Bernard Devos
Le CDH souhaite instaurer un service citoyen obligatoire
Depuis très longtemps, je suis très intimement persuadé que le volontariat, le service à la collectivité et la citoyenneté active sont des éléments constitutifs essentiels pour les jeunes, quels qu’ils soient.
À entendre celles et ceux qui ont pu y goûter, l’expérience de l’utilité sociale est à la fois un atout majeur dans leur construction identitaire et, simplement, un véritable plaisir dont ils ne pouvaient imaginer la force ! C’est sans doute pour permettre à chacun(e) de bénéficier de pareils avantages que le président du CDH annonce que son parti souhaite rendre le service citoyen obligatoire et imagine conventionner des associations oeuvrant dans les domaines sociaux, culturels, et de loisirs pour leur permettre d’accueillir des « citoyens en service ».
L’idée est généreuse. Alors que plusieurs projets novateurs en la matière sont tenus de tirer le diable par la queue pour parvenir à offrir quelques centaines de places à des jeunes volontaires qui souhaitent mettre quelques mois de leur vie au service de la collectivité, la généralisation à plusieurs dizaines de milliers de jeunes conscrits ne peut évidemment que laisser rêveur !
Dans ce contexte, où l’engagement volontaire des jeunes n’a jamais été ni valablement reconnu, ni suffisamment encouragé, on ne peut cependant s’empêcher de penser que d’aucuns voudront voir dans la proposition humaniste une bonne vieille vision paternaliste et autoritaire, qui veut que seule la contrainte serait capable de faire bouger « les jeunes », cette cohorte de glandeurs invétérés…
Cette vision participe à la stigmatisation des jeunes, dont on sous-entend qu’ils manqueraient de civisme. On rappelle utilement que, depuis la nuit des temps, chaque génération juge invariablement que celle qui la suit est plus indisciplinée, plus violente et moins civique. En réalité, dépourvue de tout pouvoir (économique, électif, médiatique, etc.) les jeunes ne peuvent qu’être à l’image de la société qui les engendre. Les jeunes ne sont pas moins civiques que les autres classes d’âge. Ils sont d’ailleurs très nombreux à s’engager chaque année dans le bénévolat (mouvements ou organisations de jeunesse, clubs sportifs, activités culturelles, etc.).
Le CDH souhaite instaurer un service citoyen obligatoire, à effectuer entre 18 et 30 ans.
Contraindre à la citoyenneté alors que le principe même de l’engagement repose sur le volontariat constitue par ailleurs un paradoxe de prime abord inextricable… Sans compter que le message vis-à-vis des jeunes risque bien d’être compris ainsi : » À défaut d’un véritable emploi que nous ne sommes plus capables de vous offrir, on vous oblige désormais à assumer un sous-emploi. Parce que c’est bon pour vous inculquer les valeurs qui vous manquent ! »
Mais cette sortie médiatique ouvre d’autres pistes de réflexion.
1. Puisque le président du CDH précise qu’il n’entend pas « rouvrir des casernes », mais bien conventionner des associations pour leur permettre d’accueillir ces nouveaux « conscrits », a-t-il vraiment réalisé l’ampleur du défi, alors même que de très nombreux étudiant(e)s font état du parcours du combattant que représentent désormais les recherches de stages, pourtant non rémunérés, dans ces mêmes associations ? L’engagement citoyen recèle des richesses évidentes : il est très utile à l’insertion sociale et professionnelle et permet très souvent aux jeunes de re-trouver le goût d’eux-mêmes et des autres. Cependant, la condition essentielle pour la réussite d’une telle ambition est que la mission soit perçue comme utile, nécessaire. Et pour cela, il faut du temps, un encadrement, une indemnité. Le rendre obligatoire risque bien d’en faire un service civique au rabais, faute de pouvoir proposer des missions attractives et bien structurées.
2. Et comment assurer de la sorte ce « brassage social » qui forme le coeur vivant de la démarche et qui sous-entend l’existence d’un collectif, si l’on procède par dispersion dans des associations, ONG et autres services publics ? Si l’idée est bien de permettre à des jeunes de côtoyer d’autres réalités socio-économiques ou culturelles, vécues par d’autres jeunes, et leur permettre de se re-connaître entre eux pour faire société, n’est-il pas justement indispensable de prévoir de nombreux moments de vie commune ? Et y a-t-il d’autres moyens possibles, sinon le vécu commun d’expériences partagées, pour permettre à chaque jeune d’accéder à la découverte de « l’autre », que nos politiques sécuritaires et ségrégationnistes ont gommé de son propre univers physique et mental ? Parmi d’autres, l’expérience de « Solidarcité » (www.solidarcite.be) qui offre une année citoyenne à vivre en équipe « hétérogène » (mixité, niveau d’études, origine, religion, milieu socio-éco,etc.) indique à suffisance, qu’outre le service à la collectivité, c’est bien la découverte d’autres réalités socio-culturelles au sein d’un projet partagé qui fait la force de « l’année citoyenne ».
3. Selon la proposition, l’âge d’appel est fixé à 18 ans. Et le service doit trouver place avant les 30 ans révolus. Qu’en est-il des plus jeunes, et spécifiquement des ados entre 12 et 18 ans ? N’entend-on pas régulièrement que ce sont eux, précisément, qui devraient retrouver ou simplement acquérir les valeurs qui font la force de nos sociétés démocratiques ? Et qui auraient le plus besoin de se frotter à ce type d’expérience ? Et qui en sont pourtant exclu… Là aussi, il existe pourtant des expériences indéniablement positives qui ne demandent qu’à être encouragées et démultipliées à souhait. Mais qui contre toute attente, ne trouve pas les financements spécifiques pour se déployer et toucher un nombre représentatif d’élèves…
Il s’agit principalement de projets intégrés aux programmes scolaires où l’offre sélective ne se pose pas en raison de l’obligation scolaire. Inspirés des expériences de « Service learning » très développées outre-Atlantique notamment, ces projets (dont « Service-Etude « ) proposent une approche éducative qui combine les objectifs scolaires avec le service communautaire, afin de fournir une expérience d’apprentissage pragmatique et progressive tout en répondant aux besoins de la société. Il s’agit d’une philosophie, une pédagogie et un modèle de développement communautaire qui est utilisé comme une stratégie pédagogique pour atteindre les objectifs d’apprentissage ou les socles de compétences. Nul doute qu’après avoir été initiés, dès l’école, à l’action citoyenne, de très nombreux jeunes, y compris ceux qui y sont moins incités par leur environnement familial et social, auront à coeur de poursuivre cet engagement au-delà de l’enseignement obligatoire.
Que l’on me comprenne bien. L’ambition affichée par les humanistes de rendre accessible à tous les jeunes un temps d’investissement citoyen est louable. Mais l’empressement à généraliser et rendre obligatoire un service citoyen dont les balises semblent insuffisamment réfléchies et dont la faisabilité, notamment budgétaire, est loin d’être garantie, risquerait de compromettre plus encore l’existant qui, jusqu’ici, n’a pas été assez encouragé ou reconnu.
L’expérience des pays voisins indique que, même sans obligation, de nombreux jeunes de tous horizons se mobilisent et adhèrent à des temps citoyens, librement consentis.
Il faut pour cela user d’une stratégie d’ensemble qui devrait intégrer parmi d’autres des actions de sensibilisation et de communication, la reconnaissance par la société, la valorisation de l’expérience, l’aménagement des conditions (administratives principalement) et les avantages matériels pour les volontaires.
Le caractère obligatoire est sans conteste la question passionnelle qui accompagne le débat sur le service citoyen depuis qu’il existe. On l’aura compris, je ne pense pas que cette question soit prioritaire et, qu’au contraire, elle pollue la réflexion pourtant urgente autour de l’utilité sociale de chaque citoyen.
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