Le fromage de Herve, humons les « pieds de Dieu »!
A l’est, l’Entre-Vesdre-et-Meuse est un pays aux contours précis, avec ses prairies, ses vaches laitières… et ses précieux micro-organismes. Ces bactéries interviennent dans le mûrissement du Herve et donnent à ce fromage typiquement régional son arôme imparable, son goût piquant et sa couleur rougeâtre inimitable.
De pâturages en vergers, de rivières en collines, de fermes d’autrefois en églises et chapelles pittoresques, le plateau de Herve montre au visiteur son visage souriant et charmeur. Une tradition vieille de huit siècles stipule que c’est uniquement cette partie de la province de Liège, bordée à l’ouest par la Meuse, au sud par la Vesdre, au nord par la frontière des Pays-Bas et à l’est par celle d’Allemagne, qui peut donner naissance au Herve, ce fromage unique.
Les premières traces écrites remontent au début du XIIIe siècle. Le Roman de la Rose, attribué à Jean Renart, cite un fromage gras, « cras et sain », fabriqué sur les bords de la rivière de Clermont (il s’agit de Clermont-sur-Berwinne, situé à 8 km de Herve). Ce qui est sûr, c’est que Charles Quint a contribué à l’essor du fromage sur le plateau de Herve. A l’époque, celui-ci était voué à la culture céréalière. Les fermiers exportaient le surplus de leur production vers les Pays-Bas. Or, l’empereur voyait d’un mauvais oeil cette commercialisation avec les protestants et par un édit émis dans la première moitié du XVIe siècle, il a interdit purement et simplement la culture céréalière. Obligés de se reconvertir, les paysans ont commencé à transformer leurs terres en prairies et à élever des vaches laitières.
Mais comment valoriser cette abondante production de lait, alors que les moyens de transport sont très lents et les frigos inexistants ? En faisant du fromage ! Sa fabrication s’étale dans le temps et permet de le transporter sans problème vers des marchés parfois très éloignés. Diverses variétés de fromages fermentés à pâte molle sont élaborées, et traversent les années, comme le fameux Remoudou. Préparé avec du lait crémeux riche en graisse, il est obtenu lors d’une seconde traite (« rimoude » signifie « retraire » en wallon liégeois). D’emblée, le Herve s’impose comme un fromage de toute première qualité. On l’utilise comme monnaie de paiement lors de transactions mobilières et immobilières. Au XVIIe siècle, on l’offre aux officiers occupants ou aux hommes politiques pour s’attirer leurs bonnes grâces. Une note de 1693 parle de « quatre douzaines de « remoudous » pesant 300 livres au total remises par la Ville au gouverneur de Namur » !
Le Herve a du caractère. De forme parallélépipédique (rectangulaire en trois dimensions) très rare, riche et onctueux, d’une saveur extrême et d’une une rusticité sophistiquée, il se distingue par un arôme puissant qui chahute l’odorat. Au grand-duché de Luxembourg, on l’appelle carrément, en dialecte allemand, « stinkich käs » (« fromage qui pue ») ! Le poète anglais Robert Southey en rajoute une couche. Dans son célèbre poème Pèlerin de Waterloo (The Poet’s Pilgrimage to Waterloo), il commente ainsi sa halte à la ville de Herve en automne 1815 : « Ces fromages aussi infects d’odeur qu’ils sont délicieux de goût, ont été façonnés de la forme et de la taille de briques ordinaires et, dans les carrioles tirées par de robustes chevaux ardennais ils sont fort joliment disposés sur de la paille… »
Le dossier et la série d’été « Nos saveurs wallonnes » dans Le Vif/L’Express de cette semaine. Avec :
– les raisons du caractère unique du Herve
– sa fabrication
– comment la tradition se perpétue
– ses bonnes adresses
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