Le Musée de l’armée, rénové ou démembré ?
Que va devenir le Musée royal de l’armée, dont les collections pourraient être dispersées ? Emoi au Palais, qui a convoqué l’historien flamand chargé de plancher sur la refonte de l’institution.
Les touristes qui visitent ces jours-ci le Musée royal de l’armée, à Bruxelles, vont d’étonnement en étonnement : le hall d’entrée est en travaux et il leur faut emprunter un accès provisoire bricolé, qui conduit directement dans l’immense palais de l’aviation, où la température peut être glaciale en hiver. La plupart des salles sont d’une vétusté repoussante et certaines sont inaccessibles. Un vaste espace reste vide depuis la fermeture de la section Résistance. Fermée elle aussi au public, la cour carrée, où hibernent une douzaine de vieux chars et transports de troupes, attend toujours sa rénovation…
Toutefois, ce que la plupart des visiteurs ignorent, c’est la menace qui pèse sur les collections elles-mêmes. Délaissé par les pouvoirs publics, touché comme d’autres établissements fédéraux par des restrictions budgétaires et secoué ces dernières années par des conflits internes et un management « autoritaire », le musée créé à l’occasion de l’Exposition universelle de 1910 pourrait être dépouillé d’une partie de ses trésors, au terme d’une restructuration aux contours encore flous.
Dispersion du patrimoine militaire
Un historien militaire, le Pr Luc De Vos, est à la manoeuvre. Il a été nommé, en 2013, à la tête du Pôle historique de Défense, un organe consultatif. Dans le cadre de ce mandat, le professeur émérite de la KU Leuven et de l’Ecole royale militaire a été chargé, par Steven Vandeput, ministre N-VA de la Défense, de plancher sur une refonte du Musée de l’armée et de ses antennes. Vandeput, qui a la tutelle sur ces entités, projette, en marge de son plan stratégique pour l’armée belge, une remise à plat de la gestion du patrimoine militaire. Trois personnes assistent De Vos dans sa mission, dont Christine Van Everbroeck, directrice intérimaire et seule responsable de l’institution associée aux discussions.
Tout récemment, à l’issue d’une réunion, la fuite d’un organigramme a permis d’en savoir plus sur les réorganisations prévues ou envisagées. Il en ressort que l’Institut des vétérans et des invalides de guerre, dont le pôle mémoriel sera intégré au Musée de l’armée, disparaît pratiquement des radars. Surtout, il apparaît que ce dernier sera soumis au principe des « concessions ». En clair, des sites flamands et wallons hériteront de fleurons du patrimoine militaire national. Luc De Vos part du constat que le musée de l’esplanade du Cinquantenaire « n’a pas l’argent » pour entretenir et développer les collections. Une certitude : les économies auxquelles le gouvernement soumet la Défense ont conduit à raboter de 20 % la dotation du musée, dont le budget annuel dépasse à peine les 3 millions d’euros. La vitrine de l’histoire militaire du pays attend son lifting depuis des lustres.
Un organigramme qui annonce la couleur
Très instructif, l’organigramme indique les sites choisis pour cette « régionalisation » partielle des collections du musée : les bases flamandes de Brasschaat, Coxyde et Bourg-Léopold et les forts liégeois de Loncin et Eben-Emael. Le Pr De Vos nous confirme qu’une partie de la prestigieuse collection d’avions de la section Air-Espace du Cinquantenaire, en particulier les gros zincs, pourrait être déployée sur la base aérienne de Coxyde. Du matériel récent de l’armée prendrait la direction du camp limbourgeois de Bourg-Léopold. Brasschaat, fief historique de l’artillerie, hériterait de « matériel roulant » : un hangar du camp anversois a déjà en dépôt une partie de la collection de blindés.
Loncin et Eben-Emael, eux, recevraient respectivement des pièces de la Première et de la Seconde Guerre mondiale. Waterloo, Bastogne, Mons et Namur sont mentionnés dans l’organigramme, mais en tant que « sites associés », et non « sites en concession ». Ils bénéficieraient de simples partenariats. « Les projets wallons mentionnés ne sont que poudre aux yeux, estime Patrick Descy, de la CGSP-Défense. J’en veux pour preuve la situation à Bastogne : la caserne, qu’on laisse mourir à petit feu, se vide peu à peu de son personnel. Par ailleurs, les contacts sont rompus entre les responsables actuels du Musée de l’armée et le Musée Wellington de Waterloo. Plus grave : l’organigramme prévoit des postes de »gestionnaires de matériel ». C’est eux qui décideront où seront transférées les collections. On peut craindre que les sites flamands soient largement avantagés lors du partage. »
Le morcellement des collections du musée désargenté est-il inéluctable ? Le sort du Musée « royal » semble inquiéter le Palais : le Pr De Vos y a été convoqué après la fuite de l’organigramme, nous assurent des sources bien informées. L’historien ne dément pas, tout en nous disant qu’il « ne parle jamais de tels rendez-vous ».
Une grande rénovation en vue ?
Luc De Vos préfère mettre l’accent sur la volonté qu’il prête au ministre N-VA de rénover en profondeur une grande partie du Musée de l’armée. L’institution abriterait, à terme, « le meilleur des collections » de l’histoire militaire belge. Ce qui ne trouverait pas sa place dans ce nouveau parcours serait placé ailleurs… Au cabinet de la Défense, on s’en tient à répéter qu' »aucune décision n’a encore été prise dans ce dossier » et le ministre qualifie l’organigramme de « document de travail ». Pas de quoi rassurer le personnel, conscient que l’institution du Cinquantenaire perdrait de son attractivité si on la privait de certaines de ses collections, et notamment d’une partie de ses vieux coucous. Le musée, qui possède l’une des collections d’aéronefs les plus importantes au monde, accueille environ 150 000 visiteurs chaque année, dont deux tiers de touristes étrangers.
« Nous avions des craintes, mais cette fois, on est face à du concret, écrit noir sur blanc sur un document », glisse un contractuel du musée. Sur place, on évoque déjà des ordres de mutation. David, un adjudant-chef francophone qui restaure les avions depuis une quinzaine d’années, aurait été contacté par sa hiérarchie en vue d’un changement d’affectation. Il rejoindrait une unité de l’armée. « Pour le musée, ce serait une grande perte, nous alerte-t-on en interne, car la section Air-Espace repose largement sur les épaules de ce jeune sous-officier très expérimenté. » Le militaire a été interviewé récemment pour une séquence du JT de la Une consacrée au musée. Suite à ses déclarations inquiètes sur son propre avenir, ses supérieurs ont exigé, nous dit-on, qu’il explique ses propos par écrit…
Ces dernières années, les tensions ont été vives entre civils et militaires du musée, où travaillent quelque 150 personnes. Des scientifiques ont milité pour que l’institution se consacre en priorité à la recherche et qu’elle quitte le giron de la Défense pour rejoindre la Politique scientifique fédérale. Mais le cabinet de la Défense a finalement renoncé à ce projet. Et pour cause : la secrétaire d’Etat N-VA Elke Sleurs a, dès avril dernier, viré le patron de Belspo, décision perçue par l’opposition francophone comme une volonté de démanteler la Politique scientifique fédérale. Depuis lors, c’est le blocage complet au Musée royal de l’armée… en attendant les décisions d’un autre ministre N-VA, Steven Vandeput.
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