Le cumul du nouveau boss de l’ISI fait tache (enquête)
Pour diriger le service qui lutte contre la grande fraude fiscale, on se doit d’être irréprochable. Est-ce le cas de Jean-François Vandermeulen? Cet agent de l’Etat a cumulé, pendant des années, une activité commerciale.
Un nouveau patron à la tête de l’Inspection spéciale des impôts (ISI), réputée rassembler la crème des contrôleurs fiscaux, ça n’arrive pas tous les jours. Surtout qu’avant de passer le témoin, le dernier était resté en place pendant plus de quinze ans, au-delà de l’âge légal de la pension. En outre, depuis deux décennies, le siège est occupé, sans partage, par des libéraux. A Ghislain Vandercapellen, étiqueté VLD-MR, a succédé, en 2005, Frank Philipsen, qui venait de quitter le secrétaire d’Etat Hervé Jamar (MR) en tant que chef de cabinet. Et voilà que le frais émoulu Jean-François Vandermeulen est également étiqueté MR. Un vrai bastion bleu, ce poste de grand chef de l’ISI. Alors, forcément, tout ça fait qu’on s’intéresse au dernier arrivé.
Un des objets de sa société est la gestion de patrimoine.
Et, en surfant patiemment sur Internet, on découvre que ce fonctionnaire, aux Finances depuis 1992, possède une société privée commerciale, baptisée Fourwinds, référencé sur Digital Wallonia et dont le site Web fourwinds.be était toujours visible au moment de nos recherches. Son numéro de TVA est aussi toujours actif. Le Moniteur belge nous apprend que cette société a été créée le 16 avril 2008, que son siège se trouve à Hannut, rue des Quatre Vents (d’où son nom) au domicile de l’intéressé, et qu’il s’agit d’une société en commandite simple (SCS). La SCS doit être composée d’au moins un commandité ou associé gérant, en l’occurrence Jean-François Vandermeulen, et d’un commanditaire ou associé passif, ici Vandermeulen père. L’avantage d’une telle forme de société est que sa création ne requiert aucun apport minimum de fonds, que ses statuts peuvent être établis librement et qu’elle peut être facilement liquidée. Pour Fourwinds, le capital social était de 1 000 euros, dont 999 apportés par Jean-François, et 1 euro par le commanditaire.
Le Moniteur belge nous apprend également que Fourwinds « a pour objet tant en Belgique qu’à l’étranger la gestion de patrimoine, la formation et le transfert de connaissances dans le cadre d’un enseignement officiel ou privé, la publication de livres, cours ou manuels, et la création et gestion de sites Internet ». C’est à cette dernière activité qu’est dédié le site fourwinds.be. On sait, par ailleurs, que Jean-François Vandermeulen a enseigné à la haute école Ephec, à Bruxelles, jusqu’en 2015, et enseigne toujours dans une école de promotion sociale à Waremme. Quant à « la gestion de patrimoine », en tête de la liste, on ne sait rien, mais cela pique évidemment notre curiosité, vu que le gérant de la SCS est fonctionnaire et même haut fonctionnaire aux Finances…
Gare au conflit d’intérêts
Justement, quelles sont les règles en la matière lorsqu’on est agent de l’Etat? Peut-on exercer une autre activité lucrative? L’avocat Stéphane Rixhon, spécialiste en droit administratif, nous rappelle que le statut des agents de l’Etat, tel que réglé par l’arrêté royal du 2 octobre 1937, prévoit, en son article 12, que celui-ci « ne peut exercer une activité, rémunérée de quelque façon que ce soit, hors de ses fonctions, qu’après avoir obtenu une autorisation de cumul », introduite par l’agent auprès de son supérieur hiérarchique. Cette demande doit comprendre la description précise de l’activité envisagée, sa durée envisagée et « l’affirmation motivée que l’activité ne peut faire naître, même dans le futur, une situation de conflit d’intérêts ». Cette autorisation est accordée pour une durée maximale de quatre ans, au-delà de laquelle elle doit être renouvelée et elle ne peut avoir d’effet rétroactif.
L’activité « doit, en outre, rester tout à fait accessoire par rapport aux fonctions exercées » en tant qu’agent de l’Etat. Difficile, ici, de se faire une idée, car la caractéristique d’une SCS est de ne pas être à responsabilité limitée. Selon les textes légaux que nous avons consultés, le commandité, ayant le statut de commerçant, est responsable de manière solidaire et indéfinie des dettes de la SCS. Ce qui signifie qu’en cas de faillite, son patrimoine personnel peut être saisi. La responsabilité du commanditaire est, elle, limitée au montant de son apport au capital sociale de la société. La contre- partie est qu’une SCS ne doit pas déposer de comptes annuels auprès de la BNB. On ne sait donc pas quelle est l’importance des activités de Fourwinds.
Pour quels bénéfices?
Jean-François Vandermeulen nous a indiqué que sa SCS n’était plus en activité et qu’elle se trouvait sous le régime de la franchise de la TVA. Ce régime concerne les petites entreprises qui réalisent un chiffre d’affaires annuel n’excédant pas 15 000 euros (25 000 euros à partir du 1er janvier 2016), hors TVA. Nous n’en saurons pas plus. Mais, le site Dun&Bradstreet, qui fournit des données financières sur des centaines de millions de sociétés, renseigne que Fourwinds, située à Hannut, appartenant à Jean-François Vandermeulen, compte un employé et génère, via les activités renseignées au Moniteur belge, un chiffre d’affaires de 77 708 dollars.
Aux questions que nous avons posées au nouveau boss de l’ISI (sur l’autorisation de cumul, le supérieur hiérarchique qui l’a octroyée, son renouvellement, le risque de conflit d’intérêts – pour un haut fonctionnaire des Finances -, les bénéfices financiers que cela lui a rapporté, etc.), celui-ci nous a répondu plutôt laconiquement. Il affirme que « Fourwinds n’exerce plus aucune activité depuis quelques années ». En insistant, on apprend que « la dernière prestation date de 2015« . Mais pourquoi maintenir le site Web jusqu’en 2021? Celui-ci a été fermé après l’envoi de nos questions…
Jean-François Vandermeulen précise aussi: « Au moment de la création de la société, j’exerçais la fonction d’inspecteur principal. » Il a été nommé conseiller général (le grade juste en dessous de celui d’administrateur général) en 2014, soit un an encore avant « la dernière prestation ». Pour le reste, il assure « avoir toujours respecté les règles applicables aux agents de l’Etat, dont celles en matière de conflit d’intérêts et de cumul d’activités ». Sans autre précision. Pour plusieurs experts que nous avons sondés, vu les activités de Fourwinds, le rang de l’intéressé et l’administration concernée, l’obtention de l’autorisation de cumul interpelle. Selon plusieurs sources au sein du SPF, le laxisme par rapport à ces autorisations est de plus en plus grand et cela concerne souvent des fonctionnaires étiquetés libéraux. Difficile à vérifier. A moins peut-être que le Parlement se saisisse de la question…
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