« Le Québec fait sa révolution silencieuse »
Comme en Belgique, les questions identitaires et linguistiques restent sensibles au Québec. Mais l’indépendantisme est en net déclin, surtout chez les jeunes, moins idéalistes que leurs prédécesseurs.
« Vive le Québec libre ! « , lançait, il y a cinquante ans, le général de Gaulle du balcon de l’hôtel de ville de Montréal, devant une foule en liesse. Un demi-siècle après le discours historique du président français, la Belle Province serait parfaitement viable comme Etat indépendant, mais le souverainisme n’y fait plus recette. » Le soutien à l’indépendance décline surtout chez les jeunes, signale Jocelyn Létourneau, historien et professeur à l’université Laval de Québec. Je dirais, pour faire un clin d’oeil à la « révolution tranquille » des années 1960-1970, que le Québec connaît cette fois une « révolution silencieuse » : d’ici à dix ans, les baby-boomers seront presque tous à la retraite. Dans les postes décisionnels, ils auront été remplacés par les générations X et Y, nées dans les années 1970, 1980 et 1990. Plus pragmatiques et moins idéalistes que leurs prédécesseurs, ces jeunes sont aussi plus ouverts sur le monde et moins imprégnés par le paradigme de l’infériorité historique. »
Les sondages confirment : sept électeurs québécois sur dix âgés de 18 à 34 ans rejettent le projet d’un Québec indépendant. Toutefois, deux jeunes sur trois se disent » avant tout Québécois « , les autres se considérant » d’abord Canadiens « . En outre, le statu quo dans les relations avec le Canada ne satisfait que 29 % des sondés. » Jamais, au Québec, on ne s’est senti autant « québécois », admet le professeur Létourneau. Mais la forme politique de l’appui à l’indépendance ne convainc plus, ou séduit moins, en particulier chez les milléniums. » En 1995, lors du second référendum sur la souveraineté, le non à l’indépendance l’a emporté de quelques milliers de voix (50,5 % contre 49,5 % de oui). Aujourd’hui, le oui, en recul depuis dix ans, n’obtiendrait plus que 36 % des voix. Du coup, la moitié à peine de ceux qui veulent faire du Québec un pays gardent encore l’espoir de voir leur rêve se réaliser.
Libre ou pas, le Québec ?
Cinquante ans après le » Vive le Québec libre ! » du général de Gaulle, le Québec est-il plus » libre » ? » Oui, il est libre de ses choix, et ils ont été exprimés lors des référendums de 1980 et 1995 et lors des élections générales « , répond Philippe Couillard, le Premier ministre (libéral) du Québec, dans une interview au quotidien Le Soleil. » Il a acquis une liberté financière et économique, autrement dit une liberté d’action. » Réplique de Jean-François Lisée, chef du Parti québécois (PQ), la formation souverainiste, rejetée dans l’opposition : » Le Québec ne contrôle pas sa défense ni ses relations internationales. Une constitution lui a été imposée, qui a limité sa capacité d’agir, en particulier dans l’éducation et la langue… De plus, le droit canadien actuel dit que le Québec n’est pas libre de quitter le Canada. »
Les réactions politiques après la publication, le mois dernier, des résultats (erronés ! ) d’un nouveau recensement linguistique au Québec montrent à quel point les questions identitaires et de langue restent explosives au Québec. L’organisme fédéral de statistique a indiqué, dans un premier temps, que la population anglophone avait bondi et que le français était en déclin. Aussitôt, Jean-François Lisée a prévenu qu’en cas de retour au pouvoir des péquistes au scrutin québécois d’octobre 2018, il exigerait des candidats à l’immigration une connaissance du français avant même qu’ils arrivent au Québec. Mais les chiffres ont été rectifiés : en fait, c’est l’anglais qui recule, après avoir progressé jusqu’en 2011.
Les sereins et les inquiets
» La question du statut et de la condition de la langue française au Québec est extrêmement sensible pour une minorité de Québécois, les plus bruyants, admet l’historien Jocelyn Létourneau. Les autres ont, au-delà de leur attachement organique au français, une ouverture à l’anglais comme lingua franca. Pour la plupart des jeunes francophones, parler l’anglais ou passer à l’anglais n’est pas la preuve d’un état d’aliénation ou d’une attitude de capitulation. Pour les Québécois « sereins », l’important est que le français demeure la langue publique commune au Québec et que cette langue continue à soutenir une culture et une identité collectives. Les « inquiets », eux, estiment que l’héritage canadien- français est en danger, que parler l’anglais introduit les ferments d’une culture opposée. »
L’identité québécoise reste assurément une valeur forte dans la province. De la Gaspésie au lac Saint-Jean, de la Mauricie à la région de Charlevoix, bon nombre de Québécois font flotter au mât de leur maison le fleurdelisé, leur drapeau aux racines françaises. Certains ne cachent pas leur indifférence, voir leur allergie à la vue de l’unifolié, le drapeau canadien à la feuille d’érable. De même, en cette année du 150e anniversaire de la Confédération canadienne, des politiciens et blogueurs québécois assurent que les festivités » Canada 150 » ont été l’occasion, pour un gouvernement libéral épris de nation building, de » réécrire l’histoire « . Que cet anniversaire est, en fait, celui d’une simple réorganisation administrative des colonies britanniques d’Amérique, votée par le Parlement de Londres, sans consultation directe de la population canadienne, et menée au détriment des Amérindiens. Que le Canada est né bien avant, sur les berges du Saint-Laurent, en 1608, avec l’établissement de la première colonie permanente par Samuel de Champlain, à Québec. Ou alors, bien plus tard, en janvier 1932, quand le Canada a été reconnu comme pays souverain par le Royaume-Uni.
Racisme et islamophobie
Pour autant, des partisans de l’indépendance ne cachent pas, ces temps-ci, leur désarroi face à l’expression, dans leurs propres rangs, de propos racistes et islamophobes, notamment sur les réseaux sociaux. Le chef du PQ lui-même surfe volontiers sur la vague identitaire à tendance xénophobe. » Le populisme prospère actuellement dans les milieux ouvriers et la classe moyenne inférieure, constate un expatrié belge en poste à Montréal. Les lignes ouvertes des « radios poubelles » mettent de l’huile sur le feu : des animateurs alimentent des sentiments hostiles à la diversité. » Une frange de la population en perte de repères et qui s’estime exclue socialement a développé, comme les Angry White Men, les milieux blancs américains en colère ralliés à Donald Trump, une allergie à la mondialisation, au multiculturalisme et aux élites politiques. Un courant minoritaire au Québec, mais qui fait de plus en plus de bruit.
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