Carte blanche
Le coquelicot ‘un coup de com’, vraiment?
La mise en place d’une coalition » coquelicot » visant à construire un programme d’action commun à Ecolo, au PS et à une série d’acteurs de la société civile fait parler d’elle depuis quelques jours. De nombreux citoyens ont montré de l’enthousiasme pour la formule, qui (a du moins) le mérite de casser les codes de la particratie à la belge. D’autres y ont vu une manière de contourner la difficulté à former un gouvernement en Wallonie et en Communauté française. D’autres encore considèrent que la coalition » coquelicot » est juste un coup de communication d’Ecolo. Lequel de ces trois scénarios retenir ?
Agir, c’est aussi proposer un véritable débat public sur la formation des prochains gouvernements wallons et francophones. Mettre en discussion la « coquelicot » vise à rompre avec le mauvais feuilleton qui a animé les premiers échanges sur la formation d’une coalition en Wallonie. Il s’agit aussi de répondre à une difficulté politique précise : contrairement à la Région bruxelloise par exemple, aucune majorité claire et cohérente ne se dégage jusqu’à présent en Wallonie. Enfin, la proposition d’Ecolo ne vient pas de nulle part. Les citoyens font de moins en moins confiance aux représentants politiques. Ils ont l’impression de ne pas compter. Les organisations et associations qui se fixent pour objectif de porter leurs intérêts n’ont plus envie d’être considérées comme des pions ou de simples courroies de transmission des piliers traditionnels. La « coquelicot » répond à la conviction qu’on ne peut plus faire de la politique sans associer activement les citoyens à la prise de décision, et que les défis environnementaux et sociaux demandent aujourd’hui de construire de nouvelles alliances entre le monde politique et la société civile.
La proposition a suscité certains malentendus, qui mènent à des objections légitimes.
Premièrement, qu’est-ce que la société civile ? La « coquelicot » inclue-t-elle l’ensemble des acteurs de la société civile ? A l’inverse, ne consiste-t-elle pas simplement à inclure les usuals suspects des piliers traditionnels et des structures de concertation établies ?
L’originalité de la proposition repose sur la volonté de dépasser ce dilemme. La « coquelicot » n’a pas pour objectif de gober l’ensemble de la société civile ni de proposer un socle programmatique censé refléter miraculeusement l’ensemble des intérêts de la société. Il s’agit de bâtir un dialogue robuste avec des associations pour qui la solidarité sociale, la réforme des institutions démocratiques et la transition écologique sont des enjeux déterminants. Mais il s’agit également de prendre acte du fait que les piliers traditionnels ne suffisent pas à définir la société civile
Ce faisant, la « coquelicot » n’amène-t-elle pas une dangereuse confusion des rôles ? La société civile a pour principale fonction d’influencer la décision politique et de contrôler de l’extérieur l’action des représentants : la proposition qui est mise sur la table n’aura-t-elle pas pour conséquence – pire : pour intention – d’anesthésier la société civile ?
La réponse à cette deuxième objection tient dans la réponse donnée à la première. La coalition « coquelicot » ne vise pas à ressusciter les piliers traditionnels, ni à porter la parole de l’ensemble de la société civile : c’est peut-être d’ailleurs ce que certains reprochent implicitement à la formule. Il est envisagé que les gouvernements wallons et francophones comprennent en leur sein des personnalités issues de la société civile. Dans ce cadre, une personnalité issue de la société civile n’en fait, par ce terme même, plus exclusivement partie. Si elle reste la garante politique du socle programmatique proposé aux voix du Parlement, sa présence au sein du gouvernement n’ôte rien de leur liberté aux acteurs la société civile. La délibération commune et publique d’un programme politique et l’ouverture des gouvernements à des personnalités non encartées ne donne aucun levier de contrôle sur les acteurs de la société civile, contrairement du reste à certains mécanismes de co-gestion et de concertation existants.
Enfin, la coalition « coquelicot » ne mène-t-elle pas à diluer la responsabilité des partis politiques, et à masquer les intentions idéologiques des partis derrière le mirage d’une coalition des « bonnes volontés » ?
Non, au contraire. Le socle programmatique qui sera délibéré avec les acteurs intéressés sera présenté aux parlementaires wallons et francophones. Il présentera une série de choix politiques assumés comme tels. Les partis qui s’y opposeront expliqueront pourquoi ce socle ne leur parait pas assez solidaire et progressiste, pourquoi il ne leur parait pas assez rassembleur, ou pourquoi il leur semble encore moins efficace que ce qu’ils ont accompli lors de la législature passée. Ce programme sera délibéré et mis au vote.
Au-delà de la légitimité formelle dont elle bénéficierait au terme de ce vote, nous pensons que la coalition « coquelicot » permet justement de répondre à une aspiration partagée par de nombreux citoyens. Les représentants doivent accomplir ce pour quoi ils sont élus : faire de la politique. Faire de la politique, c’est dégager une vision commune de la société, pas seulement une addition de deals médiocres censés faire tenir le rafiot cinq ans de plus. C’est mettre sur la table des choix politiques identifiables. C’est coaliser des partis, des acteurs, des associations, des citoyens autour de ces choix. C’est comprendre qu’on ne sert pas les citoyens sans leur parler sur pied d’égalité.
L’entreprise ne présente-t-elle pas de trop nombreuses inconnues ? Comment maintenir un gouvernement minoritaire sur la durée d’une législature ? Ainsi qu’évoqué plus haut, la coquelicot répond à une situation de crise politique latente. Un gouvernement « coquelicot » n’est pas plus déraisonnable que d’autres options : des coalitions a priori contre-nature, ou des alliances intégrant des partis n’ayant, pour des raisons peut-être légitimes, pas la moindre envie de participer à la gestion des affaires publiques durant cette législature. Ce gouvernement laisse la société civile libre du rôle qu’elle veut jouer. Il propose un programme politique cohérent, assumant ses orientations progressistes. Il contribue à dynamiser nos institutions démocratiques.
Par Veronica Cremasco et John Pitseys (ECOLO)
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici