Robin Crunenberg (Microspir) : "Profiter de tous les bienfaits de la spiruline fraîche." © hatim kaghat

La Wallonie part à la conquête de l’or vert

Pierre Jassogne Journaliste Le Vif/L’Express

L’avenir est dans l’algue, voire dans les microalgues. Ces organismes végétaux microscopiques, marins ou d’eau douce, sont responsables de plus de la moitié de la production d’oxygène envoyée dans l’atmosphère. Ils sont sur le point de jouer un autre grand rôle pour la planète en tant que sources d’énergie renouvelables, de médicaments ou de compléments alimentaires.

Al’aéroport de Mexico, une tour d’acier de quatre mètres de hauteur en forme d’arbre est capable de filtrer les gaz et particules contenus dans l’air pollué. Grâce à un système reposant sur des microalgues, elle libère la même quantité d’oxygène que 368 arbres. Nommée BioUrban 2.0, elle a été développée par la société mexicaine BiomiTech. En utilisant la pollution, ce système stimule la croissance des microalgues. Il est ainsi programmé pour adapter ses performances en fonction de la qualité de l’air.  » Les villes les plus importantes au monde avec des problèmes de pollution significatifs ont des capteurs très avancés qui mesurent la contamination… mais peu font quelque chose pour contrôler les problèmes, expliquait Jaime Ferrer, le concepteur de cet « arbre » innovant à la presse locale. C’est la première technologie qui à travers un processus 100 % biologique et naturel permet de réduire la pollution.  »

Pour Fabrice Franck (ULiège), les microalgues n'ont pas encore révélé tous leurs secrets.
Pour Fabrice Franck (ULiège), les microalgues n’ont pas encore révélé tous leurs secrets.© hatim kaghat

Rendements impressionnants

Que ce soit au Mexique, aux Etats-Unis, mais aussi en Europe ou en Chine, de plus en plus de projets s’attachent à valoriser les composants à haute valeur ajoutée contenus dans ces microalgues. En Wallonie, l’université de Liège s’intéresse depuis plusieurs décennies à ces organismes végétaux de taille micro- scopique. Dans les laboratoires de l’Institut de botanique, on étudie les diverses potentialités de ces algues, que ce soit dans la production de biocarburant, d’hydrogène, comme aliment ou comme médicament.  » Il y a de nombreuses espèces de microalgues qui ont, toutes, des propriétés très différentes, dont certaines restent même à découvrir, résume le professeur Fabrice Franck. Comme il s’agit d’organismes unicellulaires, les microalgues se divisent rapidement, ce qui donne une productivité importante, rapide même, avec des rendements à l’hectare impressionnants pour peu qu’on ait l’installation qui le permette. C’est là que la difficulté peut se poser.  »

Dans les bonnes conditions, ces végétaux peuvent produire des quantités intéressantes d’huile transformable en biodiesel, avec un rendement plus élevé que les cultures traditionnelles. C’est d’ailleurs en tant que carburant que ces microalgues pourraient faire parler d’elles, pour remplacer le pétrole à plus ou moins long terme. Parmi les avantages de ces petits organismes aquatiques figure en effet leur capacité à stocker les lipides. Les microalgues accumulant entre 60 % et 80 % de leur poids en acides gras, elles laissent espérer une production annuelle, par hectare, d’une trentaine de tonnes d’huile, bien supérieure à du colza ou à du soja, par exemple.

Les chercheurs de l’ULiège se sont intéressés à cet aspect.  » Mais on n’est pas encore au point pour produire ce carburant. Actuellement, le rendement n’est pas suffisant, si on le compare au gaz ou au pétrole. L’investissement en énergie et financier reste trop important « , admet Claire Remacle, spécialiste des processus énergétiques des microalgues. Ce qui n’empêche pas l’université de développer d’autres projets comme Darkmet, financé par la Fédération Wallonie-Bruxelles. Son originalité est de cultiver des microalgues dans le noir dans des fermenteurs.  » Un projet tout à fait adapté à nos tropiques « , sourit le professeur Franck. Ce sont les vertus antimicrobiennes de ces végétaux qui retiennent notamment l’attention des chercheurs.  » On sait depuis longtemps, mais sans avoir suffisamment exploré le domaine, que les algues produisent des antibiotiques, des substances qui leur permettent de se protéger de l’environnement.  »

L’intérêt des microalgues apparaît aussi dans la production d’hydrogène. Pour l’heure, celle-ci se fait à partir d’énergies fossiles.  » Certaines microalgues peuvent produire l’hydrogène à la lumière et offrent des rendements intéressants, poursuit Pierre Cardol, chercheur au laboratoire de génétique et physiologie des microalgues. Pendant dix ans, jusqu’en 2018, le département de botanique a essayé de comprendre de la manière la plus précise comment fonctionnaient les microalgues pour produire de l’hydrogène, en disséquant toutes les contraintes dans ce processus complexe.  »

De là a émergé la société H2win, avec un collaborateur de l’université, Philippe Lorge. Elle développe des solutions technologiques pour la production et l’utilisation de l’hydrogène à partir de microalgues.  » Il y a un potentiel énorme, étant donné que l’hydrogène est le deuxième gaz le plus utilisé dans le monde. En le produisant localement grâce à ce procédé technologique imitant la nature, la Wallonie est à l’aube d’une nouvelle révolution industrielle « , déclare Philippe Lorge. Cette solution technologique devrait être industrialisée d’ici à trois ans.

Produire sa propre spiruline

Mais les microalgues pourraient aussi révolutionner notre quotidien alimentaire grâce à la spiruline, une microalgue extrêmement riche en minéraux et en vitamines. Le projet spin-off de l’ULiège, Microspir, a développé le Spirhome, un photobioréacteur autonome permettant aux particuliers de cultiver et de consommer de la spiruline fraîche tous les jours. Mot d’ordre :  » Produisez aujourd’hui chez vous la nourriture de demain.  »

Si les recherches pour créer cet appareil qui a l’apparence d’une machine à café ont duré trois ans, l’usage pour le particulier sera des plus simples, affirme Robin Crunenberg, responsable du développement commercial du projet Microspir.  » L’avantage sera de profiter de tous les bienfaits nutritifs de la spiruline fraîche.  » Chaque jour, le consommateur aura l’opportunité de produire une cuillère à café d’algues.  » Fraîche, la spiruline n’a ni goût, ni odeur. Elle peut tout à fait s’intégrer dans n’importe quel produit, sucré ou salé.  »

Il y a cinq ans, Robin Crunenberg n’aurait jamais vu dans les microalgues une filière d’avenir pour la Wallonie. Aujourd’hui, son avis est tout autre, au moment où le photobioréacteur est sur le point d’être commercialisé.  » Pour être compétitif, dans un marché en pleine croissance, la Région wallonne et l’université de Liège misent avec nous sur l’innovation technologique !  »

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