Guy Martin
Le transfert de l’école publique dans un OIP, rencontre-t-il l’intérêt général ? NON !
Le Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles ne peut être juge et partie en matière d’enseignement, au nom du modèle de pilotage choisi, fondé sur celui des services marchandisés. Il ne peut être régulateur et organisateur. Le Gouvernement se prépare donc à transférer son enseignement vers une personne morale, organisme d’intérêt public (OIP).
La loi de 1954 prévoit quatre catégories d’OIP.
Une analyse détaillée permettra de mesurer les effets sur l’école publique.
Les organismes de type A (par exemple l’A.F.S.C.A., Agence Fédérale pour la Sécurité de la Chaîne Alimentaire) services publics constitués en personnes publiques distincts de l’Etat sont soumis au contrôle hiérarchique d’un membre du gouvernement qui exerce le pouvoir de gestion. Il est soumis au contrôle de l’inspection des finances. La notion de contrôle ou de pouvoir hiérarchique implique que le supérieur hiérarchique c’est à dire le ministre détient son pouvoir même en l’absence de tout texte et peut organiser la gestion quotidienne de ses services. Ce ministre agit pour cette gestion, non pas en qualité d’organe ou de représentant de l’État ou du pouvoir exécutif, mais en qualité d’organe ou de représentant de l’organisme de type A.
Il n’engage donc pas la responsabilité de l’exécutif mais bien celle de l’organisme qu’il représente. Le Gouvernement, exécutif du Parlement auquel il doit rendre des comptes, est donc bien ainsi dessaisi de toute responsabilité au profit de l’organisme. Cette situation est de nature à distendre le lien entre les représentants des citoyens de la Communauté et le réseau d’enseignement transféré à cet O.I.P. et entraîner ainsi dans les décisions prises un déficit démocratique.
Les organismes des autres catégories B, C, ou D sont soumis à un contrôle de tutelle laissant plus d’autonomie aux organismes car visant exclusivement à vérifier la conformité à la législation et à l’intérêt général.
Les organismes de type B (et c’est semble-t-il de cette catégorie dont on discute dans le projet de décret) possèdent une autonomie nettement plus importante, aussi bien au point de vue administratif et financier qu’au point de vue de leur capacité de décision et de gestion. Ainsi le contrôle financier des organismes de type B, C ou D est assuré par un ou des commissaires du gouvernement qui a créé ces organismes, les inspecteurs des finances pouvant tout au plus remettre des avis sur les opérations financières de ces organismes. Ils sont cependant soumis à la tutelle du gouvernement dont ils dépendent, celui-ci définissant notamment le cadre et le statut du personnel (C’est notamment le cas du Théâtre royal de la Monnaie (TRM).
Ce type renforce l’estompement des différences entre public et privé en se fondant sur un modèle de gestion qui réduit considérablement tout contrôle des représentants des citoyens.
Le type C regroupe notamment des organismes exerçant une activité financière (ex. autorité des services et marchés financiers) mais aussi par exemple l’Agence fédérale de contrôle nucléaire (AFCN) qui relève d’un autre domaine d’activité. Ces organismes disposent d’une large autonomie, notamment en matière de fixation du statut de leur personnel. Ce type induit un modèle de gestion en tout point comparable au privé.
Le type D regroupait des organismes actifs dans le domaine de la sécurité sociale comme l’Office national des pensions et l’office national de sécurité sociale. La plupart de ces parastataux sociaux, qui appartenaient à la catégorie D, sont devenus des institutions publiques de sécurité sociale par l’arrêté royal du 3 avril 1997 exécutant une loi du 26 juillet 1996 portant modernisation de la sécurité sociale et assurant la viabilité des régimes légaux de pension. Un contrat d’administration est passé entre l’État et l’institution concernée et fixe le cadre à respecter pour une durée de trois ans au moins et de cinq ans au plus.
Le cadre à respecter prévoit les missions et tâches à assumer, les objectifs, les règles de conduite vis-à-vis du public, le mode de calcul des crédits, les sanctions et les sanctions positives en cas de respect du contrat d’administration. Les IPSS restent soumises à la loi du 25 avril 1963 sur la gestion paritaire des organismes de sécurité sociale. Nous sommes ici dans un rapport contractuel en tout point identique à une délégation de l’Etat ou d’une entité fédérée à un partenaire privé pour une durée déterminée.
En conclusion
De l’analyse de tous les types il appert que ceux-ci conduisent à des degrés divers inéluctablement à :
- Un estompement entre privé et public
- Une relation de plus en plus distendue (jusqu’à l’inexistence) entre l’école publique (qui l’est de moins en moins) et les représentants des citoyens.
- Une tendance à un alignement des règles générales et modalités de gestion du système d’enseignement public sur celles d’un élément particulier du système : l’enseignement privé, altérant, de fait le caractère public et toutes les obligations envers l’usager qui y sont associées.
Or l’enseignement obligatoire est un bien commun trop important pour le laisser gérer par des opérateurs qui ne sont pas institutionnellement exclusivement déterminés par le seul intérêt général.
L’expérience, parmi bien d’autres, vécue récemment en Suède est éclairante. Malgré les législations strictes arrêtées par ce pays dans ces matières, un réseau privé a décidé de jeter à la rue du jour au lendemain 11000 étudiants et 1000 professeurs pour des raisons de profitabilité. Cela prouve à suffisance que l’enseignement est un bien trop précieux et qu’il faut le laisser sous l’autorité publique directe de l’Etat ou d’une entité fédérée avec un contrôle strict des représentants des citoyens. C’est la privatisation de son enseignement ses dernières années qui a conduit, comme le montre le dossier du monde diplomatique de septembre 2018, la Suède à une chute importante de son classement P.I.S.A.
Ne convient-Il dés lors pas de s’opposer à la mise en place de tout OIP en matière d’enseignement qui contribue à un estompement entre enseignement public et enseignement privé et In fine – par le développement d’une relation distendue entre les représentants du citoyen et l’école publique – conduit à un déficit démocratique important et transforme l’enseignement en marchandise.
Comme le note Ahmed Seghaier « Désormais, on assiste à une vraie rupture avec la notion même de l’éducation comme droit fondamental qui doit être assuré par le service public de l’Etat pour tout le monde ».(1)
Cette proposition ne rencontre manifestement pas l’intérêt général. Et il existe d’autres solutions.
(1) Seghaier A. (2004), Education et mondialisation : les conséquences de la libéralisation de l’éducation prônée par l’Accord Général sur le Commerce des Services ; illustration sur la base de la position canadienne et belge, Mémoire, Université de Genève.
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