éclairage public
L' important? Créer des ambiances qui rassurent, préférer une lumière peu intense mais homogène pour gommer les points les plus sombres. © getty images

L’éclairage public renforce-t-il vraiment la sécurité? (analyse)

Ludivine Ponciau
Ludivine Ponciau Journaliste au Vif

L’éclairage public peut avoir une incidence sur la délinquance urbaine. Mais contrairement aux idées reçues, il ne contribue pas toujours à renforcer la sécurité ou le sentiment de sécurité. Tout est question de dosage et de circonstances.

Plus de 150 communes du pays plongées dans le noir entre minuit et 5 heures du matin. La mesure, qui vise à alléger leur facture d’électricité, est d’application depuis le 1er novembre dans certaines entités urbaines et rurales. D’autres leur emboîteront le pas le 1er décembre. La coupure sera maintenue jusqu’au printemps.

D’ici là, il faudra s’acclimater à cette obscurité inhabituelle. Et se montrer plus vigilant. Couper l’éclairage public pose la question de la mobilité et de la sécurité des usagers de la route. Les communes de la Région bruxelloise, qui avaient dans un premier temps adhéré au projet, ont finalement fait marche arrière pour cette raison. D’autres, comme Louvain-la-Neuve, ont demandé des aménagements au gestionnaire de réseau Ores afin de garder éclairées certaines zones du centre-ville.

La question du rapport entre luminosité, sécurité et sentiment de sécurité en rue ne se pose d’ailleurs pas que pour la cité universitaire, ni uniquement en matière de mobilité. Elle est étudiée tant en criminologie que dans le cadre des politiques d’urbanisme et de planification urbaine. Améliorer la visibilité fait en effet partie de la batterie de mesures que les communes peuvent facilement mettre en place pour prévenir la criminalité.

Doit-on s’attendre à une hausse du nombre de vols, d’agressions, de faits de vandalisme et de cambriolages dans les prochains mois? Pas forcément. Le lien de causalité n’est pas aussi clair, ni aussi systématique. Tout dépend du contexte, de la configuration des lieux et du profil du promeneur. Vincent Francis, chercheur qualifié en criminologie et chargé de cours à l’UCLouvain, nous éclaire sur les quatre vérités et croyances autour de la nuit noire.

1. L’éclairage dissuade les auteurs

Ce n’est qu’en partie vrai. Tout dépend de quoi on parle. «En matière de sécurité objective, les effets de la luminosité dépendent à la fois du type de phénomène et de la problématique observée. Dans le cas de la délinquance acquisitive (NDLR: en vue de s’approprier le bien d’autrui), un éclairage plus puissant peut dissuader les auteurs de commettre certains faits, comme un vol dans véhicule. A contrario, l’auteur d’un vol à l’arraché recherchera plutôt des lieux éclairés pour mieux scruter les bijoux ou le sac de sa future victime.»

2. Y voir mieux rassure

De nouveau, pas en toutes circonstances. «On a tendance à croire que rendre un lieu plus lumineux générera automatiquement un sentiment de sécurité mais plusieurs facteurs entrent en compte.» Chez nous, peu de recherches ont été menées sur le sujet. Aux Etats-Unis, par contre, plusieurs études ont révélé certaines tendances. Elles démontrent, par exemple, que l’éclairage urbain est perçu différemment selon le genre. «Les femmes sont plus rassurées que les hommes par un meilleur éclairage. Par contre, lorsqu’elles sont chez elles, elles craignent davantage que les hommes pour leur voiture – et pour ce qu’il y a à l’intérieur – garée dans l’espace public. Mon hypothèse, c’est que la voiture est un mode de déplacement plus rassurant pour les femmes que pour les hommes. Ne plus avoir de voiture signifie devoir prendre les transports en commun, lieux davantage anxiogènes pour les femmes, comme le démontrent toutes les enquêtes.»

©PHOTOPQR/OUEST FRANCE/David ADEMAS

Un éclairage intense dans une zone peu fréquentée peut renforcer la crainte d’une agression physique.

L’ effet dissuasif semble mieux fonctionner sur le plan de la sécurité objective, poursuit le chercheur, en raison du contrôle informel exercé par les autres personnes présentes dans l’espace public.

Systématiquement? Non. «Un éclairage intense, lorsqu’il illumine une zone peu fréquentée et donc un espace vide, peut justement renforcer la crainte d’une agression physique», décrit Vincent Francis. A contrario, marcher dans le noir confère l’avantage de ne pas être vu. Cela permet aussi de changer discrètement de trajectoire ou de se cacher si on aperçoit une silhouette inquiétante.

3. Les personnes âgées sont plus exposées aux agressions

Des chercheurs américains ont recueilli les réactions d’habitants de Denver, dans le Colorado, et de Portland, dans l’Oregon, après un changement d’éclairage dans leur ville. Il est apparu qu’une partie d’entre eux, dans une proportion allant de 25% à 64%, ne s’était pas aperçue de ces changements.

Ceux à qui cela n’avait pas échappé sont les seniors. «Ces enquêtes, comme bien d’autres, confirment que les personnes âgées se sentent plus en insécurité. Etant en situation d’alerte permanente, elles sont plus attentives aux moindres changements alors que, statistiquement, elles sont moins susceptibles de se faire agresser, vu qu’ elles sont moins présentes dans l’espace public. Ce qui fait la différence, c’est qu’un jeune acceptera le risque, étant donné qu’il pourra toujours essayer de se défendre ou de fuir. Chez les plus âgés, les craintes sont davantage fondées sur les conséquences potentiellement catastrophiques d’une agression. Le passage à l’acte criminel est d’ailleurs peu courant, contrairement à ce qu’ on imagine. La plupart du temps, on peut encore se balader sans risque dans un quartier à deux heures du matin.»

© belga

4. L’obscurité favorise le cambriolage

Autre bel exemple d’idée reçue, épingle Vincent Francis. S’il est vrai qu’un bon éclairage de rue participe au contrôle social à travers les yeux de la ville que sont les citoyens, et enlève la possibilité de se fondre dans l’obscurité, la fréquentation de l’espace public en soirée implique logiquement que les gens sont moins chez eux. Or, visiter un logement déserté est bien plus confortable pour un cambrioleur. Seuls les plus expérimentés se risquent à tomber nez à nez avec les occupants.

Trop, trop peu, au bon ou au mauvais endroit, intensivement ou non selon la fréquentation… Toutes ces contradictions n’aident pas vraiment à se décider. Pour protéger et rassurer, on éteint ou pas? «Pour trancher la question, il faudrait analyser chaque commune et chaque spécificité de quartier. Et évaluer les effets qu’impliquerait un changement d’éclairage. Ce qui est important, c’est de créer des ambiances qui rassurent et de lisser l’espace à travers une lumière peu intense mais homogène pour gommer les points les plus sombres.» Le criminologue compte d’ailleurs profiter de l’expérience menée dans les communes qui ont fait le choix de l’obscurité pour en étudier les effets concrets.

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