Caroline Lamarche
Le post-scriptum de Caroline Lamarche: salut libraire! (chronique)
Une fois par mois, l’écrivaine belge sort de sa bibliothèque un livre qui éclaire notre époque.
Certaines rééditions sont des projectiles aptes à bousculer le front serré des nouveautés déployées, à l’automne, sur les tables des libraires. Salud Camarada! en fait partie. Son auteur, Mathieu Corman, né en 1901 près d’Eupen, ne s’est pas contenté d’une vie aventureuse fidèle au communisme, souvent incomprise, et conclue en 1975 par son suicide le jour de son anniversaire. En 1925, il ouvre sa première librairie. Il y en aura trois, mythiques, à Ostende, Bruxelles et au Zoute. Condamné à plusieurs reprises pour publication d’ouvrages « contraires aux bonnes moeurs », cet amoureux des livres s’est aussi, et surtout, engagé dans les guerres du siècle. En 1936, il rejoint, en Espagne, les Brigades internationales et plus particulièrement les anarchistes de la colonne Durruti. Correspondant du quotidien Ce Soir et de l’Agence España, il est parmi les premiers à pénétrer, le 26 avril 1937, dans Guernica détruite par les bombes allemandes, d’où l’iconique photo de l’église en flammes révélée à la fin de l’ouvrage.
Il excelle à organiser les faits « presque en nouvelles » sans transiger avec la vérité.
Paul Aron, dans sa postface, signale que Corman excelle à dessiner des personnages et des atmosphères, organisant les faits en autant de fragments aux registres variés, « presque des nouvelles », sans pour autant transiger avec la vérité. Qui a lu Hommage à la Catalogne, de George Orwell, y retrouvera les mêmes protagonistes, avec une insistance non plus sur les dissensions entre les diverses factions rouges, mais sur les hommes du front, leur courage, leur solidarité, leur désespoir ou leurs espoirs. On y découvrira le destin des transfuges passés des rangs fascistes, où ils étaient enrôlés de force, aux lignes républicaines. On y apprendra que les miliciens, au péril de leur vie, plaçaient au bord des tranchées ennemies des panneaux visant à rééduquer ceux d’en face par ces mots: « Soldado, piensa que luchas contra tus propios hermanos » (Soldat, pense que tu luttes contre tes propres frères) ou encore « Fascio significa guerra, muerte y retraso de civilizacion! » (Fascisme signifie guerre, mort et recul de la civilisation).
Si on y voit passer de grandes figures – le « fauve » Durruti, abattu à Madrid -, on y sent surtout un peuple d’ouvriers, de paysans, d’artisans en deuil d’une épouse, d’une mère, d’un enfant, parfois d’un village entier et n’ayant plus rien à perdre. L’audacieux Pablo, le petit Jorge, l’impitoyable Sevilla, l’idéaliste Cottin, Zapatero, le cordonnier italien dit « le tombeur de chars », ou encore Libertario dont les carnets révèlent la tendresse pour un camarade. Et quelques femmes sans nom: une vieille mère accourue sur le front pour retrouver son fils, seul survivant d’une famille décimée, une fiancée qui, après la mort de son aimé, va « se placer toute seule dans la montagne, au milieu des loups, pour en tuer le plus possible » avant de se faire tuer elle aussi, une jeune fille massacrée par les bombes à Guernica. Autant de protagonistes inoubliables d’un témoignage à hauteur du « nouveau journalisme » promu aujourd’hui comme une sorte de nouveauté.
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