Thierry Fiorilli
Le chant du cygne
C’était il y a quatre mois. Après les attentats de Paris. Ici même, nous écrivions : « Et donc, c’est par un soir, un vendredi 13, que nous sommes entrés dans une nouvelle ère. A marche forcée. Mains sur la tête et en file indienne. Avec des corps éparpillés, tout autour. Et des giclures de sang, jusque dans les yeux. «
Quelques jours plus tard, la « barbelisation » de Bruxelles, parce qu’une menace grave et imminente planait sur la capitale, confirmait que, désormais, il allait falloir apprendre à vivre avec le risque qu’un ou plusieurs attentat(s) soi(en)t commis n’importe quand, mais pas nécessairement n’importe où. Les lieux visés par les commandos du carnage parisien – 130 morts, le 13 novembre dernier – ne permettaient plus aucun doute : des terrasses de café, une salle de concert, un stade national de foot. Ces cibles-là venaient s’ajouter à celles d’autres attaques, commises les mois précédents, en Tunisie notamment, et puis après, ailleurs : des plages, des musées, des rues, des trains. Bref : là où les foules se pressent.
Ceux qui frappent, officiellement au nom d’Allah, cherchent donc à faire un maximum de dégâts humains. Plus question, comme au plus fort du terrorisme des années 1960, 1970 et 1980, celui qui était indépendantiste, d’extrême gauche ou d’extrême droite, de viser le siège de grandes organisations, les QG militaires, les postes de police, les autorités politiques, la magistrature, les industriels… Désormais, c’est l’Occidental qu’il faut abattre. Et pour faire d’une pierre cent coups, mitraillons les lieux de regroupement. Ou faisons-les sauter. Ou les deux en même temps. Ça causera plus de dégâts. Façon attentats à la bombe dans les avions. Sauf que, désormais, c’est l’attaque au sol qui est privilégiée. Parce qu’elle est plus spectaculaire. Plus dévastatrice, à tous points de vue.
Le terrorisme s’éteint toujours parce qu’il ne parvient jamais à réaliser ce qu’il promet
Et voilà qu’après Paris (par deux fois), Tunis, El-Kantaoui, Istanbul, Djakarta et Grand-Bassam, notamment, après donc la France, la Tunisie, la Turquie, l’Indonésie et la Côte d’Ivoire, entre autres, Bruxelles et la Belgique découvrent la terreur. Le vacarme qu’elle provoque, l’odeur qu’elle répand, la mort qu’elle sème et la désolation qu’elle installe. Bruxelles et la Belgique, et tous ceux qui y vivent, savent maintenant ce que provoquent ces actes qui, jusqu’ici, restaient l’apanage de scènes plus ou moins éloignées. Tous ont compris que, quels que soient leurs idées, leur religion, leur âge, leur nationalité, leur sexe, leur couleur, on peut mourir, ici aussi, soudain, criblé de balles ou déchiqueté par un explosif, dans des endroits aussi fréquentés, et communs, et symboliques, qu’une rame de métro ou un hall d’aéroport.
Une réalité choquante. Traumatisante. Qui risque d’encore grossir les rangs des extrémistes en tous genres. Et de nous entraîner, tous, dans une escalade de violences. Ce qui s’est produit ce 22 mars, à Bruxelles, marquerait dès lors la fin d’un certain modèle démocratique. Celui qui, jusque-là, s’apparente au moins mauvais pour une majorité de la population.
Mais on peut considérer les choses autrement. Ainsi, ce mardi, à Zaventem et dans la station Maelbeek, la nouvelle génération de terroristes auxquels sont confrontées nos sociétés depuis la guerre en Syrie a peut-être brûlé ses dernières cartes. Ou, de plus en plus acculée par les forces de sécurité, voire de moins en moins soutenue de l’intérieur, et plus difficilement guidée par l’Etat islamique, elle a agi presque en désespoir de cause. Pour le coup d’éclat. Surtout après les fanfaronnades saluant l’arrestation de Salah Abdeslam, l’étrange ex-ennemi public numéro un présenté par les uns comme faible, lâche et menu fretin, mais que d’autres auraient pu venger en commettant l’attentat le plus grave jamais perpétré en Belgique…
Entre ces deux chants du cygne, c’est au second que nous croyons. Renforcés par les propos que nous tient, dans notre dossier spécial de 25 pages, le professeur Rik Coolsaet : « Le terrorisme s’éteint toujours parce qu’il ne parvient jamais à réaliser ce qu’il promet. »
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