Carte blanche
Le racisme endimanché
Ce dimanche 15 septembre 2019, l’extrême-droite et ses composantes ultra ont sans vergogne défilé dans les rues de la capitale belge. Et symboliquement au coeur administratif et politique de l’Europe elle-même ? Belges étrangers de toutes les origines, faut-il songer à faire ses valises ?
Une petite histoire du dimanche
Le dimanche. De jour du Seigneur dans l’Ancien régime, il est passé à un jour férié laïque au XXe siècle, avant de s’imposer comme journée de vote, les années d’élections. Depuis quelques temps, le voici devenu également un jour de manifestations, surtout corporatistes. Du coup, le dimanche serait-il devenu un baromètre de nos sociétés ? De proche en proche, le dimanche, les Congolais, les Amazighs, les LGTB, les écolo-anxieux et l’extrême-droite battent le pavé sur l’axe Nord-Sud à Bruxelles, d’une gare à l’autre comme… pour ne pas s’égarer dans leurs revendications ! Soit. Chaque guilde marche pour l’idéologie de sa chapelle. Faut-il pour autant les mettre sur un pied d’égalité ? Non. Et un non catégorique. Car quand tous les autres se démènent pour un monde meilleur faits d’opportunités égalitaires et universalistes qu’elles soient basées sur l’ethnie, la nature ou le sexe, l’extrême-droite, quant à elle, promet implicitement un monde pire fait d’inopportunité, d’inégalité biologique et sociétale, de haine et d’exclusion. Bref de racisme. Cette vision décadente, sectaire, aliénante et aliénée de la société qui, tout en promettant le paradis à ses électeurs, les fait sombrer une fois au pouvoir, dans l’enfer. Ne suffit-il pas de jeter un oeil rétrospectif sur les années trente pour s’en convaincre ? Cela étant, des historico-sceptiques dénigreront la comparaison. Elle n’est pas raison soutiendront-ils. Peut-être. Alors regardons notre présent. Les populistes en Italie (les ex-populistes depuis peu) ne basent-ils pas l’essence de leur politique intérieure sur le dos rachitique de migrants démunis ? Le hongrois Viktor Orban ne fait-il pas son beurre politique sur des fonds européens détournés et des irrégularités financières comme les golden visas attribués à des milliardaires extra-européens ? Le scandale d’Ibiza ne fait-il pas sauter la coalition d’extrême-droite de l’autrichien Heinz Christian Strache ? Faut-il multiplier les exemples pour attester du vrai visage de la droite extrême ? D’aucuns seront convaincus. D’autres crieront au complotisme. Ainsi va le monde 2.0. Mais non le passé et l’Histoire.
Des populistes, fans de pogroms !
La marche de la droite extrême ce dimanche 15 septembre est le résultat indirect des élections législatives du mois de mai. Surtout de l’impasse des négociateurs fédéraux et flamands. Echaudés par les urnes, les adeptes du Vlaams Belang se voient pousser des ailes noires et…jaunes. Ils prétendent donner une leçon de démocratie populaire ! De la démocratie populaire à la démocrature, il n’y a qu’un pas ; celui qui sépare la gare du Nord de la gare du Midi…Les électeurs du Vlaams Belang entendaient « nettoyer les quartiers nord » de ses réfugiés. Du coup des demandeurs d’asile, à Saint-Josse-Ten-Noode, ont été mis à l’abri de peur des ratonnades. Douloureux souvenirs pour notre mémoire que ces pogroms. Celle de Juifs belges et étrangers mis dos à dos, recensés dans les maisons communales et déportés dans les camps de travail et de concentration. Mais avant cela, spoliés par une ribambelle d’ordonnances racistes et raciales, de l’interdiction de l’abattage rituel à la mise en quarantaine symbolique. Revenons à ce dimanche. Des associations ont placardé des affiches « Rassemblement raciste dans le centre-ville…risque de violence, faites attention à vous » pour prévenir les « étrangers » de la commune. Cet avertissement impromptu dans les rues du quartier nord ressemble à bien des égards à une quarantaine symbolique. En d’autres termes, si vous avez le teint mat, ne mettez pas le nez dehors ! Faut-il rappeler qu’à quelques encâblures de là, dans la commune voisine de Schaerbeek, se trouve l’enclos des fusillés ? Les 365 résistants belges, qui ont refusé l’ignominie de l’Occupation en la payant au prix fort de leur vie, y reposent. Ces 365 héros nationaux, véritables défenseurs de la démocratie, ont dû se retourner dans leur tombe en entendant le bruit des bottes des apprenti-nazillons du « Blood, Soil, Honour et Faith« . Etrange tout de même que ce groupe ultra ait choisi pour sa dénomination la langue de Shakespeare en lieu et place de celle de Goethe ? Ou faut-il plutôt dire la langue de Richard Wagner ? En tous les cas, l’appellation « Blut, Boden, Ehr, Vertrauen » serait plus avertie et conforme à l’Histoire. Les flamingants seraient-ils désormais frappés d’une forme rare d’amnésie mémorielle ?
En attendant que les formateurs, déformateurs et autres informateurs, englués dans d’interminables palabres, sauvent la face de notre pays par la formation d’un gouvernement en bonne et due forme, les revendications endimanchées creuseront un peu plus le fossé entre les groupes sociaux, les communautés culturelles et linguistiques etc. Le bourgmestre de la ville qui interdit la manifestation, le monde associatif qui organise une contre-manifestation, et la police qui s’érige comme ultime rempart contre des partisans de la division sociale, remplissent chacun leur rôle. Toutefois en l’absence d’une politique socio-culturelle cohérente et bétonnée, le voyant rouge du populisme et de l’extrémisme clignotera chaque fois un peu plus fort en Belgique. A la société civile et au politique d’accomplir leur fonction sociale et juridique. Je ne bouclerai pas mes valises car cette fois-ci la brigade du colonel Piron ne sera pas au rendez-vous !
Farid Bahri, enseignant d’Histoire dans le secondaire
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