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« Le passeport vaccinal pose problème s’il amplifie les inégalités »

Caroline Lallemand Journaliste

Axel Gosseries, philosophe à l’UCLouvain et responsable de la Chaire Hoover, revient pour LeVif.be sur l’idée débattue d’un passeport vaccinal ainsi que sur la possibilité d’une vaccination semi-obligatoire.

L’instauration d’un passeport vaccinal pour le Covid19 pourrait-il mener à une certaine forme d’injustice sociale, entre les personnes déjà vaccinées et celles encore en attente d’un vaccin ?

Oui, le passeport vaccinal peut amplifier des injustices d’arrière-plan. Premier exemple : l’accès inégal au vaccin. Si l’accès aux vaccins est déterminé par des priorités injustes, par exemple en réservant la priorité aux pays riches au détriment d’autres, le passeport vaccinal amplifiera ces injustices globales ou nationales. Second exemple : les métiers exposés. Différencier le droit de travailler sur base de l’immunité peut impliquer dans les faits un devoir de travailler en impactant le droit au retrait des travailleurs. Si les moins privilégiés d’entre nous sont sur-représentés dans les professions exposées et si l’immunité garantie par le vaccin n’est pas suffisante, cela renforcera les inégalités.

Un passeport vaccinal, vu comme un sésame pour accéder à certains évènements et lieux publics, peut aussi être considéré comme une obligation de vaccination dissimulée. Quelle serait pour vous, d’un point de vue éthique le recours à la vaccination (semi)-obligatoire dans ce contexte ? Et celle limitée à des personnes qui, par exemple, fréquentent des groupes très fragiles ?

Si on a recours au passeport vaccinal (comme on le fait déjà dans les crèches pour d’autres pathologies), il faut penser son usage pour éviter une amplification des inégalités ou l’introduction d’une obligation de vaccination dissimulée si une telle obligation ne peut être justifiée par ailleurs. Supposons que le vaccin COVID réduise effectivement la contagiosité et qu’il soit gratuit et disponible. Si ces conditions sont remplies, l’imposer pour l’exercice d’activités de loisir de masse où les distances sont parfois difficiles à préserver (festivals, stations de ski,…) pourrait se justifier. Pour les activités plus essentielles, l’imposition est plus délicate si elle engendre dans les faits une obligation de vaccination dissimulée dans un contexte où cette obligation ne serait pas encore jugée justifiable. Reste la persuasion, qui passe par une information et un débat public honnête et accessible.

Pensez-vous que le choix de la vaccination soit la seule solution fondée sur le plan éthique ? Au lieu de laisser, par exemple, le virus circuler jusqu’à atteindre l’immunité collective ou laisser aux seules personnes « à risque » la responsabilité de se protéger ?

La vaccination me semble une priorité, même si elle n’est clairement pas la seule mesure possible, ni la seule mesure acceptable.

Etes-vous d’accord sur le fait que le recours à la vaccination sur une base libre est conforme à un certain nombre de principes, comme le respect de l’autonomie de la volonté, de l’intégrité physique, etc. ?

Si une pathologie est susceptible d’imposer des coûts majeurs à autrui, et si le vaccin est raisonnablement efficace sans être dangereux, il peut y avoir de bonnes raisons de rendre un vaccin obligatoire. Si une maladie est très grave et très contagieuse, revendiquer mon intégrité physique pour refuser un vaccin, c’est potentiellement menacer celle de mon voisin. Et ceci est vrai même si, comme pour la polio, le virus n’engendre des formes graves que dans une minorité des cas. Ceci dit, il y a au moins deux obstacles à une obligation vaccinale pour le COVID pour le moment. D’abord, nous n’avons pas les stocks. Et c’est surprenant d’ailleurs qu’on ne déploie pas plus de ressources humaines à leur production. Ensuite, on manque de recul sur le degré auquel les vaccins actuels nous rendraient moins contagieux.

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