Classe de primaire de l'Ecole Nouvelle à Saint Gilles (Bruxelles), septembre 2020

Le cri d’alarme des pédiatres : « Les écoles doivent rouvrir à 100% »

Caroline Lallemand Journaliste

La task force pédiatrique, regroupant des experts médicaux dans le domaine, plaide pour que  » les écoles rouvrent à 100 % pour tous les jeunes dès que possible « , dans une carte blanche publiée dans Le Soir.

Ce lundi 19 avril, après trois semaines de « pause pascale », les écoles rouvrent en code orange. Les cours reprennent donc sous le régime en vigueur avant les vacances de printemps, soit en présentiel à 100% dans le maternel, primaire, secondaire spécial et premier degré du secondaire et à 50% dans les deuxième et troisième degrés du secondaire.

Ce que déplore la task force pédiatrique. Les dommages causés par la fermeture des écoles sur la santé des jeunes sont considérables, à court terme et probablement à plus long terme, pointe ce collectif de pédiatres belges dans une carte blanche publiée dans Le Soir. Pleinement consciente que les chiffres n’évoluent guère favorablement, la Task Force Pédiatrique demande avec force que l’ouverture complète des écoles pour tous les élèves reste une priorité absolue comme promise par nos ministres lors du comité de concertation du 24 mars avec le soutien répété du GEMS.

Des services de santé submergés

Ils témoignent que leurs services de santé sont submergés par des problèmes de santé inquiétants chez les jeunes: tentatives de suicide et automutilation, anorexie mentale, dépression, anxiété majeure, violence intrafamiliale, obésité, troubles du comportement avec mises en danger, exposition excessive aux écrans et à ses contenus nocifs, cyberharcèlement, sexting…

« Les services belges de psychiatrie infanto-juvénile, structurellement sous-financés, ne peuvent plus répondre au tsunami de demandes d’aide« , dénoncent ces experts. « Le rôle primordial que jouent les écoles, non seulement dans la formation académique des élèves mais aussi dans leur santé bio-psycho-sociale, est plus clair que jamais« , souligne la task force.

« Puisque nos écoles offrent un cadre unique pour atteindre tous les jeunes mineurs, par ces temps de crise les écoles doivent être soutenues au maximum pour donner au bien-être global des élèves sa juste place aux côtés des apprentissages scolaires. Pour cela, les écoles doivent pouvoir rouvrir à 100% », enjoignent les pédiatres.

Le cri d'alarme des pédiatres :

En Flandre, après avoir consulté plus de 600 médecins de famille et autres psychiatres, l’Association de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (VVK) a annoncé que près de 24.000 jeunes étaient, en mars, en attente d’une aide psychologique, informe, par ailleurs, Le Soir.

Perte d’apprentissage et renforcement des inégalités

Outre les dommages psychologiques, une étude récente publiée dans la revue scientifique PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences) menée par des chercheurs de l’Université d’Oxford aux Pays-Bas conclut que les élèves du primaire font face à une perte d’apprentissages équivalant à un cinquième d’une année scolaire, soit l’équivalent de la période pendant laquelle les écoles sont restées fermées lors du premier lockdown, rapporte Le Soir.

Comme leurs élèves belges, les Néerlandais ont dû faire face à une fermeture des écoles de huit semaines – un peu plus pour certaines classes – en 2020. Pour aboutir à leurs conclusions, les chercheurs d’Oxford ont utilisé les résultats des examens nationaux qui se sont déroulés avant et après le premier lockdown. Les progrès réalisés sur ce laps de temps ont ensuite été comparés à ceux des trois années précédentes. « Les résultats impliquent que les élèves ont fait peu ou pas de progrès tout en apprenant de chez eux « , concluent les chercheurs. « Vu la numérisation avancée dans les écoles néerlandaises, cela laisse suggérer des pertes encore plus importantes dans les pays avec des infrastructures plus faibles ou des fermetures d’écoles plus longues », soulignent-ils.

Accroissement des inégalités

Les pertes d’apprentissages sont, par ailleurs, 60 % plus importantes chez les élèves issus de milieux défavorisés ou dont les parents ont un faible niveau d’éducation. Cet accroissement des inégalités socio-économiques avait déjà été constaté par de nombreux enseignants. Dans une enquête menée par l’Université de Mons à l’automne dernier, les profs mettaient en évidence un écart plus important qu’à l’accoutumée entre les élèves d’une même année.

Une reprise en présentiel à 100% à l’école le 3 mai: « C’est une date pivot »

Il reste une dizaine de semaines avant la fin de l’année scolaire. Le retour en présentiel à 100% est annoncé pour le 3 mai. « Ce n’est pas une garantie » a toutefois déclaré, Caroline Désir, la ministre de l’Education de la Fédération Wallonie-Bruxelles sur les ondes de La Première ce lundi matin : « Nous sommes malheureusement toujours tributaires de la situation sanitaire, les chiffres ne nous permettent pas de reprendre à 100 % en présentiel. Le retour à 100 % le 3 mai reste en suspens, il faut que le taux de positivité et les chiffres des soins intensifs ». La ministre de l’Enseignement parle de date pivot, « pour que cela ait encore un sens ». « Au-delà de cette date, ce sera difficile à organiser. »

Au sujet de la Carte Blanche de la task force pédiatrique sur les effets catastrophiques sur les élèves de la fermeture des écoles, notablement en termes de santé mentale, Caroline Désir reconnaît que ces spécialistes « tirent la sonnette d’alarme depuis longtemps, je l’entends, je les ai d’ailleurs rencontrés à plusieurs reprises. »

Caroline Désir
Caroline Désir© Belga

« Une fin d’année tout en bienveillance »

Dans ce contexte particulier, la ministre de l’Education recommande de ne pas accentuer la pression sur les élèves, de privilégier les apprentissages plutôt que les évaluations. Caroline Désir a publié mercredi une série de circulaires organisant la rentrée de ce 19 avril, ainsi que la fin de l’année scolaire pour les différentes années d’enseignement.

Dans ces textes, la question de l’évaluation des élèves est entre autres abordée. « Je rappelle que, particulièrement pour l’enseignement secondaire, les évaluations ne doivent pas nécessairement prendre la forme d’une session d’examens avec suspension des cours et que des formes alternatives peuvent être mises en place (session allégée ou raccourcie, évaluations sommatives sans suspension des cours, par exemple) », écrit la ministre aux écoles. « Dans tous les cas, il convient de ne pas accentuer la pression que nos jeunes subissent déjà étant donné le contexte de crise sanitaire« .

Ce leitmotiv revient à travers les textes: confiance dans les équipes éducatives qui connaissent les enfants, volonté de ne certainement pas écraser des jeunes qui ont déjà beaucoup souffert des confinements et d’un enseignement seulement partiellement en présentiel, appel à un dialogue avec les parents et le PMS pour les élèves qui apparaissent en difficultés.

Dans le secondaire, les pouvoirs organisateurs « pourront suspendre l’application du règlement général des études de certains établissements en ce qui concerne l’évaluation des élèves durant cette fin d’année scolaire ainsi que la procédure de délibération des Conseils de classe et la communication de leurs décisions », peut-on lire dans la circulaire sur l’organisation des épreuves. Si c’est le cas, les parents doivent être informés des nouvelles modalités (d’évaluation, de certification, de délibération, etc.) pour le 10 mai prochain au plus tard.

Le Conseil de classe devra tout particulièrement être attentif aux élèves à partir de la 3e secondaire, qui « ont été plus fortement impactés que d’autres ». Ce sont ceux-là, aussi, qui ne retourneront qu’à temps partiel à l’école la semaine prochaine. Mieux vaut fonder leur évaluation « sur des épreuves organisées en classe portant sur les ‘essentiels' ». Il faudra aussi « valoriser particulièrement les réussites » de l’élève, et miser sur l’accompagnement et la remédiation là où cela est possible, pour le faire passer à l’année suivante, ressort-il du texte.

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