Le 14 décembre 1909, Léopold II sauve l’armée avant de mourir
Alors qu’il est malade depuis 10 jours, le combat du souverain est ailleurs. Depuis des décennies, il lutte pour renforcer l’armée belge. Le 14 décembre, trois jours avant de décéder, il signe la loi qui rend le service militaire obligatoire.
Sa peau est presque aussi pâle que sa barbe. Voilà maintenant dix jours que le souverain est tombé malade. Rapidement rapatrié de France, Léopold II ne quitte plus Laeken. Sans doute sait-il que son heure est proche. Mais son dernier combat est ailleurs. Depuis des décennies, il lutte pour renforcer l’armée de son pays. Pour en faire une armée moderne. Une armée de poids. Ce 14 décembre, trois jours avant de décéder, il signe la loi qui rend le service militaire obligatoire. Et qui lui rend, l’espace de quelques heures, un profond sentiment de fierté.
Depuis toujours, l’électeur belge ne montre pour son armée que très peu d’intérêt. Et même un puissant désintérêt. Pas surprenant, dans ces conditions, de constater qu’elle n’a guère fière allure, cette armée. En l’occurrence, c’est un système de tirage au sort qui permet de doter l’outil de chair… à canon. Le système est assez simple: si votre nom n’est pas tiré, vous ne devez pas servir ; si votre nom est tiré, vous devez servir; mais si votre nom est tiré et que vous êtes riche, libre à vous de vous faire remplacer par un individu quelconque qui, à la sécurité, préfère l’argent. Cette armée nationale porte bien son nom: on dit qu’elle est une « armée de pauvres ».
Diverses raisons expliquent ce peu d’intérêt. Une frilosité fiscale, tout d’abord. L’avantage d’une armée de pauvres, c’est que ça ne coûte pas cher. Pas trop d’hommes, pas trop d’équipements, pas trop de fortifications… C’est tout profit pour la Belgique libérale et marchande! La volonté de préserver ses fils, aussi. Quel est donc le père qui enverrait volontiers ses enfants sous les drapeaux? De plus, dans les milieux bien-pensants, on craint autant pour la vie de ses grands garçons que pour leur moralité. La caserne n’est-elle pas considérée comme l’antichambre du vice? A cette peur s’ajoute, chez les flamingants, une méfiance à l’égard de ce que l’on considère comme un bastion de la francisation.
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Dernier élément: une forme d’illusion. Peu après son indépendance, la Belgique s’est vu imposer la neutralité. Conséquences? Depuis septante-cinq ans, le pays ne peut se montrer plus proche de l’un de ses voisins que d’un autre. Et ne peut s’engager dans la moindre alliance. Miraculeusement, ce statut l’aide à échapper aux grandes tensions continentales – que ce soit le Printemps des peuples de 1848 ou la guerre franco-prussienne de 1870. Il n’empêche, la neutralité ne préserve pas de la guerre. Même si certains Belges feignent de l’ignorer.
Dans sa volonté de moderniser l’armée, Léopold II pourra compter sur un allié inattendu: le Parti ouvrier belge (POB). Pacifistes par nature, les socialistes n’en demeurent pas moins favorables à l’entretien de nations armées – en attendant le Grand Soir. Ils voient dans le service militaire généralisé un symbole d’égalité. Tous partis confondus, les idées finissent par percoler. En 1909, l’armée est réformée. Cinq ans à peine avant le début de la Grande Guerre.
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