« La Wallonie proche d’un régime communiste »: Pierre Wunsch (BNB), ce joueur invétéré (Portrait)
Au début de l’été, le gouverneur de la Banque nationale de Belgique s’est laissé emporter par sa verve en décrivant la Wallonie comme un Etat protocommuniste. Le revers de son talent ?
Quand on est un grand commis de l’Etat, associer la Wallonie au communisme, c’est osé. Du miel pour la N-VA et pour le Vlaams Belang dont les trolls se sont déchaînés sur les réseaux sociaux. Une satisfaction pour les amateurs de parler vrai qui voient le Sud ployer sous la dépense publique sans résultats probants. Un affront pour ceux qui se dépensent sans compter pour relancer la machine économique.
L’auteur de cette disruptive comparaison, Pierre Wunsch, 53 ans, est gouverneur de la Banque nationale de Belgique (BNB) et coprésident du Risk Management Group chargé de relancer l’économie après la crise du coronavirus. Le cadre dans lequel le propos a été délivré ? Un entretien croisé avec le climatologue Jean-Pascal van Ypersele dans le numéro d’été de la revue Louvain. A domicile. Pierre Wunsch a obtenu son doctorat en économie à l’UCL où son père, Guillaume Wunsch, un caractère fort, enseignait la démographie. Le fils s’appelle comme son père par tradition, même s’il utilise son second prénom.
Un académique qui débat librement et prend du recul scientifique pour restituer un raisonnement.
Comme il a déjà donné beaucoup d’interviews ces derniers mois et que » le contenu de son travail est plus important que sa personnalité « , le gouverneur a décliné notre invitation à participer à son portrait. On ne saura donc pas s’il a pris un malin plaisir à contredire le promoteur du Resilience Management Group, dont le rapport » Sophia » réclame un changement radical en faveur d’une économie durable.
Pierre Wunsch est, en effet, décrit comme un techno-optimiste faisant confiance à l’innovation technologique pour résoudre certains problèmes environnementaux. Dans cet entretien, il a choisi son terrain, l’économie, pour damer le pion à l’omniprésent Jean-Pascal van Ypersele. Ce qui a donné ceci : » Le rapport « Sophia » ne prend pas assez en compte la difficulté institutionnelle dans laquelle on se trouve en Belgique. Il met l’accent sur la démocratie participative, le climat, etc., alors qu’aujourd’hui, on a un problème de tension institutionnelle et une structure économique dans le sud du pays qui dépend des transferts de la Flandre. On est probablement à 70 % de dépenses publiques en Wallonie pour 2021-2022. Ça veut dire qu’on sera plus proche d’un régime communiste que d’un régime néolibéral que d’aucuns décrient. » Bam !
Elio di Rupo, ministre-président de la future République populaire de Wallonie, a riposté d’un tweet cinglant : » ll n’est pas là pour porter des jugements de valeur, ni colporter des propos infondés. On attend d’un gouverneur qu’il agisse avec sérieux, circonspection et retenue, non qu’il tienne un langage outrancier et malveillant à l’égard des institutions publiques. » Le ministre wallon du Budget et des Finances, Jean-Luc Crucke (MR), est plus indulgent. Si l’on excepte la » provocation oratoire « , la question de la » soutenabilité de la dette et du déficit public garde toute sa pertinence « , assure-t-il. Le gouverneur de la BNB rappelait que le déficit prévu pour les deux prochaines années est de 6 %, que ce » n’est pas tenable » et qu' » on va devoir faire des choix car il y aura moins d’argent « .
» Même si je suis d’accord avec lui sur le niveau élevé des dépenses publiques et que la Wallonie stagne économiquement en dépit des beaux discours, il faudrait qu’il y ait une égalité des revenus et des patrimoines entre les citoyens pour parler de régime communiste « , tempère l’économiste Etienne de Callataÿ. Son confrère Bruno Colmant voit dans l’échange publié par la revue Louvain une controverse intellectuelle. Au fond, Pierre Wunsch est » un académique qui débat librement et prend du recul scientifique pour restituer un raisonnement « .
Un reyndersien doublé d’un houellebecquien
Que Jean-Luc Crucke manifeste sa » totale amitié » envers l’audacieux n‘a rien d’étonnant non plus. Ils font tous les deux partie du réseau Reynders, ces têtes bien faites à l’ego bien développé dont certains donnent parfois l’impression de manquer d’empathie. On a donc affaire à un reyndersien pur jus, ce qui veut dire un » wunschien » pure laine. En allemand (l’origine de la famille), » wunsch » signifie à la fois » souhait « , » désir « , » demande « , » volonté « . Quelque part entre le dur et le mou. Car, en dépit de son profil de supertechnocrate à la parole décomplexée, Pierre Wunsch séduit, l’oeil définitivement bleu.
Le plus troublant est son attirance pour l’oeuvre de Michel Houellebecq, lequel porte un intérêt soutenu à l’économie. » Chaque roman part d’un sujet de société qu’il dissèque – oui, c’est le mot qui décrirait le mieux à mes yeux sa distance et sa froideur – en observateur apparemment dégagé. Mais cette froideur n’est qu’apparente. Il y a toujours, chez lui, une sorte de nostalgie paradoxale et terriblement puissante « , décrivait le gouverneur, l’été dernier, dans La Libre.
Bien que l’analogie soit aussi facile qu’entre la Wallonie et le bolchevisme, il y a peut-être chez Pierre Wunsch cette sorte de nostalgie adolescente. Tout semble lui sourire. Il rêve, il écrit des romans (non publiés), se livre à des jeux de rôle avec ses amis ( Star Wars, Donjons et Dragons), son yoga hebdomadaire est sacré, de même que la restauration de sa maison en Dordogne. Il est marié à une psychologue espagnole, père de famille concerné, habite dans les Marolles et se rend à pied à son bureau comme un quidam qu’il n’est pas.
Cependant, quand il a rencontré de l’opposition au sein de la Banque nationale, il s’est montré cassant, dit-on. Il voit où il veut aller et ne prend pas la peine de rallier les autres à son point de vue, sûr de son ascendant intellectuel, ce qui aujourd’hui manque terriblement de modernité. Sur le plan idéologique, depuis Luc Coene, ancien chef de cabinet de Guy Verhofstadt, très libéral, et une parenthèse plus consensuelle sous le gouvernorat de Jan Smets (CD&V), il s’est accroché avec les organisations syndicales présentes au conseil de régence. Celles-ci n’ont pas signé certains rapports annuels de la Banque nationale, » parce qu’ils encensaient la politique du gouvernement « .
Une carrière éclair
Décrit en Flandre comme bleu foncé, Pierre Wunsch s‘est rapidement installé dans les rouages de l’Etat après son début de carrière universitaire et une parenthèse dans le privé. Il est d’abord conseiller au bureau du Plan, membre du cabinet du secrétaire d’Etat bruxellois Eric André (MR), chef de cabinet du commissaire du gouvernement aux Finances, Alain Zenner, puis, navigue de Tractebel à Electrabel. La crise bancaire de 2008 le trouve frais émoulu chef de cabinet du ministre des Finances, Didier Reynders (MR). Il souque ferme pour sauver les banques belges. C’est son baptême du feu. Il y déploie sa connaissance des dossiers, son dynamisme, son sang-froid. » Après la crise bancaire, se souvient un observateur du monde financier, il a été l’un des rares, avec Peter Praet, alors directeur à la Banque nationale, à ne pas être tombé malade. Ce n’est pas quelqu’un qui absorbe les choses comme un buvard jusqu’à en perdre son discernement. Il garde sa lucidité, il apaise tout le monde, comme s’il était en dehors de l’action. »
Décrit en Flandre comme bleu foncé, Pierre Wunsch s’est rapidement installé dans les rouages de l’État.
Didier Reynders est un super DRH. Il réalise des placements de rêve au bénéfice de ses poulains. Jean-Paul Servais à la FSMA (le gendarme des marchés financiers), Koen Van Loo à la SFPI (Société fédérale de participations et d’investissement), Peter Praet à la Banque centrale européenne. S’il se sépare de Pierre Wunsch en 2011, c’est pour le pousser comme directeur à la Banque nationale. Son successeur aux Finances, Johan Van Overtveldt (N-VA), concrétise le deal, en lui donnant une feuille de route : moderniser l’institution, réduire les salaires élevés et le nombre de ceux qui en bénéficient, y attirer plus de femmes.
Nommé vice-gouverneur, puis, début 2019, gouverneur, il bouscule les habitudes de travail du boulevard de Berlaimont (surface réduite de moitié, open space, flexdesks…), ainsi que les organisations syndicales, mais ne touche pas aux salaires : 490 000 euros brut par an pour le gouverneur, 391 000 pour le vice-gouverneur, 337 000 euros pour les six directeurs. Le voudrait-il, cela fait partie du système politique. En 2018, lors de son départ à la retraite, Marcia De Wachter (CD&V), la seule femme membre du comité de direction de la BNB, est remplacée par un homme de son parti, Steven Vanackere, ancien ministre fédéral. Elle pousse un retentissant coup de gueule. L’absence de femmes au plus haut niveau d’une boîte publique cotée en Bourse et surpayant ses cadres comme aucune autre banque centrale en Europe entame la crédibilité de l’institution, même si le conseil de régence a depuis lors été amené à la quasi-parité. Il reste trois ans et demi à Pierre Wunsch.
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