Le Parti Socialiste n’est pas en crise, souffle Laurette Onkelinx sur les ondes de la Première, alors qu’elle est appelée à commenter la démission fracassante d’Yvan Mayeur. Il traverse certes quelques secousses, rectifie-t-elle. On croit rêver. Ou plutôt, cauchemarder.
Que faudra-t-il encore qu’il se produise pour que le grand parti de la gauche historique qu’est le PS admette qu’il est dans le déni total de ce qu’il lui arrive ? Où est l’aiguillon externe qui lui permettra de se reprendre en main et d’avoir d’autres prétentions que de stopper les hémorragies incessantes ? Paul Magnette affirme dans son dernier livre que la gauche ne meurt jamais. Pourtant, une certaine gauche est bien en train de mourir. Il suffit de regarder l’état des partis sociaux-démocrates en France, aux Pays-Bas, en Grèce ou en Espagne pour s’en convaincre. Ce que tous ces partis ont en commun est qu’ils ont largué durablement les amarres avec les principes de la social-démocratie, invoquant des compromis nécessaires mais difficiles, se drapant dans ce qu’il était convenu d’appeler une attitude responsable face à l’épreuve du pouvoir et, en réalité, dérivant dangereusement vers une compromission avec un capitalisme de plus en plus décomplexé. Cette gauche-là est à l’agonie parce que certains de ses dirigeants ont à ce point creusé l’écart avec leurs idéaux, leurs militants et leurs électorats qu’il ne leur reste que les pâles attributs du socialisme, qu’ils brandissent avec fierté quand ils chantent l’internationale à l’issue de chaque Congrès politique. Puis ils remisent ces attributs au placard et continuent à s’enfoncer frénétiquement dans l’abîme. Comme si de rien n’était, comme si c’était normal, inévitable. Comme si c’était sans conséquence.
En sciences sociales, il est courant d’observer un décalage entre ce que les acteurs disent qu’ils font, et ce qu’ils font en réalité. C’est ce qui a fait écrire à Bruno Latour que « nous n’avons jamais été modernes ». En psychologie, on parle de troubles de la personnalité. Dans la littérature, on utilise une langue plus imagée. Ainsi, dans le conte d’Andersen, les habits neufs de l’Empereur, des charlatans proposent au souverain de lui confectionner des habits dans une étoffe exceptionnelle que seules les personnes sottes ne pourraient pas voir. Ne voyant rien, car il n’y avait rien à voir, le souverain décida de ne rien dire, car il pensa que personne ne voudrait d’un empereur sot. La nouvelle des nouveaux habits du souverain se répandit instantanément aux quatre coins du royaume. Lorsque vint le jour de sa première sortie vêtu de cette étoffe exceptionnelle, le souverain se présenta à son peuple qui prétendit voir et admirer ses vêtements. Seul un petit garçon osa briser le silence et s’écria : « le Roi est nu ! ». Et tout le monde lui donna raison. L’empereur comprit que son peuple disait la vérité, mais continua sa marche sans dire un mot. On ignore jusqu’où il parvint à aller. La ressemblance avec la situation actuelle n’est pas fortuite. Samedi dernier, Elio di Rupo a entamé une démarche innovante, bien que maladroite dans sa conception, en convoquant un rassemblement participatif. Les militants, à qui l’on a fait mine de demander l’avis, se sont fermement exprimés face à leur Président, exigeant des mesures fortes et un décumul intégral immédiat. Pas en 2024. Pas l’année prochaine. Tout de suite. « Le roi est nu », ont-ils scandé en substance. Mais ce dernier et les cadres du parti ont préféré interpréter ce revers comme un succès, comme si de rien n’était. Et le souverain a continué son chemin, sur lequel il ne savait pas encore que l’attendait les méandres du scandale du Samusocial. Et à présent, que faire ? Et si on pensait à rhabiller le roi ? Pourquoi ne pas envisager au PS une véritable prise de risque, un florilège de mesures qui ne serait pas une « tornade éthique » (on voit à quel point l’éthique ne se décrète pas, c’est une attitude qui émerge de situations concrètes), mais bien des propositions vraiment de nature à révolutionner la manière de faire de la politique ? Comme par exemple, respecter les militants. Demander sérieusement leur avis. Devenir véritablement participatifs. Inclure le citoyen et la société civile dans des processus d’intelligence collective. Prendre le vote blanc au sérieux, pour en faire une force politique de changement. Devenir un parti qui incarne une culture participative à la hauteur des attentes qui pèsent sur la démocratie aujourd’hui. Reconnaître que des erreurs ont été commises, dans les décisions comme dans la communication. Ne plus rien lâcher sur les valeurs fondamentales d’égalité, de solidarité, de justice. Changer les cadres, ou rénover les structures de fonctionnement du parti, pour voir. Réoccuper le vide laissé à gauche à des partis prétendument radicaux qui n’en demandaient pas tant. Revenir dans le débat d’idées, pas seulement celles du passé, qu’il convient certes de protéger face à l’entreprise de démantèlement de l’Etat social que nous subissons, mais aussi en en suggérant des authentiquement nouvelles. Réapprendre à rêver et faire à nouveau rêver. Le tumulte assourdissant qui accompagne les secousses porte probablement en lui les germes du monde commun qu’il faut reconstruire. Puisse Elio di Rupo l’entendre et l’utiliser sans délai pour réussir son aggiornamento.
Par Pierre Delvenne, Docteur en sciences politiques et sociales et Chercheur qualifié FNRS en science politique à l’Université de Liège
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