Le week-end de trois jours, solution au burnout? « Le travail, par définition, est une contrainte » (entretien)
Les effets d’une réduction collective du temps de travail, que vante le ministre de l’Economie et du Travail, Pierre-Yves Dermagne (PS), sur l’organisation de la production et sur le bien-être du travailleur doivent être correctement évalués. Mais avec quels outils? Michel Sylin, professeur de psychologie du travail et des organisations à l’ULB.
Les travailleurs ont déjà la possibilité de prester un temps plein en quatre journées plus lourdes. Seul un petit pour cent a trouvé un avantage à ce changement de rythme. Travailler moins mais pour le même salaire, c’est déjà plus séduisant?
La première option, qui existe depuis fin 2022, est concurrencée par un autre régime, le télétravail, qui est pernicieux car il recouvre des réalités multiples. Aujourd’hui, les travailleurs ont généralement droit à un ou deux jours de télétravail, ce qui leur permet finalement d’organiser leur temps un peu comme ils l’entendent. Pourquoi se contraindraient-ils, lorsqu’ils sont au bureau, à prester des journées de dix heures? On tient peut-être là un élément d’explication du peu de succès de ce dispositif qu’est la semaine de temps plein prestée en quatre jours.
En outre, la mesure mise en place l’an dernier ne comporte pas d’incitant financier – ni pour le travailleur ni pour l’employeur. On peut toutefois comprendre que la formule puisse être intéressante pour les employeurs qui ont besoin de ressources importantes sur une journée plus longue. Mais cela implique une réorganisation complète du travail dans l’entreprise. Ce qui, lorsque celui-ci est coordonné et s’inscrit dans un processus de production où l’activité de l’un dépend de celle de l’autre, peut sembler très compliqué. Le projet du ministre Dermagne de réduction collective du temps de travail sans réduction du salaire pourrait, par contre, rencontrer un succès massif. Du moins auprès des travailleurs. Auprès des employeurs, sans doute un peu moins.
Le travail, contrairement à ce que certains partis politiques prétendent, n’est pas une valeur. L’amour du travail bien fait, contribuer à la vie sociale, le fait de se préoccuper des autres, en sont. Mais le travail, par définition, est une contrainte. Par contre, il offre les moyens de l’émancipation et de la liberté. En tout cas, il n’y aucune raison que les individus éprouvent un tel amour du travail qu’ils accepteraient difficilement de travailler quatre jours par semaine.
Michel Sylin «Avec la semaine de quatre jours, des personnes pourraient envisager de cumuler un temps plein et un autre job.
Beaucoup d’inquiétudes sont formulées autour de cette crise des vocations professionnelles. Cette «grande démission» concerne surtout les jeunes, qui réclament un meilleur équilibre entre vie privée et professionnelle. Le projet du ministre Dermagne pourrait-il rassurer ces talents?
Des travaux réalisés par un chercheur de l’ULiège, François Pichault, montrent qu’il est incorrect d’essentialiser les jeunes et de prétendre qu’ils sont plus «volatiles». Certains sont effectivement dans cette réalité, mais la plupart aspirent à un travail stable et bien rémunéré.
On surévalue cette tendance?
Disons qu’on en fait beaucoup. Aussi parce que les métiers en pénurie sont souvent assumés par des jeunes. Etre infirmier, par exemple, c’est lourd. Difficile. Sur le long terme, ça incite à papillonner. Dans le cas de cette génération, le problème est plus lié aux contraintes du marché de l’emploi et à sa structure qui, faut-il le rappeler, inclut un rapport de force entre employeurs et travailleurs. Quand les socialistes disent qu’il est opportun de régulariser les sans-papiers pour qu’ils puissent avoir accès aux métiers en pénurie et, qu’a contrario, les libéraux prônent l’activation des demandeurs d’emploi, on se trouve dans des logiques différentes de structurations de marché de l’emploi. Et ces structurations répondent elles-mêmes à des idéologies politiques.
Je ne pense pas qu’il y ait une réalité propre à une génération X, Y ou Z ou qu’il y ait des comportements et des compétences spécifiques aux jeunes générations. Depuis les années 1980 et 1990, déjà, la mobilité des travailleurs est plus importante et l’accès aux outils numériques est plus simple. Rien n’indique que cette jeune génération sera forcément plus attirée par une semaine de quatre jours sans baisse de salaire que les plus anciens. Ce qui est par contre intéressant, c’est que cette réduction du temps de travail pourrait modifier fondamentalement l’organisation de notre société.
Un week-end de trois jours par semaine, appelons ça comme cela, suppose un accès aux activités de loisirs, de culture, de formation ou d’éducation permanente. Et donc un appel significatif en matière de ressources. Dans un tel contexte, on peut imaginer que le secteur associatif et culturel connaîtrait un essor important.
A moins que les travailleurs ne mettent à profit ce jour «off» pour arrondir leur fins de mois…
On observe déjà cela dans certaines professions. Les agents de collecte des immondices, par exemple, ont un temps de travail défini par leurs activités. Ces ouvriers se mettent une pression dingue, au risque d’y perdre leur santé, pour finir leur journée le plus tôt possible car c’est pour eux une opportunité d’avoir une deuxième activité professionnelle – souvent souterraine, d’ailleurs – leur permettant de s’assurer un niveau de vie plus confortable.
Nous nous trouvons aujourd’hui dans une nouvelle réalité, celle de travailleurs pauvres. Avec la semaine de quatre jours, il se pourrait que davantage de personnes envisagent de cumuler un temps plein et un autre job à temps partiel.
Ce n’est donc pas vraiment une solution pour limiter le burnout et résoudre le problème de perte de sens au travail?
La pression étant plus aiguë, vu le temps de travail plus court, il n’est pas impossible que, paradoxalement, certains risques psychosociaux liés au harcèlement, au burnout et à la perte de sens, s’accentuent. Les risques physiques, par contre, pourraient diminuer. Un employé qui gère une caisse dans une grande surface doit garder une posture physique contraignante et peut ressentir des douleurs. S’il y a moins de tensions sur le corps, il est clair que la personne souffrira moins.
Enfin, il ne faut pas oublier que le burnout est lié à un phénomène apparu dans les années 1980 et qui caractérise aujourd’hui nos sociétés occidentales: l’individualisation de plus en plus forte de nos rapports au travail. Les relations collectives du travail traitent de plus en plus de cas individuels et de moins en moins des conditions de travail en général. La demande sociale qui nous est faite est davantage liée à la performance du sujet.
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