Le futur du Cristal Park à Seraing reporté de six mois?
Il ne se passera rien ce mardi au tribunal de l’entreprise de Liège. Les créanciers ne voteront pas, comme prévu, pour ou contre les plans de réorganisation des sociétés qui portent le projet Cristal Park. Elles demandent six mois de répit supplémentaire pour espérer rebondir.
Il ne se passera rien ce mardi au tribunal de l’entreprise de Liège. Les créanciers ne voteront pas, comme prévu, pour ou contre les plans de réorganisation de Speci, Valinvest et Immoval. Pourquoi ? Parce que ces plans n’existent pas et n’ont donc pas été présentés au tribunal. En lieu et place, les sociétés liées au projet de Cristal Park demandent un délai supplémentaire de six mois pour se réorganiser. Le tribunal se prononcera le 24 novembre prochain.
Ces sociétés en réalité sont cinq : Speci, Valinvest, Immoval, Immobilière Deprez et l’asbl Cristal Discovery. Les cinq sont en procédure de réorganisation judiciaire. Elles n’ont pas de quoi payer leurs créanciers. Elles frôlent la faillite, mais cette faillite, elles essaient d’y échapper. Le tribunal leur avait déjà accordé un répit pour ça. Il fallait présenter un plan d’apurement à leurs créanciers. Ce mardi, ces créanciers auraient dû voter sur ces plans. Le délai était trop court se justifie l’actionnaire privé principal du projet, Guido Eckelmans, qui demande du temps supplémentaire au tribunal de l’entreprise.
Quarante millions d’euros d’argent essentiellement public ont été consacrés à ce projet de reconversion du site industriel du Val Saint-Lambert. Le Cristal Park, annoncé depuis pas loin de vingt ans, n’existe toujours pas, ses mille emplois non plus. Une faillite se profile-t-elle ? L’argent de la collectivité pourrait-il se perdre ?
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La faillite, un « scénario obscur »
« Nous voulons rencontrer tous les créanciers importants sur un éventuel arrangement », nous explique Guido Eckelmans, qui admet que les sociétés, pour l’instant, ne disposent pas des fonds qui permettraient de rembourser leurs créanciers. « L’objectif, c’est d’élaborer un plan réaliste ». Guido Eckelmans évoque pour le Val Saint-Lambert un centre commercial, de la restauration, de nouvelles équipes.
« Prolonger le délai n’arrange pas du tout mon client », commente l’avocat Thibault Swennen qui défend l’architecte Christian Sauvage, premier créancier privé de Valinvest. Une faillite ne lui convient pas plus : « La faillite est un scénario complètement obscur dans lequel je ne sais pas, moi, dégager des pronostics par rapport à la créance de mon client. »
Entre la Ville de Seraing, le fonds de pension Ogeo Fund, Noshaq Immo, la Spaque et Ecetia, qui risque de perdre de l’argent ? Qui pourra récupérer ses billes ? Le Vif et la RTBF ont pu consulter une partie du dossier. Il est notamment constitué de multiples conventions de prêts d’argent, de promesses d’achats, de garanties, de gages et d’avenants qui se croisent, se recroisent, se transmettent, se prolongent, s’annulent. Il s’en dégage l’impression d’un étonnant fouillis dans lequel le chat d’un juriste d’affaires aura du mal à retrouver ses petits.
Le PTB craint que la Ville soit la grande perdante de l’affaire. Le conseiller Damien Robert le martèle depuis des mois au conseil communal et l’a encore redit ce lundi soir : « En cas de faillite, certaines de ces conventions impacteraient la Ville directement ou indirectement. La Ville pourrait perdre beaucoup d’argent et des terrains qui étaient considérés par le promoteur immobilier qui a été arrêté comme ‘les plus beaux terrains constructibles de la région liégeoise’ ».
Je te tiens, tu me tiens : des garanties surprenantes
Ces terrains, un peu plus de 100 ha à l’est et au sud du château, dont une grande partie en zones de parc et forestière et l’autre en zone constructible, la Ville de Seraing s’était engagée à les vendre à Immoval pour 3.106.000 euros. La Maison Sérésienne vendait, de son côté, 11 ha pour 2.741.000 euros.
Non seulement cet argent n’a pas été payé, mais les compromis de vente ont été apportés en gage à Ogeo comme garantie d’un prêt de 1.750.000 euros. Si Immoval ne rembourse pas (et n’a pas remboursé) ou fait faillite, Ogeo, pour rentrer dans ses frais, aura le droit d’acheter les terrains de la Ville et de la Sérésienne à la place d’Immoval. Restera au nouvel acheteur, s’il veut rentrer dans ses frais, à développer un projet rentable.
Avoir le droit de dépenser de l’argent pour espérer récupérer de l’argent, ça semble tordu. Mais si les parties sont d’accord, la loi ne leur interdit pas ce genre de contrat. Pour ne rien simplifier, la Région wallonne a récemment cassé les compromis de vente passés avec la Maison sérésienne. Un mécanisme similaire est appliqué entre la Spaque et Speci pour des immeubles industriels à rénover.
Ogeo Fund est le premier créancier d’Immoval et Valinvest, pour pas loin de 15 millions d’euros. Il s’est aussi protégé. Quand le fonds souscrit en août 2011 à un emprunt obligataire d’1,2 million d’euros au bénéfice de Valinvest, la Ville de Seraing se porte garante : « A défaut de remboursement de l’emprunt par la société émettrice à l’issue de la période de quatre ans, Ogeo Fund pourra requérir le rachat, par la Ville de Seraing, des obligations à leur valeur d’émission […] ».
La suite est du même tonneau. En septembre 2012, à propos d’immeubles à réhabiliter, la Ville s’engage à les racheter à la Spaque pour un peu plus de 2.000.000 d’euros. Le compromis est ensuite transféré à Speci, la société faîtière, puis en 2015 Speci l’apporte de nouveau comme gage à Ogeo. En 2022, Valinvest hypothèque le showroom au profit d’Ogeo. En 2016, Immoval « avait constitué au profit d’Ecetia Finances un gage sur toutes ses créances actuelles et futures », ce qui peut surprendre, vu l’état connu des finances d’Immoval.
Sac de nœuds
Ce catalogue à la Prévert n’est qu’un échantillon très simplifié de ce qui existe dans le dossier. Derrière chaque document est susceptible d’en apparaître un autre qui le complète, qui en prolonge le délai, qui en transforme les effets ou les bénéficiaires ou qui l’annulent. Les avocats des créanciers et les juges du tribunal de l’entreprise, s’ils doivent déterminer qui aura droit à combien et quand, n’auront pas la tâche facile.
Le tribunal devra se prononcer le 24 novembre prochain. Il accordera – ou pas – le répit demandé par les cinq sociétés liées au projet Cristal Park. Il peut aussi donner un délai plus court. Sans ce répit, les sociétés ne seront plus protégées de leurs créanciers et c’est la faillite qui se profilera. Cette issue, vu l’imbroglio juridique, risque d’embêter pas mal de monde.
David Leloup, avec François Braibant (RTBF)
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