Le très obscur article 81 ou les contrats secrets entre l’industrie pharmaceutique et l’Etat
Pendant près d’une décennie, notre gouvernement a conclu des contrats secrets avec des sociétés pharmaceutiques concernant de nouveaux médicaments particulièrement coûteux dit De Morgen qui fait le point sur la question.
Il existe dans notre pays la possibilité pour les malades de se faire rembourser certains médicaments novateurs, mais forcément très cher. Et ce même s’il n’y a que peu de preuves de l’efficacité du traitement ou que le rapport coût-bénéfice soit incertain. Ce système de remboursement est appelé « convention article 81 ». Un système opaque qui existe depuis 2010 et qui, à la base, devait permettre aux patients d’obtenir plus rapidement un traitement. Les prix de ces médicaments sont négociés entre les firmes pharmaceutiques et le gouvernement, puis fixés dans des conventions ultras confidentielles. Un tel contrat est censé être un accord temporaire avec lequel le ministre impose des conditions supplémentaires à l’entreprise pharmaceutique ou demande une réduction. En échange, un remboursement conditionnel a lieu et est évalué après deux ou trois ans.
Son efficacité a pourtant été critiquée par le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE), précise Médor dès 2017. « Souvent, l’industrie pharmaceutique ne met pas à profit le temps de la convention pour prouver l’efficacité du médicament concerné. Neuf des traitements « article 81 » sont considérés par la revue française « Prescrire » comme plus dangereux qu’utiles. Selon Catelijne De Nys, présidente de la Commission pour le remboursement des médicaments : « Même si les accords MEA ont été présentés au départ comme des situations win-win, force est de constater que leurs bénéfices aujourd’hui sont clairs pour le monde pharmaceutique, mais le sont de moins en moins pour les payeurs publics, surtout à long terme. »
Un manque de transparence
C’est surtout le manque de transparence qui semble de plus en plus poser problème. Car obtenir le montant exact et le nombre de médicaments repris sous cet article relève de la gageure. Ri De Ridder, ancien patron de l’Inami, dit que les montants générés par cet article étaient même devenus problématiques et intenables. « Personne ne sait combien nous payons réellement pour ces médicaments », dit-il. « Cette année, le budget a déjà été dépassé de 300 millions. » Le magazine Médor, qui consacrait un large dossier sur le sujet en 2017, estimait pour sa part, en extrapolant les données disponibles, que le budget atteindrait 2,1 milliards d’euros pour les années 2015 à 2018. Entre ces deux années, il aurait même augmenté de 600%.
Immunothérapie, mais pas que
les traitements les plus courants sont les thérapies contre le cancer, comme l’immunothérapie. Mais cela regroupe aussi des protocoles pour les patients souffrant de maladies musculaires rares comme la SMA (Spinraza) ou l’hépatite C chronique (Sovaldi). L’un de ces contrats, à la base secret, qui a fait le plus parler de lui concerne le Soliris, un médicament que prenait Viktor, un garçon de sept ans souffrant d’une maladie rénale rare et mortelle, mais qui coûtait la bagatelle de 18 000 euros par mois. La ministre de la Santé d’alors, Laurette Onkelinx (PS), avait fait des concessions considérables à la société pharmaceutique Alexion, selon De Morgen. Par exemple, la société ne devait pas effectuer des recherches supplémentaires pour une remise de 5% et deux ampoules gratuites pour chaque nouveau patient. Le prix de Soliris a également été fixé pour une durée indéterminée. »
Dès l’année dernière, on estimait que le « succès » de l’article 81 expliquerait en grande partie le dérapage de la trajectoire budgétaire prévue par la ministre de la Santé Maggie De Block tout en instaurant une pression considérable sur l’ensemble du budget des soins de santé. On lui reproche régulièrement de faire des « cadeaux » à l’industrie pharmaceutique.
« En 2015, les compensations (ristournes) reçues par l’INAMI s’élevaient à 26,3% du chiffre d’affaires pour toutes les spécialités sous convention. Mais ce pourcentage moyen sur l’ensemble des ristournes ne nous dit pas grand-chose sur l’avantage de ces conventions pour les pouvoirs publics. Que gagne-t-on avec une ristourne de 30% si le prix demandé au départ n’est d’aucune manière justifié par des éléments objectivables (coûts R&D, coûts de production…) ? Les mêmes questions se posent pour l’impact budgétaire. Quel est le sens d’une ristourne de €10 millions sur un budget supplémentaire de €30 millions si l’on ne peut démontrer aucune valeur ajoutée : doit-on la voir comme une économie de €10 millions ou comme une dépense inutile de €20 millions? Les conventions ne sont-elles pas ainsi en train de devenir un mécanisme qui détourne le regard du vrai problème – à savoir des prix non justifiés de manière transparente – et contribue ainsi à perpétuer cette situation ? » se demande le Centre fédéral d’Expertise des Soins de santé (KCE) dans son rapport de 2017.
Actuellement, selon le cabinet de la ministre de la Santé Maggie De Block, il y aurait 87 produits repris sous cet article pour un montant d’un milliard d’euros de contrats secrets dit De Morgen. Cela représente près du quart des dépenses totales en médicaments dans notre pays. Grâce à ces contrats, elle aurait obtenu un rabais total de 273 millions d’euros.
Katelijne De Nys craint que les dépenses ne s’accroissent suite à l’arrêté royal relatif aux remboursements approuvés par le Conseil des ministres et en vigueur depuis juillet. « Celui-ci ne rend plus l’avis des experts du CTG déterminant et un même si deux tiers des experts donnent un avis négatif, on pourra passer outre pour un contrat relevant de l’article 81. »
Quelles solutions ?
Nous sommes loin d’être un cas unique et la plupart des autres pays négocient également des accords avec les firmes pharmaceutiques. Tous sont confidentiels ce qui fait qu’on ne connait ni le rabais ni les conditions que nos voisins ont obtenus. De quoi affaiblir les différents États dans les négociations avec les multinationales. Selon De Ridder et De Nys la solution serait de concentrer les forces et de se présenter en un bloc uni et de négocier ensemble comme nous l’avons fait avec les Pays-Bas pour Spinraza. De cette façon, ils peuvent augmenter la pression sur l’industrie.
Tous les experts en pharmaceutiques sont d’accord : on doit mettre fin à l’article 81. « Rien ne justifie le fait que des contrats à impact social soient conclus en secret », déclare Jan Rosier, professeur à l’UCD Dublin et à la KU Leuven dans De Morgen.
Peut-être, mais trouver d’autres solutions n’est pas si simple. Il existe néanmoins quelques pistes qui sont néanmoins envisageables. Par exemple savoir dans quelle mesure les prix de développement et de recherches justifient le coût de certains médicaments. On pourrait aussi envisager d’inverser les rôles. Ce serait aux gouvernements de décider de la nécessité d’un médicament et de donner une mission à une entreprise. « De cette façon, vous empêchez trois ou quatre joueurs de faire la même chose », dit encore De Ridder dans De Morgen.
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