Carte blanche
Le prof « devant son tableau noir »: ce métier-là se doit de disparaître (carte blanche)
Alors que de nombreuses écoles sont en grève, ce 10 février, Bernard De Commer, ancien permanant du SEL-SETCa, appelle les enseignants à ne pas oublier la question de la lutte contre les inégalités scolaires. Le futur Pacte pour une enseignement d’excellence offre, selon lui, une solution intéressante. A condition que le métier de prof évolue.
La lutte contre les inégalités scolaires est loin d’ être neuve.
Ainsi, par exemple, le décret du 30/06/1998 visait à assurer à tous les élèves des chances égales d’émancipation sociale, notamment par la mise en oeuvre de discriminations positives. La discrimination positive. C’est une réponse qui avait été trouvée il y a quelques années dans un contexte de graves violences en milieu scolaire.
L’idée a paru intéressante à l’époque parce que des moyens supplémentaires étaient accordés aux établissements fréquentés par des populations à problèmes. Cela donnait aussi meilleure conscience aux écoles huppées qui ne souhaitaient pas voir débarquer en leur sein des enfants en difficultés d’apprentissage et qui ne se sont jamais gênées pour les orienter au plus vite vers des écoles mieux adaptées, disent-elles, aux difficultés de ce type d’élèves.
Puis vint . le décret du 28/04/2004 relatif à la différentiation du financement des établissements d’enseignement fondamental et secondaire. Dans un souci d’éviter précisément la ghettoïsation générée par la discrimination positive, à l’instigation du Ministre Nollet, sous la majorité arc-en-ciel, avait été mis en place un financement différencié qui visait à non seulement lutter contre l’échec scolaire mais aussi à plus de mixité sociale.
Un élève issu de milieu socioculturel défavorisé « rapportait plus » à l’établissement qui l’accueillait. L’idée étant d’inciter les écoles « de bonne réputation » d’accueillir ces élèves-là au lieu de les exclure à mots couverts en les orientant ailleurs.
Ni ce décret ni celui concernant les discriminations positives n’ont vraiment atteint les objectifs qu’ils s’étaient fixés. Ce fut alors au tour du décret du 30 avril 2009 organisant un encadrement différencié au sein des établissements scolaires de la Communauté française afin d’assurer à chaque élève des chances égales d’émancipation sociale dans un environnement pédagogique de qualité.
Celui-ci, toujours d’actualité, ne semble pas répondre entièrement aux attentes, à en croire les chiffres relatifs au décrochage scolaire allant souvent de pair avec la relégation scolaire. En 2020, le pourcentage de 18-24 ans qui ont quitté prématurément les bancs de l’école s’élevait à 9,7 % chez les 18-24 ans résidant à Bruxelles, 9,8 % en Wallonie . C’est effectivement le plus bas de ces 20 dernières années. Mais pas de triomphalisme face à des chiffres qui frôlent les 10%.
Si cela n’a pas marché ou, plutôt, pas tout à fait marché, c’est parce que, me semble-t-il, l’école est restée égale à elle-même dans sa structure, son organisation. Le Pacte pour un enseignement d’excellence vise justement à complètement chambouler cette structure. Il a fait l’objet de méfiance, de doute, de rejet parfois. A l’heure où l’individualisation poussée à l’extrême a généré l’égoïsme social et parallèlement l’égoïsme scolaire comme sans doute jamais auparavant au point de reléguer une part sans cesse croissante d’enfants et d’étudiants, il s’impose de recréer un système éducatif qui permette de vivre au quotidien des valeurs comme l’entraide, la solidarité et la compréhension mutuelle, de respecter aussi les rythmes d’apprentissage de chacun .
L’école qu’est en train de générer le Pacte, me paraît être une composante intéressante de ce système. Pour la première fois sans doute, l’école ne sera plus excluante mais incluante. C’est un défi, indéniablement. Mais plus encore : c’est une urgence.
Pour s’approcher autant que faire se peut de cet idéal, la formation initiale des enseignants se doit de coller au plus près appuyer de cette recommandation du Conseil de l’Education et de la Formation : « La formation initiale des enseignants et leur formation en cours de carrière doivent mettre l’accent sur des compétences qui les aideront à donner à leurs élèves une vue large du monde, en plus de les former à une bonne connaissance de leur matière, une attitude pédagogique et de leur donner la volonté de continuer à se former. » (Avis 112 du 25 novembre 2005).
Cette attitude pédagogique soulignée par le CEF implique que le métier d’enseignant doit évoluer. Il reste encore l’héritier de la massification entamée de manière significative juste après la Grande Guerre. Pour reprendre une image d’Epinal : le prof « devant son tableau noir ». Ce métier-là se doit de disparaître. La transmission des savoirs n’est plus réservée à la seule école à l’ère des TIC.
Le prof d’après-demain sera avant tout un pédagogue au sens où Célestin Freinet le pensait : « C’est l’enfant lui-même qui doit s’éduquer avec le concours des adultes. Nous déplaçons l’acte éducatif : le centre de l’école n’est plus la maître mais l’enfant ».
Plus donc un prof seul « devant son tableau noir » fût – il interactif, mais travaillant en équipe, en complémentarité, dans une démarche de qualité, responsable devant lui-même, ses collègues et la société. Un prof dont la définition du travail ne se déclinera plus en périodes de cours à donner mais en temps de présence sur son lieu de travail. Avec, bien évidemment, des balises :il n’est pas question de faire tout et n’importe quoi.
Quant à la gouvernance des établissements -le leadership tant réclamé par nos directions actuelles-, elle s’établira sur des objectifs, des choix de moyens, une efficience et un contrôle des résultats élaborés en équipe. Le Pacte va dans ce sens-là, c’est un premier pas, une révolution dans les mentalités et c’est pourquoi, sans doute, il se heurte à ce qu’on entend dans les salles de profs, dans les médias.
En fait, il est demandé à ces profs d’abandonner leur statut de prof et c’est très insécurisant. Mais si l’on veut vraiment se donner une chance de lutter contre les inégalités scolaires, celles qui en plus des inégalités sociales préexistantes s’y ajoutent, on n’a pas le choix. Il importe de s’inscrire honnêtement dans l’ensemble des démarches prônées par le Pacte, dont, notamment, la formation initiale et en cours de carrière des enseignants.
Je ne doute pas, alors que les enseignants sont en grève dans les écoles ce 10 février, que cette lutte contre les inégalités scolaires reste bien présente chez eux, en plus de leurs autres revendications.
Bernard DE COMMER, ancien permanant du SEL-SETCa
Le titre est de la rédaction. Titre original: Le Pacte pour un enseignement d’excellence dans le cadre de la lutte contre les inégalités scolaires
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