Carte blanche
« L’augmentation des activités de Liège Airport a annulé la totalité des efforts de réduction de CO2 à l’échelle de toute la Wallonie » (carte blanche)
La Région wallonne peut-elle prétendre faire d’importants efforts en faveur du climat, tout en développant la logistique sur son territoire, notamment au niveau aérien ? Par pour Cédric Leterme, chargé d’étude au GRESEA (groupe de recherche pour une stratégie économique alternative), au CETRI (centre d’étude sur le développement) et membre du collectif Stop Alibaba & Co.
La COP26 démarre dans quelques jours. Le constat est clair : au rythme actuel, nous ne parviendrons pas à limiter le réchauffement de la planète en-dessous des 1,5°C qui nous permettraient pourtant d’éviter les pires scénarios catastrophes. Même la cible officielle de 2°C, pourtant largement insuffisante, sera dépassée. Il est donc urgent d’accélérer et d’intensifier les efforts.
Dans ce contexte, la Belgique, à l’image des autres pays du monde, en particulier les plus riches, doit revoir ses ambitions à la hausse. Cela vaut aussi, naturellement, pour ses entités fédérées. On accuse souvent – en partie à raison – la Région flamande de freiner le reste du pays sur ces questions. Mais la Wallonie est loin d’être un élève modèle. Parmi ses incohérences les plus manifestes, celle de continuer de vouloir miser sur la logistique comme pôle majeur de son (re)déploiement économique.
L’exemple d’Alibaba
L’arrivée du géant chinois du e-commerce Alibaba à l’aéroport de Liège en est un exemple particulièrement emblématique. Selon les calculs du climatologue Pierre Ozer de l’ULiège, la hausse des émissions de CO2 consécutive à l’augmentation de l’activité aérienne à Liège-Airport a annulé – entre 2013 et 2018 – la totalité des efforts de réduction menés en parallèle à l’échelle… de toute la Wallonie. La Région Wallonne a beau jeu de répondre que formellement ces émissions ne lui sont pas imputables puisqu’elles relèvent d’un secteur – le transport international – qui échappe pour l’heure aux comptabilités nationales en matière de réduction des GES. Une pirouette qui lui permet d’annoncer fièrement l’objectif de neutralité carbone pour l’aéroport de Liège à l’horizon 2030, mais sans y inclure les émissions liées aux avions !
L’argument risque toutefois de faire long feu. L’inclusion des émissions – considérables – du transport international dans les objectifs de réduction de l’Accord de Paris est en effet précisément au menu des discussions de la COP26. Et quelle que soit la méthode qui sera finalement retenue, elle risque de faire mal pour la Wallonie, dont elle va mécaniquement alourdir le bilan en matière de contribution au réchauffement climatique – et donc les efforts à fournir pour respecter ses engagements.
L’urgence de changer de modèle
Mais l’essentiel n’est pas là. Tous les scientifiques s’accordent pour dénoncer l’urgence et la gravité de la situation. Sans des changements rapides et massifs dans nos modes de production et d’échange, nous courrons droit à la catastrophe (à vrai dire, elle a même déjà commencé, comme l’ont encore montré les événements de cet été). Dans ce contexte, il est incompréhensible et même criminel de la part de la Région Wallonne de continuer de miser sur la logistique comme « pôle de compétitivité » majeur, avec notamment la poursuite d’investissements publics massifs dans des infrastructures comme l’aéroport de Liège. Ceux-ci sont en effet doublement nocifs pour le climat et l’environnement. D’une part, à travers les pollutions et les nuisances directes qu’ils génèrent (émissions de CO2, particules fines, bétonisation des sols). D’autre part, parce qu’ils visent précisément à accélérer et à intensifier la production et la consommation de marchandises à des échelles toujours plus lointaines, alors même que ces tendances sont au coeur des crises écologique, sociale et même sanitaire que nous vivons.
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Il est encore temps pour la Wallonie de se ressaisir. En réalité, elle n’a pas le choix, puisqu’à défaut de les anticiper, les ajustements rendus nécessaires par la crise environnementale vont finir par s’imposer à nous, de gré ou de force. La bonne nouvelle, c’est que tourner le dos à la logistique – comme à bon nombre d’autres industries polluantes – peut se révéler gagnant aussi bien d’un point de vue environnemental que socioéconomique. Car là aussi, en effet, le bilan en termes de quantité et de qualité des emplois est loin d’être reluisant…
La transition vers un modèle économique qui soit respectueux à la fois des travailleurs et de l’environnement ne se fera évidemment pas en un jour. Mais la COP26 offre une occasion de plus à la Wallonie de se montrer (enfin) à la hauteur des enjeux. Et surtout de joindre le geste à la parole. Parmi les actes concrets qu’elle pourrait poser : déclarer un moratoire immédiat sur tous les projets logistiques – à commencer par ceux qui concernent l’extension de l’aéroport de Liège – le temps de mener un véritable débat démocratique sur le rôle et la place que l’on souhaite accorder à cette industrie dans le développement futur de notre région.
Le titre est de la rédaction.
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