Le sport, un lieu de discrimination à l’égard des femmes (débat)
Comment opérer un changement de mentalité qui garantisse une juste répartition des rôles et une vraie parité.
Le contexte : En découpant du cahier Sports du New York Times les photos d’athlètes masculins, la graphiste américaine Katherine Burgess s’est retrouvée avec des pages éventrées, vides. Voilà qui donne une idée de la place réservée aux sportives dans ce journal. Où en est-on en Belgique? Les mentalités évoluent mais on peut mieux faire, comme l’attestent les propos injurieux et homophobes d’un journaliste de la VRT à l’égard des Belgian Cats.
Laudine Lahaye (FPS): « On n’attend pas des joueurs masculins qu’ils se dénudent pour le plaisir des spectateurs »
Majoritaires dans l’organisation des événements sportifs, les hommes fixent les règles qui leur conviennent. La présence accrue de femmes pourrait faire bouger les choses. Opérer un changement de mentalité qui garantisse une juste répartition des rôles et une vraie parité. Même si les hommes peuvent aussi se rendre compte que le sport est un lieu de discrimination, rappelle Laudine Lahaye, chargée d’études auprès des Femmes prévoyantes socialistes.
Les garçons pratiquent plus de sports que les filles, souvent bien davantage dans des disciplines d’endurance et de rapports de force. Ces écarts s’expliquent-ils par le manque de visibilité des grandes sportives et l’absence de figures féminines de référence pour les plus jeunes?
Oui. Mais la première explication, c’est la persistance des stéréotypes de genre. On continue à catégoriser les hommes et les femmes dans des cases très fermées. Il y a donc moins de sportives dans certaines disciplines, avec une moindre visibilité dans les médias, et une moindre présence dans les directions des fédérations et des clubs. La force, la puissance, l’esprit de compétition sont encore attribués au masculin. Chez les femmes, on parle de douceur, d’empathie, de calme. Le sport synthétise des caractéristiques que l’on attribue en général au masculin. Ainsi, pratiquer intensément un sport demande du temps que l’on s’octroie pour soi et réclame d’être tourné vers le développement de soi et de ses capacités. Ce n’est pas ce que l’on attend prioritairement des femmes, pour lesquelles on va d’emblée penser au fait de prendre soin et de s’intéresser au bien-être des autres, des enfants, de la famille, des personnes âgées.
Quand on dit d’un garçon qu’il court comme une fille, ou comme une femmelette, qu’est-ce que ça veut dire?
La pratique sportive serait donc assez éloignée de ce qu’on attend des filles et de la façon dont on les élève?
Oui. La pratique du sport est aussi très liée à la connaissance que l’on a de son corps, de son fonctionnement, de ses besoins physiques. Je ne dis pas que cette question est encouragée chez les hommes mais elle ne l’est pas chez les femmes. On sait qu’il reste des tabous autour du corps des femmes. Apprendre à connaître son corps est parfois plus compliqué pour elles. Or, dans la pratique sportive de haut niveau, on est beaucoup dans ces questions-là: comment bien m’alimenter? Quels bons mouvements poser? Le fait de ne pas susciter ces questions chez les filles peut jouer en leur défaveur.
A l’adolescence, on voit souvent des jeunes filles arrêter leur pratique sportive. Pourquoi?
Parce que le sport engage le corps, ce qui est compliqué à la puberté car celui des jeunes filles se modifie profondément, ce qui peut les mettre très mal à l’aise. Quand on fait du sport, on expose son corps. On sait qu’il sera scruté, dans les vestiaires et sur le terrain. Si, à l’adolescence, on n’a pas confiance en soi et que l’on est victime de remarques, c’est très intimidant.
Les garçons passent aussi par des moments difficiles à l’adolescence…
Oui. Mais ils ne seront pas confrontés au même type de propos sexistes, qui portent atteinte à l’image qu’ils ont d’eux-mêmes. Ni à l’hypersexualisation. Regardez ce qui s’est passé avec les équipes féminines de beach handball qui ont protesté contre les tenues de compétition qu’on leur imposait, inconfortables et non adaptées pour jouer. On n’attend pas des joueurs masculins qu’ils se dénudent pour le plaisir des spectateurs.
Autoriser des hommes – et pas seulement des femmes – à pratiquer la natation synchronisée en compétition aiderait-il à changer les mentalités?
Oui. Voir des femmes pratiquer des sports qualifiés de masculins et des hommes s’adonner à des sports dits féminins est très important. Surtout pour les hommes, afin que l’on cesse d’inférioriser le féminin par rapport au masculin. On entend parfois dire d’un garçon qu’il court comme une fille, ou comme une femmelette. Qu’est-ce que ça sous-entend? Qu’il ne court pas bien? Il y a encore ce sentiment que la pratique sportive par les hommes serait plus belle ou plus intéressante que celle des femmes. Autoriser des hommes à pratiquer la nage synchronisée, cela signifierait qu’un homme peut être attiré par la grâce et la beauté sans perdre son identité d’homme.
Les commentaires des journalistes sportifs masculins portent facilement sur le physique des sportives, sur leurs émotions ou sur leur vie personnelle, alors que pour les hommes, on ne parle que de compétences sportives. Pourquoi?
Ce sont les stéréotypes de genre qui jouent. On ramène toujours les femmes au rôle qu’on attend d’elles dans la société, à la sphère domestique qui est censée être leur occupation première. Donc on leur parle de leur vie de famille, par exemple, ce qu’on ne ferait pas avec un homme. Ou de leur routine de beauté.
Quelle action poser pour changer la donne?
Médiatiser les compétitions des sportives est positif. Il faudrait aussi sensibiliser les journalistes, les preneurs d’images, les monteurs: les images et les mots ont du poids. Il n’y a pas de raison de parler ou de filmer différemment des sportifs et des sportives. Cela permettrait aux journalistes de ne pas perpétuer ces comportements discriminants.
Camille Loiseau (AJP): « Seules 5% des journalistes féminines couvrent le sport »
Lionel Messi chasse les handballeuses françaises, médaillées d’or, de la Une de L’Equipe. Mais la RTBF propose pour la première fois 50% de compétitions féminines lors des JO. Les médias jouent un rôle clé dans la façon dont le sport féminin, donc les femmes, est perçu dans la société. Explications avec Camille Loiseau, responsable genre et diversité à l’ AJP.
La couverture médiatique peu équilibrée entre les sports féminins et masculins s’explique- t-elle par le fait que peu de femmes commentent le sport?
L’information sportive est la catégorie dans laquelle on parle le moins des femmes: elles ne représentent que 6% des personnes évoquées alors qu’elles pèsent 30% dans l’information en général. Dans les rédactions en Fédération Wallonie-Bruxelles, les femmes journalistes représentent 34% de l’effectif journalistique total mais parmi les journalistes sportifs, 11% seulement sont de sexe féminin. Parmi les femmes journalistes, elles ne sont que 5% à couvrir l’actualité sportive. Or, plus il y a de diversité et de profils dans une rédaction, plus les contenus informatifs sont variés.
On devrait d’ailleurs parler d’équipe féminine de foot et non de foot féminin comme s’il s’agissait d’un sport tout à fait différent.
Lionel Messi, footballeur transféré au PSG, a supplanté les handballeuses françaises, pourtant médaillées d’or, en Une du journal L’Equipe. Comment l’expliquer?
On dit toujours que si les sportives ont si peu de place, c’est que personne ne s’y intéresse et que si c’est le cas, c’est parce que les médias n’en parlent pas. On tourne en rond. Mais autant on ne peut intervenir sur les attentes du public, cette entité aux contours flous, autant sur la couverture médiatique, on peut faire des choix. Le changement doit venir des médias et des politiques éditoriales.
Les médias ont-ils tendance à reproduire des stéréotypes dans le sport en associant virilité, puissance et compétition au masculin?
Il y a de toute façon des stéréotypes véhiculés par les médias, plutôt dans le traitement réservé aux sportives. Les journalistes sportifs commentent plus souvent leur apparence, leur tenue. Ils ne les identifient pas toujours, ne donnant pas systématiquement leurs noms et prénoms, et les comparent beaucoup aux hommes. On entendra par exemple: « c’est Federer au féminin ». C’est donc plutôt la manière dont les sportives sont traitées qui rend les stéréotypes de genre présents.
Les médias ont-ils une responsabilité particulière, dès lors que plus on médiatise le sport féminin, plus il y aura de filles intéressées, meilleurs seront les résultats et plus grand sera l’intérêt du public?
Qu’il existe une diversité de profils en sport, c’est aussi une information. Il y a donc une responsabilité des médias à couvrir des compétitions sportives féminines, pour que leur information soit de qualité et complète. On voit que les inscriptions dans les clubs de sport augmentent lors des JO. Ce qui est montré à la télévision a donc un effet réel. En outre, plus il y a médiatisation, plus il y a de sponsors, plus il y a d’argent pour permettre aux sportives de s’entraîner dans de meilleures conditions, donc d’obtenir des résultats. La responsabilité médiatique va loin.
Le sport « masculin » est souvent la valeur de référence: on parlera du football féminin pour les femmes, de foot tout court pour les hommes…
La question est de savoir qui a le pouvoir d’incarner la norme, le mètre-étalon. En sport, ce sont les hommes. On devrait d’ailleurs parler d’équipe féminine de foot et non de foot féminin comme s’il s’agissait d’un sport tout à fait différent. On entend souvent sur les terrains que les femmes ne jouent pas au foot comme les hommes, font plus de passes et sont moins agressives et plus tactiques. De nouveau, on fait intervenir d’énorme stéréotypes.
Que faudrait-il pour que les représentations genrées de la population en matière de sports soient durablement modifiées?
C’est difficile d’isoler un seul élément. Mais cela va dans le bons sens, côté médias. Pour la première fois, la RTBF s’est engagée à retransmettre 50% de compétitions féminines lors des JO. Le sport n’est pas coupé du reste de la société, il évolue en même temps qu’elle. Or pour l’instant, la question de la place des femmes est à l’agenda politique avec #MeToo et ses suites. On ne peut qu’espérer que cela évolue positivement dans les prochaines années.
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