Le juge Claise, avocat des SDF
Dans son nouveau roman, Michel Claise nous met le nez dans une réalité qu’on refuse trop souvent de regarder en face, celle des exclus de la société. Il faut que ça change. Parole de magistrat ! Pas banal…
» Voici le réquisitoire social d’un juge parfois désespéré. » A la tourne de la couverture, la dédicace manuscrite ne laisse aucun doute – s’il le fallait encore – sur l’intention de l’auteur. » Oui, je veux pousser un cri contre l’exclusion, celle de la rue, celle de la prison « , confirme, entre quatre yeux, Michel Claise. Jusqu’ici, le magistrat-écrivain nous avait plutôt habitués aux polars financiers, faisant profiter les lecteurs de son expérience de juge d’instruction bruxellois spécialisé dans les affaires de gros sous. Pour son dixième roman, il s’est immergé dans un monde à l’opposé de celui des fraudeurs et escrocs de haut vol : celui des fantômes reclus sur un trottoir, cachés derrière leur gobelet, leur écriteau maladroit, ou calfeutrés, à même le pavé, dans leurs couvertures et leurs cartons, » comme des momies dans leur sarcophage « . Avec, pour seul réconfort, une bouteille de poison (vodka pure ou Gordon Finest Gold). Le personnage principal est une jeune SDF, Monica, à la dérive dans les rues de Bruxelles après un terrible accident de la vie. Ou plutôt c’est le SDF, zombie urbain qui a perdu toute notion de temps, qu’on ne regarde même plus comme un être humain.
Sans destination finale est bien un roman. Il y a une intrigue, une histoire d’amour, un meurtre, un procès, une SDF dans le box des accusés, une avocate philanthrope et un dénouement final qui fait froid dans le dos. Pas besoin d’en dire davantage, cela gâcherait la surprise. Mais l’importance du livre tient, avant tout, dans son intention de réquisitoire, un terme d’autant plus adapté que celui qui le signe est un juge, par ailleurs connu et reconnu. Michel Claise a longuement observé, à Bruxelles, ces êtres abîmés et oubliés, en danger permanent face à la violence de la rue, luttant contre le froid, la faim, les démangeaisons à cause du manque d’hygiène et l’indifférence, même de ceux qui leur jettent une pièce. » La rue, c’est comme un suicide raté « , écrit-il.
Sa description des naufragés de la société est précise, juste, sans pathos, avec un hommage pertinent à la maraude du Samusocial et un clin d’oeil au prince Laurent qui a ouvert, il y a plusieurs années, des dispensaires vétérinaires pour les chiens – souvent seuls compagnons – des SDF. Cela tient du documentaire. Le réalisme est implacable. On sent toutefois le magistrat révolté plus que désespéré. » Avec les difficultés économiques actuelles, l’exclusion ne cesse d’augmenter « , accuse-t-il. Et cela n’émeut personne. Idem pour le délabrement carcéral. Après la prison de la rue, le portrait qu’il dresse de la prison pour femmes de Berkendael est édifiant : la promiscuité des cellules partagées à six, voire sept, dans l’aile des préventives, le ronflement des codétenues, les besoins qu’on fait devant les autres… Tout est vrai dans cette fiction.
Le juge Claise s’interroge aussi sur la vérité judiciaire, la fragilité des expertises psychiatriques, les délais insoutenables avant que se tienne un procès. A la fin du livre, il fait dire à l’avocate de Monica : » Nous savons tous qu’en matière de justice, la vérité n’est pas le point clé. » Un constat terrible, interpellant, qu’à travers son personnage, l’auteur fait lui-même. Un auteur qui, dans la réalité, est juge… Mais un juge révolté, qui doute, c’est rassurant, non ?
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici