Carte blanche
Le confinement et la douloureuse question des examens
La question relative à l’organisation des examens de fin d’année, voire de fin d’études, accompagne une foule d’interrogations plus essentielles, parce que directement en lien avec la vie en cette période de confinement.
Comment évaluer la maîtrise des acquis d’apprentissage ? Comment délivrer une note juste ? Comment écarter les risques de recours dès lors que la situation d’un élève peut varier du tout au tout selon qu’il est enfant unique ou vit en fratrie, selon que sa famille dispose ou non d’outils informatiques plus ou moins performants, peut ou non s’offrir des accès à internet corsetés ou illimités ?
En toute chose, il faut d’abord chercher les bonnes nouvelles. L’une d’elles est que cette période de confinement semble avoir enfin réduit au silence les sottes questions de moyenne de la classe et de « l’endroit » où l’enfant se situe par rapport à cette moyenne, comme si le fait de connaître ce chiffre abscons et de positionner un enfant en regard de cette « donnée statistique » pouvaient lui être d’une quelconque utilité pour parfaire ses apprentissages.
Une autre bonne nouvelle est que l’on parle beaucoup d’évaluation mais beaucoup moins de points, de notes, de ces sanctions arbitraires, de ces couperets sur l’autel desquels tant de parcours scolaires et professionnels ont été sacrifiés, tant de vocations et de talents ont été réduits au silence.
Une troisième bonne nouvelle, c’est qu’il reste encore à inventer ; à inventer mais aussi et peut-être d’abord à relire celles et ceux qui ont pensé l’éducation avant nous et nous ont montré qu’à tout prendre, l’organisation de tests, d’évaluations, d’examens, n’est qu’une modalité parmi tant d’autres qu’il ne faut surtout pas confondre avec une finalité essentielle : faire en sorte que chacun accède aux savoirs.
Pour dire le vrai, à quoi se résume, la plupart du temps, un test ou un examen ? A vérifier qu’à un temps T d’un parcours scolaire, un élève E produit une prestation qui donne à penser qu’il maîtrise la compétence C qu’il est supposé maîtriser à ce moment précis d’un parcours scolaire P qui a été pensé non pour lui, mais pour tous les élèves de son âge dans l’ignorance volontaire des sept postulats de Burns – qui montrent, en très gros, qu’il n’existe pas deux élèves qui étudient de la même façon – ou des trente invariants de Freinet – qui, toujours en très gros, mettent en garde contre tout ce qui freine voire bloque les apprentissages.
N’est-il pas curieux qu’on feigne encore d’ignorer ce que de grands pédagogues ont compris et publié, pour certains deux siècles plus tôt, notamment quant aux rythmes d’apprentissage ?
On objectera qu’il faut bien évaluer, mesurer des connaissances à des moments précis, à peine de désorganiser un système complet d’enseignement. C’est vrai, à ceci près que cela génère le plus grand gaspillage d’énergie(s) et de talent(s) qui soit, d’autant lorsque des notes et des moyennes retardent cruellement voire mettent un terme prématuré à des parcours scolaires et, souvent, professionnels, en suite de découragements des élèves, des parents … et même des enseignants.
On objectera aussi qu’en divisant les matières en acquis d’apprentissage et chaque acquis d’apprentissage en indicateurs et en critères, des garanties de plus en plus importantes sont données en termes d’objectivité des évaluateurs.
Cela revient à oublier que rien n’est plus subjectif qu’un être humain et que, peu importe la finesse des indicateurs et des critères, on trouvera toujours dix enseignants délivrant dix notes différentes pour un même travail notamment en fonction de la pression sociale ressentie au sein des établissements dans lesquels ils exercent.
Le piège du confinement – qui isole, qui soumet chacun à des conditions différentes en fonction de ses capacités financières et de ses habiletés à disposer et à se servir d’outils informatiques plus ou moins développés et protégés – porte fort heureusement aussi ses effets sur les modalités d’évaluation des acquis d’apprentissage des enfants, des adolescents mais aussi des adultes.
Plus question de salles d’examen « bunkerisées » dans lesquelles les règles de conduite sont pratiquement aussi strictes que dans le milieu carcéral ; plus question de surveillance suspicieuse de chacun – qui n’ont d’ailleurs jamais empêché la moindre tricherie – dans ses moindres gestes ; plus question d’examens écrits ou oraux sous tension, bref, plus question de mettre en place nombre de ces modalités qui évaluent finalement bien davantage la capacité de résistance au stress que la connaissance d’une matière par les élèves.
Le confinement impose de réfléchir en ce compris à la nécessité – donc à l’utilité – d’organiser des examens, des épreuves visant à mesurer simultanément pour tous, à un temps T, le degré de maîtrise d’une matière ou de compétences.
Il impose également de réfléchir en ce compris à la question de savoir qui évalue, qui est le mieux placé pour évaluer cette maîtrise : le titulaire qui a enseigné la matière, un chargé de cours spécialiste de cette matière mais qui ne l’a pas enseignée aux élèves dont il évalue les épreuves, des robots appliquant des algorithmes de correction ou les élèves eux-mêmes pour autant qu’on leur ait appris à le faire comme c’est le cas dès la toute petite école dans les pédagogies actives ?
A tout prendre, ne devrions-nous pas user du confinement pour abattre une fois pour toutes ces tristes monuments aux potentiels assassinés que sont les examens et les notes afin d’opter pour d’autres modalités à l’exemple de bilans de compétences établis dans le cadre d’échanges entre enseignants et élèves, des remarquables ceintures grâce auxquelles Fernand Oury offre à chacun d’identifier le moment exact où il se situe dans ses apprentissages tout en conservant la possibilité de devenir un jour, à son tour, ceinture noire dans toutes les matières qui suscitent son intérêt parce qu’il a compris leur sens et leurs apports dans le développement qui est le sien, sans même parler des résultats extraordinaires produits par la pédagogie du chef-d’oeuvre.
De toute évidence, la pandémie du Covid-19 va modifier profondément – et sans doute pour longtemps – nos comportements et les modalités de nos relations sociales, sans doute en remplaçant notamment la fausse proximité de la poignée de mains ou de la bise – qui n’a jamais interdit à qui que ce soit de jouer un mauvais tour à l’interlocuteur ainsi salué – par une réelle attention portée à l’autre, ne fût-ce qu’en redoutant les conséquences pour soi d’une baisse de cette attention.
Il serait sot de ne pas en profiter pour tourner la page de décennies de catastrophes docimologiques – la docimologie est la « science des examens » – qui ont frustré, découragé, puni des générations entières de gamins qui, comme le disait Michel Galabru, « ne comprenaient pas ce qu’on leur voulait » aux temps T des évaluations imposées alors qu’un rythme différent, mieux adapté, mieux outillé de processus d’évaluation concertée, d’auto-évaluation et de partage de conseils permettant aux élèves de maîtriser progressivement ce qu’ils ne maîtrisent pas encore à ce fameux temps T, leur aurait permis d’écrire une tout autre histoire de vie.
Ce long propos fera bien sûr grincer les dents de ceux qui ne jurent que par la pédagogie dite du mérite, qui se résume souvent à une pédagogie du coup de pied au cul. Le confinement et le télétravail qu’il impose déjouent fort heureusement cette modalité : les coups de pied au cul, c’est difficile à télécharger !
Par Jean-François Horemans, professeur-chercheur en Psychopédagogie et Alain Schmidt, professeur-chercheur en Management.
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