Carte blanche

Le privilège « blanc » vs la diversité culturelle (carte blanche)

Mohamed Ouachen, artiste et membre de la Plateforme Diversité Sur Scènes, propose de faire de ce 21 mai « la journée nationale des assises sur les inégalités culturelles ».

Depuis le début de la pandémie nous avons toutes et tous vu le fossé des inégalités sociales s’agrandir à vue d’oeil. Ce constat s’établit aussi entre les politiques et les acteurs de terrain. Entre le monde culturel et les quartiers dits « populaires ». Entre l’interculturalité et les scènes artistiques.

La question des inégalités raciales a été inexistante du débat public autour des enjeux de la pandémie, plus spécifiquement dans le secteur culturel. Comment dès lors prétendre lutter contre les inégalités culturelles, économiques et sociales? Comment favoriser la diversité au sein de nos institutions qui pratiquent invariablement l’entre-soi?

L’invisibilisation des racisé.e.s est-elle une stratégie assumée pour nourrir la culture de l’endogamie? Faudrait-il s’attaquer ostensiblement à réduire les privilèges des Blanc.h.e.s pour favoriser la diversité ? Au lendemain de la mort de George Floyd ce débat a eu lieu et puis il a à nouveau subitement disparu des radars politiques et médiatiques. Pourquoi?

Le privilège « blanc… »

Sans devoir faire la démonstration que le « privilège blanc » existe, ce que l’on sait d’ores et déjà, c’est que le « Blanc »/la « Blanche » n’a point besoin de se justifier et qu’il.elle n’est pas confronté.e quotidiennement à des préjugés, des discriminations et du racisme. Que ce soit au niveau de l’accès à l’emploi, de l’accès au logement mais aussi de l’accès à la culture.

Arrêtons nous sur la question de la culture.

Nous avons toutes et tous des préjugés et nous avons toutes et tous la responsabilité morale de les combattre dans nos comportements et de réformer nos réflexes afin de devenir meilleur, de mieux vivre avec soi-même et donc par essence avec les autres. Si la lutte contre le racisme systémique ne peut se résumer à une simple lutte contre les préjugés individuels, en revanche les scènes artistiques et théâtrales peuvent grandement contribuer à questionner les visions hégémoniques du monde, à faire advenir sur le devant de la scène les populations dites minoritaires dont les médias et les politiques parlent sans cesse tout en évitant soigneusement de les convier à leur table.

N’apparaît-il pas de ce fait urgent de déconstruire, au sein des institutions culturelles, le privilège de l’entre-soi blanc? Ceci pour éviter les visions étriquées et euro-centrées du monde, qui confortent les privilèges des uns et renforcent les inégalités sociales et économiques à l’égard des autres. Un cercle vicieux duquel il y a urgence de s’extraire.

Une des manières de faire advenir ce monde pluriel sur les scènes culturelles consiste précisément à donner pleinement voix au chapitre aux artistes renvoyés à une éternelle étiquette de « diversité », se voyant tantôt réduits à la marginalité, tantôt cantonnés à des formes d’art considérés comme subalternes.

Mais comment procéder dans un milieu constitué majoritairement de personnes jouissant de ce fameux « privilège blanc »? Comment aussi questionner cette incohérence qui consiste à dire que l’on est ouvert à la diversité tout en, dans le même temps, n’engageant que très peu, voire pas du tout de personnes « racisé.e.s », non-blanches?

Commençons par questionner la représentativité des directions de théâtres. Ont-elles dans leur entourage essentiellement des personnes qui leur ressemblent? Fonctionnent-elles sur base d’un paradigme racial à remettre à jour? Hier comme aujourd’hui, la réponse à ces deux questions semble hélas être désespérément positive.

Accepter la diversité…

Changer de paradigme c’est accepter de mettre au défi une partie de notre identité. C’est accepter de changer notre manière de voir le monde en questionnant notre rapport à lui.

Je suis Bruxellois, né wallon, grandi dans un quartier dit « populaire » et issu d’une troupe de théâtre flamande. Je suis d’une identité multiple. Et cela me parait tellement évident de penser que le frottement avec des cultures diverses m’a transformé et m’a amené à avoir une multitude de points communs avec des personnes qui ne me ressemblent pas. J’ai appris à respecter l’autre en déconstruisant les préjugés. Je me sens dès lors en droit de revendiquer la réciprocité comme base même du dialogue.

J’ai pu voir tout au long de mon parcours d’artiste des Blanc.h.e.s prétendre prendre conscience qu’ils.elles pouvaient avoir des comportements discriminatoires sans toutefois parvenir à s’en défaire. Chassez le naturel, il revient souvent au galop! « Vous voyez le racisme partout ! », « Ma meilleure amie est noire », « Le monde ne s’est pas fait en un jour, faut être patient et ne pas se précipiter », etc. Voilà le genre de répliques qui nous sont envoyées au visage à longueur de temps, nous « racisé.e.s », dès que l’on ose poser la question du racisme systémique de manière un tant soit peu conséquente. Durant ce temps, les inégalités continuent de se creuser inexorablement.

Au lendemain de cette pandémie, il est plus que temps de se questionner de manière sincère et profonde pour sortir courageusement de l’hégémonie raciale blanche qui s’impose à nous toutes et tous.Une bouteille lancée à la mer…

Ce 21 mai 2021 a lieu la journée mondiale de la diversité culturelle sous l’égide de l’UNESCO. Je lance cette bouteille à la mer en espérant qu’elle puisse atterrir entre les mains de celles et ceux qui sont en position de pouvoir prendre au sérieux ces revendications et d’en faire un enjeu prioritaire au nom de l’égalité, de la justice et de la lutte efficace contre le racisme. J’interpelle aussi les conseils d’administration du monde culturel, les membres du gouvernement fédéral, les décideurs en Fédération Wallonie Bruxelles, au niveau des régions et des communes, afin de faire de cette date une journée de « l’Action nationale de la diversité culturelle ». D’en faire « La journée nationale des assises sur les inégalités culturelles », car nous ne savons encore que trop bien que les inégalités nuisent gravement à la cohésion sociale, nuisent gravement au bien-être, nuisent gravement au vivre-ensemble agréable et fraternel. Oui, faisons de cette journée un nouveau repère et mettons en oeuvre, jusqu’au 21 mai suivant des actions concrètes pour faire l’état des lieux et des avancées contre les inégalités culturelles.

La période post-covid doit inévitablement se placer sous le signe du décloisonnement et de la lutte contre toutes les inégalités. Dans ce contexte, le mot d’ordre « standing for culture » n’aura de sens que s’il s’agit de se tenir debout pour toutes les formes de cultures, sans hiérarchie aucune entre les différentes formes d’art ou les publics divers auxquelles elles s’adressent. Sans cela, il faudra acter que les tentatives pour faire revivre le secteur culturel n’est qu’une démonstration de plus d’un univers hégémonique qui refuse de lâcher les privilèges dont il jouissait dans le monde pré-covid.

Mohamed Ouachen

Artiste

Plateforme Diversité Sur Scènes

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