Le Belge, malade de ses mauvaises habitudes
La mortalité a baissé mais les maladies chroniques ou liées à nos modes de vie ont explosé. Mieux conscientisé, le Belge redresse cependant la barre.
Il a plutôt bonne mine, le Belge de 2023. Il est devenu flexitarien, vapote en attendant d’arrêter complètement la clope, remplit son caddie de sans sucre ajouté et se félicite encore de sa Tournée minérale de février. Le mardi, il file à la salle de sport, le jeudi chez le psy. Vendredi, il a rendez-vous chez son généraliste pour un petit check-up, il discutera de sa dernière prise de sang, mais aussi de ce qu’il a lu, vu, entendu sur le cholestérol, l’intolérance au lactose, les insomnies, les carences en magnésium…
S’il vit vieux et en relative bonne santé, c’est parce qu’il a intégré les recommandations des campagnes de prévention de santé publique, qu’il bénéficie de traitements mieux adaptés, d’une technologie médicale de pointe et qu’il est pris en charge par une kyrielle de spécialistes. Une combinaison de facteurs qui explique pourquoi il vit deux fois plus longtemps qu’il y a 170 ans.
Sans remonter aussi loin, on constate que l’écart de longévité entre genres tend à se résorber, les femmes adoptant les mêmes habitudes de vie que les hommes. Mais d’autres inégalités subsistent: malgré un meilleur accès à la médecine, tous les groupes sociaux ne sont pas égaux face à la mort. Les différences se sont même renforcées depuis le début des années 1990, pointe Thierry Eggerickx, maître de recherches au FNRS et professeur à l’UCLouvain. Le démographe a examiné les causes de la mortalité des Belges du XIXe siècle à nos jours. Dans son rapport, il précise que ces disparités, qui s’observent à l’échelle des régions, des arrondissements et des milieux de résidence, se sont accrues depuis au moins 25 ans.
Chez les femmes, la mortalité due aux tumeurs est presque aussi élevée que celle due aux maladies cardiovasculaires.
«Pour votre santé…»
Ce gain d’années de vie s’explique aussi par la «transition épidémiologique» qui nous a fait basculer de l’ère des maladies infectieuses (coqueluche, diphtérie, tétanos, tuberculose, variole…) vers celle des maladies chroniques et non transmissibles. Une évolution qu’on doit à une série d’avancées sociétales et médicales. «Après une croissance plus lente, observée entre 1955 et 1970, l’espérance de vie augmente à nouveau plus franchement et régulièrement, grâce notamment au recul important des maladies cardiovasculaires et à l’adoption de comportements individuels davantage favorables à la santé. Cette nouvelle phase a conduit à faire de la transition épidémiologique le premier moment d’un mouvement plus vaste, la transition sanitaire», analyse Thierry Eggerickx. On notera malgré tout que si les épidémies sont mieux gérées et plus rapidement circonscrites, le Covid a rappelé qu’elles peuvent encore être mortelles…
«Cette baisse relativement importante de la mortalité imputables aux maladies cardio-vasculaires est liée aux progrès immenses observés au cours des dernières décennies dans les pays de l’OCDE en matière de prise en charge des patients, d’administration des traitements, ainsi qu’à l’élargissement du champ de la prévention. Deux avancées qui ont par exemple permis de mieux prévenir les AVC ou les infarctus du myocarde», analyse Jean Macq. Pour le professeur de santé publique à l’UCLouvain «ce qu’on a compris aujourd’hui, par rapport aux années 1980, c’est que l’alimentation est l’une des clés de la bonne santé. Dire qu’à l’époque, on pouvait fumer partout, ça paraît inimaginable… Quant à l’alcool, il a d’abord fait l’objet d’une réflexion sur le plan de la sécurité avec les premières campagnes Bob puis, dans un deuxième temps, dans le cadre d’une hygiène de vie plus saine. Avec l’avènement de la malbouffe, à partir des années 1990 et l’inquiétante apparition de cas de diabète de type 2, sont aussi venues les recommandations en matière d’habitudes alimentaires.»
Le matraquage a porté ses fruits (au moins cinq par jour, et les légumes aussi): chez les hommes, le taux de mortalité lié aux maladies cardiovasculaires a diminué de 54% entre 2000 et 2019. Ce qui implique que la mortalité due aux tumeurs, qui, elle, diminue plus lentement (- 32%), est aujourd’hui supérieure à la mortalité due aux maladies cardiovasculaires. Chez les femmes, ce taux a diminué de 52%. Chez elles, la mortalité due aux tumeurs (qui a très peu diminué) est désormais presque aussi élevée que celle due aux maladies cardiovasculaires.
Autre inflexion notable depuis 2020, la mortalité due aux maladies du système respiratoire. Elle a diminué de 42% chez les hommes et de 24% chez les femmes.
Foutu cancer
Comparé à ses parents ou à ses grands-parents, le Belge du XXIe siècle souffre donc davantage de maladies «de société» liées à son mode de vie ou à l’environnement dans lequel il évolue. Et s’il est un fléau qui n’a fait que progresser, c’est le cancer. A l’heure actuelle, les tumeurs (malignes, bénignes ou incertaines) représentent, avec 25,5% des cas, la première cause de décès, devant les maladies de l’appareil respiratoire.
Quel était le risque de développer un cancer en 1980? Difficile à dire. Les informations antérieures à 1990 sont parcellaires ou peu fiables, la méthodologie d’enregistrement des données était différente de celle appliquée aujourd’hui. On peut, par contre, se référer aux chiffres relayés par l’Agence nationale de santé publique française. En France, le nombre de cas a augmenté de 109% entre 1980 et 2012 (107% chez les hommes, 111% chez les femmes). Le nombre de décès a, lui, augmenté de 15% au cours de la même période. La hausse du nombre de cas de cancer est liée à la croissance de la population (30%), au vieillissement (30%) et, de manière plus importante, à l’augmentation du risque de développer la maladie (40%).
On observe par ailleurs que si l’évolution de l’incidence s’est faite de manière linéaire entre 1980 – 2005, ce n’est plus le cas depuis lors, en raison du caractère très fluctuant de l’incidence du cancer de la prostate chez les hommes et du cancer du sein chez la femme. Que ce soit en 1980 ou aujourd’hui, le taux de mortalité par cancer est toujours plus élevé chez les hommes que chez les femmes, mais il diminue plus rapidement chez les premiers. Une différence essentiellement liée à la réduction de leur consommation d’alcool et de tabac. L’édition 2021 du Baromètre belge du cancer indique par ailleurs qu’entre 2004 et 2018, le nombre de diagnostics annuels de cancer a augmenté de 21%. En 2018, pour la première fois, plus de 70 000 ont été enregistrés.
Si certaines pathologies ont gagné du terrain depuis quarante ans, la recherche médicale et les politiques de santé publique ont permis de réduire le risque ou d’atténuer les symptômes liés à d’autres. C’est par exemple le cas du VIH. Qualifié de «cancer gay» lors de son apparition au début des années 1980, le sida n’a pas disparu et ne se guérit toujours pas. Mais l’accès au traitement antirétroviral permet de mieux vivre avec la maladie et a fortement diminué le nombre de décès. Malgré la création, en 1999, de la Plateforme prévention sida et le travail de terrain des associations de prévention, la Belgique fait toujours face à un nombre important d’IST.
Selon Sciensano, au cours des trois décennies écoulées, le nombre de nouvelles infections au VIH dans le pays a évolué entre 1,9 et 3,4 nouveaux diagnostics par jour en moyenne. Le nombre le plus élevé a été observé en 2012, avec 1 230 nouveaux cas diagnostiqués, et le plus bas en 1997, avec sept cents diagnostics.
Séjours plus courts
L’autre petite révolution de ces quarante dernières années, c’est le moindre recours à l’hôpital, avec davantage de prise en charge des pathologies en centre de soins ou à domicile, comme l’explique Jean Macq. «Entre 1980 et 2023, on est passés d’un réseau de petits hôpitaux implantés dans les moyennes et les grandes villes à une concentration dans de grandes structures hospitalières. On a progressivement dirigé les personnes âgées vers les maisons de repos et de soins (MRS) et les patients présentant des troubles de la santé mentale vers des structures spécialisées. Grâce au développement des techniques médicales, dans le domaine de la chirurgie par exemple, on a diminué la durée moyenne des hospitalisations. Les soins à domicile se sont aussi fortement développés.» Les soignants, eux aussi, ont bien changé. Les généralistes exercent de moins en moins en solo et à leur domicile et on observe une plus grande diversité dans les métiers de la santé: ostéopathes, ergothérapeutes, kinésiologues, etc. Même la manière de parler de la maladie n’est plus tout à fait la même. La dimension paternaliste qui caractérisait autrefois la médecine, souligne Jean Macq, s’est estompée. Il fut un temps où le praticien hésitait à informer le patient de son cancer, surtout s’il était à un stade terminal.
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