DriveNow, l'un des acteurs historiques sur le circuit de la voiture partagée, à présent bousculé sur son propre terrain. © David Ulrich

Le « free floating » viendra-t-il à la rescousse du trafic bruxellois ?

Bastien Pechon Journaliste

Depuis juillet, plus de 500 voitures partagées supplémentaires sont entrées dans le labyrinthe bruxellois. En libre-service, il n’est plus nécessaire de les remettre à leur place de départ. Une nouvelle formule pour une meilleure mobilité. Vraiment ?

Se déplacer à Bruxelles passe souvent par le métro, le tram, le bus voire le vélo. Près d’un million de passagers utilisent le réseau Stib chaque jour. C’est souvent plus pratique voire plus rapide que de prendre sa voiture. Pas en ce dimanche après-midi. Emporter plusieurs cartons à l’autre bout de la ville en transports en commun demande une bonne dose de courage. Depuis le 6 juillet dernier, près de 300 voitures de l’allemand DriveNow ont atterri à Bruxelles. Disponibles en libre-service, il suffit d’un smartphone pour les localiser et les ouvrir. Par chance, une Mini se trouve dans la rue un peu plus bas. Des BMW sont aussi disponibles plus loin. Après avoir déverrouillé le véhicule avec la carte magnétique ou via l’application, il suffit de compléter son mot de passe sur le tableau de bord pour débuter la location. Il n’y pas de clé. Une simple pression sur le bouton rouge « start et stop » permet de démarrer.

Une explosion de nouveaux acteurs

Pas de clé, mais une simple pression sur un bouton pour démarrer

À l’arrivée, il suffira de trouver une place de parking dans la zone d’activité et de verrouiller la voiture pour arrêter la location. Il n’est plus nécessaire de revenir à sa place de départ comme c’est le cas chez Cambio, Zen Car ou Ubeeqo. On appelle ça du free floating. Zipcar fonctionne de la même façon. La société américaine a lancé, ce 14 septembre, sa propre offre de voitures partagées : 250 Peugeot 208 seront disponibles d’ici à la mi-octobre. Quant au développement de Car2go, une société également active dans le free floating, il est pour l’instant au point mort. Filiale du constructeur Daimler, elle devait ajouter 300 Smart et Mercedes supplémentaires au mois d’octobre. En raison d’un litige concernant son nom avec la marque de location de véhicules CarGo, elle a dû finalement retarder son lancement, selon L’Echo.

D'ici la mi-octobre, avec 205 Peugeot 208 disponibles, Zipcar aura gonflé sa propre offre de voitures partagées.
D’ici la mi-octobre, avec 205 Peugeot 208 disponibles, Zipcar aura gonflé sa propre offre de voitures partagées.© Blueclic.com

En octobre également, un service de free floating devrait même être disponible sur deux roues. La startup Scooty proposera 25 scooters électriques en libre-service près de la gare de Bruxelles-Central, sur l’avenue Louise et dans le quartier Schuman. À côté de ces formules de carsharing, les automobilistes peuvent aussi partager leur propre voiture en la louant à un voisin grâce au français Drivy ou aux belges CarAmigo et Tapazz.

Des formules complémentaires

« Le free floating, c’est pour faire, en moyenne, des trajets de 15 à 20 minutes en ville. Chez Drivy, ce sont plutôt des locations de trois jours », explique Paulin Dementhon, CEO de la start-up française. « Chez nous, plus de 80 % de nos trajets font plus de 25 km », ajoute Frédéric Van Malleghem, directeur de Cambio. Un utilisateur optera donc pour une Cambio, une Ubeeqo voire une Zen Car pour des trajets planifiés et pour sortir de la ville durant quelques heures ou pour la journée. Mais il optera plutôt pour Drivy, CarAmigo ou Tapazz pour des locations plus longues. Beaucoup de ces sociétés ont des frais d’inscription réduits et n’ont pas de formule d’abonnement. L’automobiliste peut donc s’inscrire à plusieurs services et passer d’une voiture à l’autre en fonction de ses besoins. Les acteurs historiques ne voient pas d’un mauvais oeil l’arrivée de DriveNow et de Zipcar sur le circuit bruxellois. Benoît Chatelier, le patron d’Ubeeqo, pense que ces nouvelles sociétés lui amèneront plus de clients. Idem pour Frédéric Van Malleghem, de Cambio.

Pari : désengorger Bruxelles

En vigueur depuis le mois de juin, ce free floating a diversifié l’offre de carsharing. D’ici à la mi-octobre, donc, plus de 500 voitures déambuleront dans la capitale. En multipliant les formules d’autopartage, Pascal Smet, ministre bruxellois de la Mobilité et auteur de cette législation, veut convaincre les habitants de la capitale de se passer de leur voiture personnelle. « Le défi, c’est d’avoir moins de voitures dans l’espace public ». Selon Camille Thiry, responsable communication de Bruxelles Mobilité, moins d’un Bruxellois sur trois possède un véhicule. « C’est important que ce chiffre diminue. 95 % du temps, une voiture ne roule pas. Elle prend donc beaucoup de place », poursuit Pascal Smet.

Scooty proposera, dès octobre, un service de free floating sur deux roues.
Scooty proposera, dès octobre, un service de free floating sur deux roues.© Scooty

Mais combien de véhicules seront ainsi remplacés ? Difficile à dire. Plusieurs chiffres circulent en fonction des solutions d’autopartage. Selon Christian Lambert, une voiture en free floating remplacerait trois voitures particulières. Le directeur de DriveNow à Bruxelles se base sur plusieurs études et sur l’expérience acquise dans les autres villes où sa société s’est installée depuis 2011. Mais pour le round trip ? qui oblige à remettre le véhicule sur la même place de parking ? ce chiffre grimpe jusqu’à 13 voitures à Bruxelles, pour Cambio. Une statistique publiée en juin 2016 dans une étude réalisée par Traject pour le compte de l’opérateur de carsharing.

Une menace pour les taxis ?

Michel Pêtre, président de Taxis verts, et Sam Bouchal, secrétaire général de la Fédération belge des taxis, sont sceptiques sur le potentiel du free floating. « Ce qui améliore la mobilité, c’est d’augmenter le nombre de personnes par voiture », explique le premier. Des initiatives vont déjà dans ce sens. Comme ces services de taxis partagés tels que Splyt, développé par Taxis verts, ou Collecto, subventionné par la Région bruxelloise. Mais si cette nouvelle offre d’autopartage se révèle réellement efficace pour désengorger la ville, les taxis ne pourront être que satisfaits, car leur vitesse commerciale augmentera. Même si Zipcar ou DriveNow proposent de courts trajets, Sam Bouchal n’est pas inquiet : « Le client qui souhaite se rendre d’un point A à un point B rapidement, sans se soucier de trouver une place de parking, prendra un taxi ». Les taxis ont aussi l’avantage de pouvoir emprunter certaines voies réservées aux trams et aux bus.

Une concurrence pour les transports en commun ?

Depuis 2011, Zen Car construit son propre réseau de recharge électrique à Bruxelles.
Depuis 2011, Zen Car construit son propre réseau de recharge électrique à Bruxelles.© G. Miclotte/Blueclic.com

L’impact de ces sociétés de free floating sur la fréquentation des transports en commun est encore très difficile à mesurer. Utiliser une voiture pour un trajet court est souvent plus cher qu’un billet de voyage. Mais, c’est vrai, certains utilisateurs opteront pour une DriveNow ou une Zipcar car elles sont plus confortables voire plus rapides qu’un bus. D’un autre côté, davantage de Bruxellois pourraient se séparer de leur voiture personnelle grâce à cette large offre de véhicules en autopartage. Ils utiliseraient ainsi plus régulièrement des véhicules partagés, mais aussi davantage les transports en commun, la marche ou le vélo en fonction de leur trajet. Les véhicules en free floating offrent également une alternative aux transports en commun dans des zones où ils sont peu desservis. Ou à des heures où ils ne roulent pas.

Et l’autopartage électrique ?

Mais opter pour un véhicule thermique pour zigzaguer dans le trafic durant 6 km n’améliore pas la qualité de l’air. Les voitures électriques, elles, permettent de diminuer la pollution. Du moins localement. Serge Starckmann, CEO de Zen Car, pointe le manque d’infrastructures de recharge et le manque de volonté politique pour les développer. Sa société construit son propre réseau de stations depuis 2011 à Bruxelles. Selon Pascal Smet, une étude est en cours pour déterminer le type de bornes, leur nombre et leur localisation. Ce réseau de bornes publiques devrait voir le jour en 2019. « À Vienne, on a 30 voitures électriques pour 400 voitures thermiques. Ces 30 voitures électriques coûtent 50 % du coût logistique. Chaque soir, elles doivent être déplacées pour être rechargées. Mais à Copenhague, il n’y a que des voitures électriques, car il y a un point de rechargement à chaque coin de rue », explique Christian Lambert, de DriveNow.

Économie collaborative et marketing

Toutes les écuries en piste n’ont pas que l’amélioration de la mobilité dans leur viseur. Ce sont aussi de belles opérations de promotion pour les constructeurs. On l’a vu, Car2go fait partie du groupe Daimler. Quant à DriveNow, il appartient conjointement à Sixt, une compagnie de location de voitures, et à BMW. C’est donc aussi un moyen de séduire une clientèle urbaine et connectée, en moyenne entre 25 et 35 ans. Ces utilisateurs pourraient ensuite opter pour un des modèles testés lorsque l’achat d’une voiture sera inéluctable. Et pour les sociétés de location de voitures, c’est aussi une manière d’attirer de nouveaux clients. Derrière Zipcar, on retrouve ainsi Avis Budget Group. Quant à Europcar, il est lui aussi présent dans Car2go et dans Ubeeqo. Payées à la minute, ces voitures en free floating sont disponibles dans des quartiers densément peuplés, pour une population plutôt aisée. DriveNow n’est pas encore disponible dans le nord de Bruxelles et dans une partie de Woluwe. Zipcar n’est disponible que dans 17 des 19 communes de Bruxelles. Tandis que Cambio, elle, a des stations sur tout le territoire bruxellois. D’autres sociétés ont aussi un ADN plus collaboratif. Wibee, par exemple, propose à des particuliers d’acheter ou d’opter pour une voiture en leasing et de la partager entre voisins.

Plus de trois mois après l’apparition du free floating, il est encore trop tôt pour dire si le pari de Pascal Smet s’avérera payant. Un autre défi, tout aussi grand, reste de convaincre les 340 000 navetteurs quotidiens de se séparer de leur voiture pour se rendre à Bruxelles. Et pour faire face à ce défi, c’est aux Régions et au gouvernement fédéral d’accélérer le rythme pour désengorger le dédale bruxellois.

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