Le réchauffement climatique est déjà perceptible sur la côte belge
Dans la presse flamande, on se penche sur les conséquences du réchauffement climatique. Pas à l’autre bout du monde, mais en Belgique. Et sur la côte belge, ses effets sont déjà visibles. Au point que certains envisagent très sérieusement de relever le niveau de toutes les digues. Les appartements situés aux premiers étages risqueraient donc de perdre leur vue sur mer.
Avec son « Mur de l’Atlantique », notre côte est déjà la zone la plus urbanisée d’Europe. Cependant, de nouveaux appartements continuent d’être construits. Ainsi en 2000, plus de 30 % du littoral étaient urbanisés jusqu’à 10 kilomètres dans les terres. Ce chiffre passe à 50% si l’on ne prend en compte que le 1er kilomètre à partir du littoral. Or cette construction massive rend plus difficile la protection de la côte contre les effets du changement climatique. Les spécialistes appellent cela le » squeeze côtier » ou » piégeage de la côte « . Un phénomène qui veut que rien ne guide la mer lorsque celle-ci se déchaîne. Ce n’est en effet pas les quelques pauvres dunes qui restent ici et là sur notre littoral qui vont la retenir. En l’état, elle est aujourd’hui pratiquement laissée libre d’aller où elle veut. Elle menace donc directement les habitations et l’horeca du bord de mer.
300 millions pour sauver la Flandre des flots
La Flandre est consciente du problème et investit depuis quelques années pour renforcer sa côte. Ainsi 300 millions d’euros ont été injectés pour armer nos côtes contre une élévation du niveau de la mer de 30 centimètres d’ici 2050. L’Agence des services maritimes et côtiers, qui est responsable de la protection des côtes, se montre « douce lorsque cela est possible, dure lorsque cela est nécessaire ». Depuis 2011, l’agence met en oeuvre le » Plan directeur de protection du littoral « , soit d’importants travaux défensifs. Le « doux » ce sont les dunes et le sable supplémentaire qui servent de tampons et d’éponges contre les vagues et l’eau qui déferlent.
Depuis 2013, la mer est ainsi tenue à distance par une politique de croissance de la plage. Avant, les vagues venaient taper contre la digue à Ostende, aujourd’hui ce n’est plus le cas. Des morceaux de plage sont donc surélevés pour servir d’amortisseur aux vagues. C’est pourquoi l’Agence draine littéralement des tonnes de sable. Plus précisément, huit millions de mètres cubes de sable depuis 2011. La » plage en croissance » d’Ostende en est l’exemple le plus visible, mais partout, les zones » faibles » qui s’érodent ou qui ont perdu une forte morsure après les tempêtes sont complétées par du sable qui vient de la mer.
Dans la moitié des endroits le long de notre côte, on pourrait aussi installer davantage de dunes, parfait « tampon à vagues », mais les politiques subissent la pression du tourisme, des restaurants et des gens qui veulent garder leur vue sur mer et les petites cabines de plage.
Mais, parfois, surtout dans les ports, une défense en dur est la seule option. C’est le pendant « dur » du plan et il englobe les digues, les barrières anti-tempête et autres constructions en béton et en métal destinés à arrêter l’eau. Ces dernières souffrent néanmoins de quelques désavantages comme le fait qu’elles subissent plus de dommage et que les élever ou les renforcer est plus complexe. « C’est dans le port de Nieuport que le plus grand effort en « dur » prend forme. Une barrière anti-tempête de 56 millions d’euros est destinée à protéger la zone vulnérable de l’embouchure de l’Yser jusqu’à l’arrière-pays. Il s’agit d’un énorme volet mobile en acier de 38 mètres incorporé dans une construction en béton au fond de l’entrée du port. En cas de tempête, il se dresse verticalement et protège même le port contre une tempête millénaire.
Outre la hausse du niveau des eaux, un autre problème est la recrudescence des fortes tempêtes. Selon les statistiques, ce genre de tempête a lieu une fois par millénaire. Elles combinent des marées à très forts coefficients et de violents vents du nord-ouest qui poussent l’eau en direction de la côte. Dans ce cas extrême, les vagues pourraient s’élever jusqu’à 7 mètres au-dessus du niveau de référence de notre Mer du Nord. Pendant la tempête dévastatrice de 1953, l’eau a atteint une hauteur de 6,66 mètres. Beaucoup ont songé qu’il s’agissait là de la fameuse tempête du millénaire. Sauf qu’en raison de l’élévation du niveau de la mer, il devient de plus en plus réaliste que nous devions faire face à de telles tempêtes exceptionnelles plus régulièrement dans les décennies à venir. « Si le niveau de la mer s’élève d’un demi-mètre, ce qui était autrefois considéré comme la tempête du millénaire pourrait bien se produire tous les cent ans », explique Peter Van Besien, directeur des infrastructures côtières de l’agence gouvernementale flamande MDK dans De Tijd.
Des mesures utiles, mais plus que probablement pas suffisantes
D’ici cinq à six ans, on estime que tous les travaux de renforcement devront être achevés. De quoi permettre à la Belgique d’être protégée en cas de tempête extrême jusqu’en 2050. Un constat validé par les conclusions d’une étude de quatre ans menées sur la résistance climatique de notre côte par des chercheurs d’universités flamandes. Ces derniers indiquent ainsi que les injections de sable sur la plage ces dernières années ont été efficaces et que notre littoral devrait être suffisamment protégé au cours des 30 prochaines années.
« Mais si le niveau de la mer monte plus vite que prévu, comme l’indique le rapport du GIEC sur le climat, nous devons faire encore plus « , déclare Jaak Monbaliu, chef de projet et professeur de génie hydraulique à la KU Leuven toujours dans De Tijd. Depuis les années 1990, le niveau de la mer a augmenté d’environ 3 millimètres par an. Entre 1925 et 2012, cela a donc augmenté de 20 centimètres. Le GIEC prévoit une élévation moyenne du niveau de la mer de 20 centimètres d’ici 2050 et jusqu’à 90 centimètres d’ici 2080-2100 par rapport à la période 1986-2005. Le groupe d’experts a récemment révisé ce point à la hausse dans un nouveau rapport. « A plus long terme, ce sera même deux ou trois mètres « , explique le professeur de glaciologie Philippe Huybrechts (VUB), qui contribue aux rapports du GIEC. Il y aura probablement un « point de basculement », un peu après 2050, lorsque l’inlandsis du Groenland ne sera plus en mesure de se maintenir. Alors la montée s’accélérera encore plus. »
Après les Pays-Bas, la Belgique est en effet le pays d’Europe le plus vulnérable face à l’élévation du niveau des eaux. Enfin, c’est surtout la Flandre qui serait touchée puisque 15 % de sa superficie se situe à moins de 5 mètres au-dessus du niveau moyen de la mer. Si le niveau de la mer s’élève de 80 centimètres d’ici la fin du siècle, un quart des municipalités côtières et des polders seraient inondés lors d’une violente tempête. L’eau de mer pourrait s’avancer jusqu’à Diksmuide et le centre-ville de Bruges. Néanmoins, toujours selon les estimations, ce serait Bredene et Nieuport qui risquent d’être le plus exposées. Ainsi, à Bredene presque tous les bâtiments seraient touchés par des inondations de 2,5 mètres de hauteur.
Dans le pire des scénarios climatiques, dans la seconde moitié de ce siècle, il ne suffira donc plus de surélever les plages avec du sable, il faudra prendre des mesures beaucoup plus importantes. De quoi motiver des investissements supplémentaires substantiels pour nous en protéger. Car si les niveaux augmentent de manière exponentielle, les coûts feront de même. A ceci près que personne ne peut estimer qu’elle devra être l’ampleur exacte des travaux. Car nul ne sait dans quelle mesure les gens parviendront à ralentir le réchauffement de la planète au cours des prochaines décennies et quelle sera l’ampleur de la hausse du niveau de la mer au cours des 80 prochaines années et au-delà. C’est pourquoi la Flandre s’efforce de travailler autant que possible avec des investissements dits adaptatifs, soit de ceux qui laissent une marge d’adaptation au fil des ans.
Vue sur la mer ? Peut-être plus depuis le premier étage
Certaines mesures, en cas de scénario catastrophe, auront quoi qu’il en soit, un impact visible. Un des scénarios veut que l’on aille élever les digues au point que les appartements inférieurs perdraient leur vue sur mer. Celui qui souhaite acheter un appartement en bord de mer ferait mieux d’opter pour les étages les plus élevés. Decaluwé confirme dans De Standaard : » Il y a quelque temps, j’ai abordé ce thème lors d’un congrès immobilier sur la côte. Les réactions des sociétés immobilières ont été laconiques, ou elles ont réagi que 2050 (quand les défenses doivent être achevées, NDLR.) est encore loin. Une notion relative lorsqu’il s’agit d’un achat : pensez à un jeune couple qui achète un appartement sur la digue aujourd’hui et le transmet aux enfants plus tard. En cas de tels travaux, il faudrait aussi indemniser les propriétaires qui verraient ainsi leur bien perdre de leur valeur. » Les habitants de la côte ne semblent, pour l’instant, pas encore très préoccupés par la montée des eaux. Les prix de l’immobilier sur la digue battent tous les records. En fait, les clients n’en parlent pratiquement jamais », déclare Gregory Caenen, PDG de l’agent immobilier côtier de Caenen.
Aussi un impact sur les espèces
Quatre fois par saison, des Sea Watchers écument les plages de notre côte. Ces bergers de la mer observent et notent tout ce qu’ils voient dit De Morgen. Ces derniers temps, ils ont été particulièrement frappés par la hausse de la température de l’eau. Fin juin, elle était déjà à 22°. Il est vrai que la mer du Nord se réchauffe deux fois plus vite que la moyenne : 1,7 degré au cours des 50 dernières années contre une moyenne mondiale de 0,8 degré.
Par conséquent, les espèces de poissons amateurs d’eau froide, comme la morue, le maquereau, la sole et le hareng, migrent loin d’ici et sont remplacées par des espèces » chaudes « , comme les anchois et les sardines. Quelque 71 espèces, dont certaines ont été introduites par l’homme, comme l’huître japonaise, bénéficient déjà du réchauffement. Les scientifiques mettent en garde contre la multiplication des conflits de pêche que cela entraîne parce que les espèces migrent parfois plus vite que les règles de pêche.
Les Sea Watchers ont ainsi relevé qu’ils ont capturé cinq fois plus de petits poissons et cinq fois moins de crevettes entre 2014 et 2018 que par rapport aux chiffres d’une étude réalisée il y a vingt ans.
En réalité, il n’y a qu’au Zwin, « l’aéroport international pour oiseaux migrateurs », près de Knokke-Heist qu’on ne craint pas la montée des eaux. Sur une surface d’environ 500 hectares, 300 hectares d’eau salée et 200 hectares d’eau douce se mélangent. On laisse libre cours aux marées et on ne craint pas qu’il y ait plus d’eau de mer. Au contraire, cela permettrait de désensabler les lieux qui avaient tendance à se transformer en polders.
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