Corentin de Salle
Le MR est-il déconnecté du réel?
Dans un communiqué publié samedi dernier, le président du PS a accusé le MR « d’être totalement déconnecté des réalités quotidiennes que vivent les gens ».
Cet argument est à ce point récurrent dans le camp de la gauche qu’il mérite qu’on s’y arrête. A mon sens, il véhicule au moins quatre messages et cela même si ces derniers ne sont pas nécessairement présents à l’esprit de ceux qui le brandissent.
Primo, il vise à faire croire que le MR serait incapable de percevoir et d’identifier les problèmes parce qu’il serait prisonnier d’une idéologie qui l’aveugle. Il souffrirait d’une incapacité « épistémologique » d’accéder au réel et donc de le comprendre.
Deuxio, il vise à faire croire que le MR serait incapable d’éprouver de la compassion par rapport aux malheurs qui affectent les gens. Le MR serait affecté d’une cécité morale.
Tertio, c’est un argument qui suggère que le MR et ses électeurs ne souffriraient pas des problèmes qui affectent les gens parce qu’ils appartiendraient à une classe privilégiée. Cet argument marxiste présuppose qu’il y aurait lutte des classes et que la politique du gouvernement actuel favoriserait une prétendue classe dominante, voire se réduirait à l’expression de ses intérêts.
Quarto, cet argument revient à dire que les chiffres et résultats claironnés par le gouvernement ignorent le « ressenti » subjectif dans la population suite aux prétendus dégâts engendrés par ses réformes.
Examinons ces assertions une à une.
Premièrement, accuser une formation politique démocratique d’être « totalement » déconnectée du réel est une démarche à la fois arrogante et naïve. Arrogante car cela revient à reconnaître à la gauche un accès privilégié à la réalité. Naïve car cela présuppose qu’on puisse accéder au réel directement, sans aucun filtre. En vérité, on appréhende toujours celle-ci à travers une grille de lecture. Pour ceux qui font de la politique leur profession, c’est la doctrine politique de la formation à laquelle ils appartiennent. Evidemment, ces doctrines politiques offrent chacune une vue partielle et partiale de la réalité. D’où l’intérêt des débats politiques dans une démocratie.
Deuxièmement, comme le relevait déjà Giscard d’Estaing dans son fameux débat de 1974 avec François Mitterrand, c’est un vieux travers du PS de s’arroger le monopole du coeur. C’est blessant et choquant pour les autres formations. Comme si le fait d’avoir un coeur, des sentiments et de la compassion était le monopole des socialistes ! Non, le MR n’est pas une entité désincarnée insensible à la réalité sociale. Le MR, ce sont plus de 2.000 hommes et femmes mandataires qui, chaque jour, oeuvrent sincèrement et passionnément auprès de leurs concitoyens dans leurs permanences sociales, dans les échevinats, au conseil communal, dans les CPAS, dans les associations, etc. Et le libéralisme n’est pas uniquement une doctrine économique et politique. C’est avant tout une éthique avec des valeurs fortes.
Troisièmement, les électeurs du MR se recrutent dans tous les segments de la population et sa politique ne favorise aucun d’entre eux au détriment des autres, même si, il est vrai, le présent gouvernement s’emploie en priorité à soulager les bas et moyens revenus. Enfermé dans une mythologie sociale d’un autre âge, le PS cultive encore et toujours une rhétorique martiale qui revient à dresser une partie de la population contre l’autre. Tout meeting se conclut systématiquement par un chant barbare appelant à la « lutte finale » et galvanisant les troupes. Le libéralisme récuse ces distinctions entre classes sociales. Evidemment, il existe des groupes très diversifiés dans notre société mais le libéralisme croit à l’échange entre les hommes et non à la division, à la coopération entre travailleurs et non à l’exploitation, à la concurrence entre entreprises et non à la guerre commerciale, aux réformes structurelles et non à la révolution.
Quatrièmement, affirmer que ce qui compte, c’est la souffrance des gens et non les chiffres, est une stratégie du déni typique de la gauche à court d’arguments chiffrés. Cet argument lui permet à de nier en bloc l’amélioration de la situation objectivement attestée par de multiples indicateurs socio-économiques au nom d’un « ressenti » subjectif. Entendons-nous : que l’opposition noircisse ce que fait la majorité, c’est de bonne guerre. Bien naïf qui s’en indignerait. Il existe néanmoins des faits objectifs. Parmi ceux-là, on peut citer, l’augmentation du nombre d’emplois (176.500 depuis 2014) comptabilisés par des institutions officielles, les montants d’argent affectés à une politique (900 millions € alloués par le gouvernement sur 4 ans pour l’amélioration du bien-être des pensionnés), l’augmentation des pensions minimales depuis 2014 (112 € en plus par mois pour les salariés et 162 pour les indépendants), des constats chiffrés émanant de plusieurs organismes indépendants dignes de foi ou des prévisions (création de 309.000 emplois entre 2014 et 2020 selon la Banque Nationale Belge et le Bureau du Plan), etc.
Quand le président du PS affirme, dans une interview à Sud-Presse le 27 janvier 2018, que les Belges « vivent plus mal » qu’à l’époque où il était Premier Ministre en ajoutant qu’il « ressent » que le caddie coûte plus cher quand il fait ses courses, c’est de la désinformation. En réalité, entre 2014 et 2018, les salaires nets mensuels ont augmenté de 158,8 € pour une personne qui a un salaire de 1.500 € brut. De 2014 à 2017, le pouvoir d’achat a déjà augmenté de 1,3 % (et augmentera de 2,2% fin 2018 selon le Bureau Fédéral du Plan). Quand la gauche ne cesse de répéter que les inégalités entre Belges se creusent constamment sous ce gouvernement, c’est encore un mensonge. Selon Eurostat, les inégalités de revenus en Belgique ont, non pas augmenté mais décru : elles sont en diminution de 5% entre 2006 (période avant crise financière) et 2016 en Belgique alors qu’elles augmentent dans la zone euro.
La réalité, il est vrai, ne se réduit pas aux chiffres. La réalité, ce sont des hommes et des femmes qui travaillent, des hommes et des femmes qui affrontent des problèmes, des hommes et des femmes qui trébuchent et qui se relèvent. Néanmoins, les chiffres permettent quand même d’objectiver une réalité sociale. Certes, on peut avoir d’autres lectures des chiffres. Mais, une chose est de sélectionner les chiffres qui vous arrangent et de se focaliser sur ce qui va mal. Une autre est de manipuler, de désinformer, de mentir et d’apeurer les gens.
Qui, du MR et du PS, décide de se déconnecter de la réalité ? On peut parfois s’égarer. Non pas parce qu’on est incapable de percevoir le réel ou parce qu’on manque de compassion. Mais parce que, face aux assauts déplaisants du réel, on décide de se mentir à soi-même. Jean-Paul Sartre appelait cela la mauvaise foi…
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