Monique Levecque
La juge Monique Levecque, signataire unique de l’ordonnance de non-lieu de la chambre du conseil, aura eu le dernier mot dans l’affaire Dragone. © RTL

L’affaire Dragone, un fiasco assumé par le parquet qui n’interjettera pas appel

David Leloup Journaliste

Le parquet de Mons n’interjettera pas appel de l’ordonnance de non-lieu de la chambre du conseil, lapidaire pour les enquêteurs dans l’affaire Dragone. Ce dossier pourtant présenté jadis comme emblématique est donc définitivement clôturé faute de charges suffisantes pour ouvrir un procès en correctionnelle.

Rideau définitif : « Il n’y aura pas d’appel du ministère public suite à l’ordonnance de la chambre du conseil dans ce dossier », a déclaré au Vif le substitut du procureur du roi et porte-parole du parquet de Mons, Damien Verheyen. « La décision a été prise mardi », nous précise-t-il encore. Prononcée vendredi 13 janvier par la juge unique Monique Levecque, l’ordonnance de non-lieu de la chambre du conseil (tribunal de première instance) ne sera donc pas contestée par le ministère public devant la chambre des mises en accusation (cour d’appel).

Conséquence directe : il n’y aura jamais de procès devant un tribunal correctionnel dans cette affaire, mise à l’instruction en 2012 principalement pour « fraude fiscale internationale grave et organisée » et « blanchiment ». Initialement, 41 personnes identifiées avaient été inculpées par le juge d’instruction montois Alain Blondiaux (aujourd’hui à la retraite), parmi lesquelles figuraient, outre feu le célèbre metteur en scène Franco Dragone, des personnalités politiques comme Edmée De Groeve et Luc Joris (deux proches d’Elio Di Rupo qui furent administrateurs PS dans diverses institutions publiques), ainsi que la banque ING Belgique ou Ernst & Young Luxembourg…

Une ordonnance au picrate

Le parquet de Mons encaisse ainsi, sans broncher, l’humiliant uppercut décoché la semaine dernière par la juge Levecque, présidente de la chambre du conseil. Son ordonnance au picrate lapide en effet le juge Blondiaux et les policiers de l’Office central pour la répression de la corruption (OCRC) qui ont mené l’enquête entre 2012 et 2019. En n’interjetant pas appel, le ministère public avalise et assume, par là-même, que l’instruction judiciaire qu’il a supervisée pendant toutes ces années, aux frais du contribuable, est un fiasco retentissant. Selon la chambre du conseil, les enquêteurs ont usé de « procédés déloyaux » et « d’un autre âge » pour obtenir des déclarations d’un témoin, ont « bâclé certains devoirs à décharge », et ont eu « des contacts avec la presse pendant l’instruction ».

Sur les 41 personnes inculpées par le juge d’instruction, six avaient fait l’objet d’une demande de renvoi en correctionnelle par le parquet de Mons dans son réquisitoire d’avril 2020 : Franco Dragone, Simon Pieret et Austin Sealy (deux de ses proches collaborateurs), Canterlo Limited (société offshore du metteur en scène aux îles Vierges), ING Belgique (banque de Dragone à La Louvière) et Luc Joris.

Juge et enquêteurs n’ont rien compris

Une magistrate unique mais chevronnée, présidente de la chambre du conseil, aura finalement estimé que les preuves collectées pendant sept ans par les enquêteurs de l’OCRC sous la houlette du juge Blondiaux, preuves que le parquet lui a présentées dans son réquisitoire, ne constituent pas « des charges suffisantes en ce qui concerne la thèse défendue par le ministère public ». À savoir que « Canterlo Limited est, en réalité, une société dirigée depuis la Belgique (…), que sa localisation aux Îles Vierges britanniques est fictive », et que « l’inculpé Dragone était le dirigeant de cette société ».

Selon la juge Levecque, « la lecture, ardue, du dossier répressif, révèle que ni le magistrat instructeur, ni les enquêteurs, n’ont tenté de comprendre le secteur d’activité économique dans lequel a évolué M. Franco Dragone ». Ce dernier, rappelle-t-elle, a été « le principal concepteur des spectacles du Cirque du soleil, un grand créateur et metteur en scène, mondialement reconnu, de spectacles qui ont fait le tour du monde et y ont généré, ce faisant, des bénéfices considérables. »

Le fisc au courant dès 2005

Dans ce contexte international, Canterlo n’était qu’une « société holding de patrimoine » dont Franco Dragone était « l’actionnaire quasiment exclusif ». La présidente de la chambre du conseil précise encore que « dans le cadre d’un contrôle fiscal, la structure de la pyramide des sociétés liées aux Productions du Dragon [NDLR : la société louviéroise de Franco Dragone], a été expliquée au fisc belge qui, à l’époque (2004/2005) n’y a rien trouvé à redire ». Et, sarcastique, elle enfonce le clou : « Soit dit en passant, il est particulier, si on cherche à frauder le fisc, de lui expliquer le mécanisme par lequel on entendrait le faire »

Le décès malheureux et inopiné de Franco Dragone d’une crise cardiaque au Caire fin septembre 2022 avait de facto entraîné l’extinction de l’action publique à son encontre. L’ordonnance de la chambre du conseil précise aussi que « l’action publique est éteinte par prescription à l’égard de M. Luc Joris ». Des préventions de corruption passive pesaient sur ce dernier dans le cadre d’un prêt accordé fin 2011 au groupe Dragone par la SRIW, dont Luc Joris était alors administrateur sur quota PS.

17 millions restitués aux héritiers

Ce non-lieu général et définitif aura, enfin, des conséquences pour les héritiers du génial metteur en scène louviérois. En 2016, et à titre conservatoire, les biens immobiliers de Franco Dragone sur le territoire belge (sa villa, des appartements à la mer, des terrains constructibles) avaient été saisis par la justice pour un montant estimé à 17 millions d’euros. Tous ces biens seront donc restitués aux héritiers de Franco Dragone.

Enquête réalisée avec le soutien du Fonds pour le Journalisme en Fédération Wallonie-Bruxelles.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire