Le « Premier » a mis du temps à s’imposer
D’abord ministre parmi d’autres, le » chef du cabinet » gagne ses galons de Premier ministre dans la tourmente de la Grande Guerre. La fonction, devenue vitale, a cessé de se cumuler. Evolution d’un rôle considéré aujourd’hui comme « un piège « .
« A l’origine, la tâche de »premier ministre » (ce titre apparaît pour la première fois officiellement dans les notules du conseil des ministres du 24 mars 1894) se limitait à former le gouvernement et à veiller à la politique gouvernementale dans son ensemble », rappellent les historiens Guy Coppieters et Guy Vanthemsche.
La Grande Guerre rebat les cartes. Le chef du cabinet, réfugié en France avec ses collègues, se retrouve au four et au moulin. Tout est à repenser dans la tourmente. L’union sacrée, qui associe aux affaires libéraux et socialistes aux côtés des cathos, inaugure l’ère des gouvernements de coalition et du compromis. Les rapports entre le Roi et ses ministres prennent une autre tournure. Comme le souverain perd l’habitude de présider les conseils des ministres, il a besoin d’un interlocuteur privilégié pour lui faire rapport de l’action du gouvernement, en « colloque singulier ».
« L’évolution de la fonction de chef du cabinet telle qu’incarnée au Havre par Broqueville et l’exercice du pouvoir par Francqui (NDLR : président du Comité national de secours et d’alimentation) en Belgique occupée trouvent en quelque sorte dans la création de la nouvelle fonction une issue naturelle », écrit l’historien Michel Dumoulin (UCL.)
Le chef du cabinet gagne du galon. Il cesse d’être un premier ministre parmi d’autres, émerge en Premier ministre, consacré par un arrêté royal du 25 novembre 1918. Même s’il attendra 1970 pour obtenir la reconnaissance constitutionnelle.
Durant l’entre-deux-guerres, le Premier ministre trouve encore le temps de cumuler sa fonction avec des portefeuilles aussi absorbants que les Finances, l’Intérieur, les Affaires étrangères. L’exercice atteint ses limites. « Léopold III, qui jugeait une telle charge de travail trop lourde pour un seul homme, finit par inciter Paul Van Zeeland à renoncer au cumul des fonctions de Premier ministre et de ministre des Affaires étrangères », souligne Vincent Dujardin (UCL).
« Veto royal » tout relatif. A la Libération, le socialiste Achille Van Acker, père de la « bataille du charbon », tient à être Premier ministre et ministre du Charbon dans les trois gouvernements qu’il dirige entre 1945 et 1946. Autre socialiste, Paul-Henri Spaak est le dernier à s’offrir, en 1949, la double charge de Premier et de ministre des Affaires étrangères.
Le cumul n’est plus imaginable. Comment ne pas être Premier ministre à temps plein, quand on gère des méga-gouvernements (jusqu’à 36 portefeuilles dans les années 1970) ou des coalitions de six partis des deux bords linguistiques ?
Par Pierre Havaux
Le dossier « Le 16 est-il un traquenard pour le MR ? » dans Le Vif/L’Express de cette semaine.
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