Luc Delfosse
L’amnésie, péché capital de la politique
Accrochés au pouvoir et à leurs mandats comme s’ils s’agissaient d’îlots conquis de droit quasi divin pour les siècles des siècles, les hommes politiques déploient décidément une énergie insensée et malsaine à tenter d’accabler ou d’incriminer leurs pairs plutôt qu’à oser se remettre en cause.
Leur capacité d’amnésie sélective, leur propension à dénier l’évidence, leur irresponsabilité brandie comme un faux certificat de virginité, leur permet généralement de conserver pour quelque temps un ministère (ou un maïorat), mais elle érode comme un vent mauvais, la crédibilité de l’Etat. A moins, bien entendu, de considérer que ce royaume n’en détenant déjà plus une once, la faute n’a plus aucune importance. Et que l’imprécation, dès lors, peut tenir lieu d’éthique et de responsabilité.
Le drame du Heysel, l’affaire Dutroux, l’assassinat d’André Cools…, sont de consternantes illustrations de ces tartufferies. Les retombées belges du carnage de Paris n’échappent pas évidemment pas à la règle confondante du bouc émissaire. Toutes familles confondues, s’entend. Et jusqu’au sommet du gouvernement.
En déclarant, dimanche, que l’on payait en somme « la facture de ce qui n’avait pas été fait par le passé » (en Belgique en général et à Molenbeek en particulier), Charles Michel n’a évidement pas tort. Mais on voit bien que le Premier ministre cherche avant tout à dédouaner sa famille politique. Comme s’il avait « oublié » que les libéraux (N et F) détenaient entre autres dans le gouvernement précédent, outre deux postes de vice-Premiers (qui sont de toutes les décisions stratégiques), le maroquin de la Justice, des Cultes, de l’Asile, de l’Immigration, de la Lutte contre la Pauvreté et -cerise sur le plantureux gâteau- de l’Intégration sociale. Tout cela entre les mains de Maggie De Blok, la préférée paraît-il, des Belges. De la même façon, Philippe Moureaux, accusé d’avoir pratiqué un communautarisme effréné dans sa commune, ne trouve rien de mieux à répondre qu’il n’est « plus aux affaires depuis trois ans ». Ce qui est formellement, exact mais ne le dédouane pas pour autant des vingt années précédentes durant lesquelles il a conduit la commune comme l’on sait.
Et que dire, pour faire bonne mesure, de l’époustouflant silence de Joëlle Milquet ou dont on a la furieuse impression qu’elle aimerait surtout faire oublier qu’elle fut ministre de l’Intérieur et de l’Egalité des chances.
Ces pertes de mémoire mal camouflées sous des pauses d’artilleur ruinent ce qu’il reste encore de crédibilité au personnel politique. Elles ouvrent du coup la voie au populisme le plus crasseux
Si la simulation d’amnésie était un délit, la rue de la Loi serait un désert. Ce n’est pas le cas, hélas. Dommage parce que, à force, ces pertes de mémoire mal camouflées sous des pauses d’artilleur ruinent ce qu’il reste encore de crédibilité au personnel politique. Elles ouvrent du coup la voie au populisme le plus crasseux (« Nous sommes en guerre », « Nous allons nettoyer Molenbeek ! »…), portés par des hommes « nouveaux » qui s’engouffrent avec une incroyable impunité dans la brèche. Il ne reste plus dès lors aux vieux démocrates, pétris d’orgueil et d’égoïsme, qu’à courir derrière ces nouveaux prophètes de l’Ordre. Et à tenter, en vain, de hurler aussi fort qu’eux.
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