcement du marché scolaire, principale source de l’inégalité de résultats entre élèves de milieux favorisés et défavorisés. À cette crainte s’ajoute celle qu’une vieille revendication du SEGEC refasse surface : « obtenir l’égalité de traitement (subventionnement) entre enseignement privé catholique et enseignement officiel ». En effet, rien ne justifie plus de différence de traitement puisque l’OIP se rapproche d’une structure privée. Or, la WBE reçoit à l’heure actuelle une dotation (100%), alors que les autres réseaux sont subventionnés à 75% en raison du fait qu’ils bénéficient de bâtiments propres et de subventions externes (les communes et provinces, d’un côté, et la fabrique d’église et les fonds de donation d’origine cléricale ou privée, de l’autre côté).
Le SEGEC se lance donc comme prévu dans l’offensive et réclame 66 millions d’euros afin d’aligner son subventionnement sur la dotation de la WBE. L’enseignement public est pointé du doigt et le slogan « un enfant = un enfant » fait mouche auprès du grand public. Il ne serait pas étonnant que la pétition recueille plus d’un million de signatures en un temps record. Les défenseurs de l’école de « l’entre soi » (ghetto de riches), soucieux de préserver leur pré carré, se frottent les mains. Demain, la FWB, qui détenait déjà la particularité de scolariser plus de la moitié de ses élèves dans un enseignement de structure privée (caractéristique quasi unique au monde), va constituer le deuxième exemple, avec la Suède, d’un Etat qui a vendu son enseignement public au privé et qui transforme son système éducatif en un marché concurrentiel générateur d’inégalités scolaires, comme en témoigne l’évolution des résultats à l’enquête PISA des pays qui choisissent cette voie de privatisation.
Demain, le pouvoir subsidiant, face à des exigences telles que celles du SEGEC (qui va obtenir son refinancement car le conseil d’Etat n’aura plus aucun motif pour refuser) n’aura plus les moyens de subvenir au coût de son enseignement. C’est l’ouverture aux fonds privés qui entraineront une soumission des acteurs de l’enseignement aux intérêts privés (c’est déjà le cas au travers de l’intervention de Mc Kinsey dans l’élaboration du pacte) et à l’externalisation de certains pans de l’éducation auprès de sociétés privées. Une autre voie additionnelle ou alternative serait de mettre en oeuvre ce que les partis de droite ou de centre droite appellent de leurs voeux, à savoir la régionalisation de la filière qualifiante de notre enseignement. Cela reviendrait à distendre cet enseignement de son caractère émancipateur sur les plans social et culturel, vu les compétences de développement économique attribuées à ce pouvoir subsidiant. En d’autres termes, c’est la promesse d’un enseignement à deux vitesses…
Alors, il conviendrait de se poser la question suivante. Est-ce que tous ceux qui ont approuvé ce processus de scission de la WBE (aux motifs qu’il n’y a pas d’alternative, ou que c’est la seule solution pour obtenir un pilotage efficace de l’enseignement, ou encore qu’il n’y a rien à craindre du privé, de Mc Kinsey et que son expertise est souveraine, ou… ou…) vont maintenant signer la pétition du SEGEC au motif « qu’un enfant est égal à un enfant » ?
Notez que dans le cas où cet alignement de financement aboutirait, la boucle serait bouclée. Le droit pour tous les élèves à un enseignement de qualité, qui relève d’un bien collectif, et dont l’efficacité en matière d’équité ne peut être garantie que par son caractère public (c’est-à-dire au bénéfice de toutes les catégories de population), ne sera plus qu’un rêve d’ici quelques décennies.
Au travers de la réforme en cours, il est hélas à craindre que nous assistions à la plus terrible offensive du monde capitaliste et financier sur notre enseignement. Mais il est consternant de constater le manque de réactions des milieux progressistes qui se taisent dans toutes les langues.
L’enseignement public ne ferait-il plus partie des revendications de la gauche ?
(1) Organisme d’Intérêt Public, c’est-à-dire géré par des personnes morales soumises au droit public, investies d’une mission d’intérêt général mais titulaires de prérogatives privées.
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