Caroline Lamarche
Le post-scriptum de Caroline Lamarche: refaire un petit coin de monde (chronique)
Une fois par mois, l’écrivaine belge sort de sa bibliothèque un livre qui éclaire notre époque.
Qu’offrir en guise de voeux pour une année plus sage, sinon un vade-mecum qui braque dans notre nuit la lampe de poche de la sagesse universelle? Connais-toi! Toi-même! C’est le sous-titre facétieux donné à un recueil de « miniatures philosophiques » qui apprivoisent les grands auteurs de l’Antiquité grecque et latine mais aussi d’hier et d’aujourd’hui. Un art de la forme brève que Pascale Seys, journaliste, professeur de philosophie et chroniqueuse à la RTBF, pratique avec fluidité, déployant sa pensée en rhizome avec un sens de la formule qui fait mouche.
Les titres des chapitres, eux-mêmes chapeautés par des illustrations délicates, dessinent un paysage des plus variés. Qu’il s’agisse d’objets connectés, de totalitarismes, de la « virgule d’Oxford », du polyamour ou de la vie des abeilles, l’autrice n’élude jamais la profondeur ni le souci de communiquer clairement. Ces pages n’exigent pas que l’on soit féru de philosophie, il suffit d’être curieux de notre temps et des passerelles possibles entre nos ancêtres et nous. Une pensée liquide, si l’on veut, pour reprendre la formule de Zygmunt Bauman qui apparaît, parmi d’autres, dans ces pages. Un propos à la fois virtuose et modeste, qui commence à surgir ailleurs. Je pense au documentaire atypique de Benjamin Hennot, Détruire rajeunit, qui réduit le grand écart entre les luttes des années 1960 et le monde d’aujourd’hui en faisant dire à de très jeunes gens les mots de leurs aînés, comme si rien n’était à inventer, simplement à redire avec une fraîcheur nouvelle. Il ne s’agit plus, en effet, de « refaire le monde » mais bien « un petit coin de monde ». Dans une chambre d’écriture, de montage, d’enregistrement, tenter de nouvelles formules pour sortir de leur torpeur les esprits accablés. Rajeunir. Nous rajeunir. Sans miracle ni fracas. Rien à voir avec les blockbusters et leur vacarme d’apocalypse. Rien du manichéisme ambiant.
Pascal Seys appartient à cette génération qui fait la révolution de manière pointue, jubilatoire et discrète. Tous les grands thèmes qui nous agitent se retrouvent dans son livre: l’amour, la liberté, l’égalité des genres, l’état de la planète et de nos sociétés, la pandémie, la mort. Et tout cela avec « le courage de la nuance » que le directeur du Monde des Livres, Jean Birnbaum, oppose aux invectives des réseaux sociaux dans un « bref manuel de survie par temps de vitrification idéologique » qui fait écho à celui de Pascal Seys. On lira l’un pour sa gravité, l’autre pour sa fantaisie, les deux pour la finesse d’une pensée riche en nuances vagabondes et dont l’absence d’arrogance pourrait peut-être faire advenir le miracle que nous n’osons plus espérer. Car, comme l’a écrit Camus, maître à penser de Seys comme de Birnbaum, « chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais ma tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. »
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